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Le projet d’hydrogène vert AMAN en Mauritanie illustre les limites du cadre mondial pour l’Afrique

Auteur :
Abdoullah Diop
Source :
cridem.org
Date de publication :
Juin 2025

Agence Ecofin) – L’hydrogène vert est au cœur des stratégies de transition énergétique et de coopération internationale. Des projets ambitieux, comme celui porté par la Mauritanie, mettent en lumière les opportunités, mais aussi les défis liés à un cadre mondial encore en construction.

La Mauritanie nourrit de grosses ambitions en matière d’énergie, qui dépassent les moyens que le système international lui fournit. Depuis l’annonce du projet AMAN porté par CWP Global, le pays est sous les feux de la rampe dans l’industrie africaine naissante de l’hydrogène vert. Mais alors que les discours politiques se multiplient, les avancées concrètes peinent à suivre.

À l’image d’autres chantiers d’envergure sur le continent, AMAN se heurte à un dilemme : un potentiel énergétique hors norme, mais un écosystème financier mondial inadapté aux réalités locales. Le projet révèle les limites d’un système international encore incapable de transformer l’option hydrogène en moteur de développement durable et équitable.

CWP expose des difficultés structurantes

Face aux spéculations sur un ralentissement ou un retrait du projet, CWP a clarifié sa position. Dans une déclaration le vendredi 6 juin, son fondateur Mark W. Crandall a réaffirmé qu’« il est hors de question que nous nous retirions de la Mauritanie ». Le groupe poursuit ses activités dans le pays en partenariat avec le gouvernement, tout en ajustant « le rythme du développement à celui des marchés mondiaux ».

Crandall insiste sur le fait que les difficultés actuelles ne sont pas liées à la Mauritanie, mais à l’incertitude mondiale sur la trajectoire de la décarbonation, l’absence de cadres réglementaires et de mécanismes d’incitation cohérents. En parallèle, son groupe travaille avec la Société nationale industrielle et minière de Mauritanie (SNIM) sur la décarbonation du bassin minier de Zouerate, dans le nord du pays.

Mais ce chantier ne suffira pas à lui seul comme incitation pour mobiliser le financement global du projet, estimé à 40 milliards USD.

La Mauritanie parmi les pays les plus compétitifs pour l’hydrogène vert

Une étude publiée en juin 2025 par divers chercheurs sur Nature Energy et intitulée « Mapping the cost competitiveness of African green hydrogen imports to Europe » vient étayer la position de CWP. Selon elle, la Mauritanie figure parmi les pays les plus compétitifs au monde pour produire de l’hydrogène vert. Dans un scénario combinant politiques publiques optimales et faibles taux d’intérêt, le coût de production pourrait être de 3,2 €/kgH₂ dans le pays d’ici 2030.

Ce potentiel est néanmoins conditionné. En l’absence de soutien politique et financier externe (garanties de prix, assurances contre les risques politiques, taux bonifiés), le coût bondirait à 4,9 €/kgH₂, rendant l’hydrogène africain moins compétitif. L’étude conclut que « la plupart des projets africains d’hydrogène vert ne seront pas viables à l’export d’ici 2030 sans une intervention publique forte du côté européen ».

Plus encore, elle souligne un déséquilibre structurel. « Le projet AMAN, équivalant à quatre fois le PIB mauritanien, expose le pays à une concentration de risques financiers hors de portée de ses institutions, malgré des ressources naturelles idéales » apprend-on.

L’hydrogène vert africain : entre ambitions locales et dépendance globale

Loin de n’être qu’un geste de communication, la déclaration de CWP illustre la position complexe dans laquelle se trouvent les acteurs du secteur. D’un côté, une volonté affichée de rester, d’investir, de structurer localement. De l’autre, une réalité systémique où les producteurs africains ne maîtrisent ni le cadre réglementaire, ni les leviers de financement, ni la structuration des marchés d’exportation.

Le projet AMAN incarne ce dilemme. Il cristallise l’écart entre les ambitions climatiques globales et la capacité du système économique mondial à intégrer les pays en développement dans une transition juste. Tant que les pays riches n’assumeront pas un rôle plus actif dans le financement, la sécurisation et la planification à long terme de l’hydrogène vert africain, ces projets risquent de rester des vitrines techniques sans base industrielle durable.

La promesse de l’hydrogène vert africain est concrète, mais elle ne tiendra que si elle s’inscrit dans un modèle de co-développement, et non dans une simple logique d’extraction à grande échelle.

Abdoullah Diop

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