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Identité haratine : race, mémoire et refus de l’effacement

Identité haratine : race, mémoire et refus de l’effacement

« Les chaînes de l’appartenance obligatoire sont cassées »

Introduction

La question de l’identité haratine demeure l’un des angles morts les plus sensibles du récit national mauritanien. Si la République se veut une et indivisible, elle ne peut continuer à ignorer les lignes de fracture héritées de l’histoire esclavagiste, ni les multiples formes d’exclusion encore à l’œuvre. Dans ce contexte, les propos récents de Messaoud Ould Boulkheir, figure emblématique de la cause haratine, affirmant que les Haratines sont une « partie intégrante de la composante arabo-berbère », méritent d’être analysés avec rigueur. Non pas pour délégitimer un parcours honorable, mais pour affirmer haut et fort une vérité que trop veulent taire : les Haratines ne sont pas une simple extension culturelle de l’arabo-berbèrité dominante. Ils sont porteurs d’une identité propre, forgée dans la douleur, la résistance et l’espérance.

Culture et race : deux réalités distinctes

La confusion entre culture et race constitue le cœur du malentendu. Être arabophone, musulman et immergé dans certains codes culturels dominants ne fait pas disparaître les marqueurs raciaux ni les rapports de pouvoir qui en découlent. La culture peut s’acquérir, se transmettre, se partager. Mais la race, en tant que construction sociale, demeure un critère d’exclusion, de marginalisation et de hiérarchisation. L’identité haratine, marquée par l’esclavage et ses séquelles, ne saurait être absorbée dans une catégorie qui n’a jamais reconnu son humanité pleine et entière.

Une négation qui dissimule l’injustice

Réduire les Haratines à une sous-catégorie de la composante arabo-berbère revient à effacer une lutte spécifique. C’est une forme subtile d’invisibilisation, qui permet de reconduire les structures de domination sous couvert d’unité nationale. Une telle approche nie la mémoire collective haratine, leurs souffrances historiques, leurs formes de résistance, et leur quête de justice. Elle dilue une identité spécifique dans un récit uniforme, souvent dicté par les intérêts des classes dominantes.

L’émotion comme légitimité politique

Les frustrations qui s’expriment aujourd’hui chez les Haratines ne relèvent pas de la sensibilité individuelle ou d’un « discours émotionnel » déplacé. Elles traduisent un ras-le-bol face à l’exclusion systémique. Demander aux opprimés de tempérer leur ton, c’est prolonger leur marginalisation. L’émotion dans ce contexte n’est pas une faiblesse, c’est une force politique. Elle incarne le besoin urgent de reconnaissance et de réparation.

Pour une unité fondée sur la vérité

L’unité nationale ne peut être décrétée par en haut. Elle ne peut se construire dans l’effacement, encore moins dans la culpabilisation des victimes. Elle exige un pacte fondé sur la vérité, la justice réparatrice et le respect mutuel. Les revendications identitaires des Haratines ne sont pas une menace à l’unité nationale ; elles en sont le fondement moral. La paix ne peut se bâtir sur le silence. Elle se construit dans l’écoute, la reconnaissance des torts, et le courage de réparer.

Conclusion

Aujourd’hui, les Haratines refusent l’appartenance obligatoire à une identité dominante qui ne les a jamais pleinement reconnus. Ils refusent d’être assignés à une place subalterne dans un récit national qui les marginalise. Ce refus n’est ni un rejet de la nation, ni une volonté de division : c’est une affirmation de dignité. Pour que la Mauritanie puisse enfin devenir une République juste, solidaire et plurielle, elle doit cesser d’étouffer les voix haratines. Elle doit les écouter, non par charité, mais par devoir. Car c’est à travers cette reconnaissance sincère que pourra se refonder un vivre-ensemble véritable, où chaque citoyen, quel que soit son héritage, sera pleinement reconnu dans son humanité, son histoire et ses droits.

Par Cheikh Sidati Hamadi

Expert Senior en Droits des CDWD( Communautés Discriminées sur la base de l’Ascendance et du Travail).

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