Il était une fois un président : l’héritage inachevé de Sidi Ould Cheikh Abdallahi
En 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a brisé un tabou en reconnaissant les violations des droits humains. Dix-huit ans plus tard, son héritage reste inachevé.
Il était une fois un président : l’héritage inachevé de Sidi Ould Cheikh Abdallahi
Par Abdoulaziz Deme – 21 août 2025
Il y a des discours qui marquent une époque et restent gravés dans la mémoire collective, non pas pour ce qu’ils ont changé immédiatement, mais pour ce qu’ils ont osé dire. Celui prononcé en 2007 par le président feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi, paix à son âme, appartient à cette catégorie. En brisant un silence pesant sur les violations des droits humains en Mauritanie, il a ouvert une brèche dans un mur d’omerta. Dix-huit ans plus tard, le pays peine encore à refermer les plaies qu’il avait eu le courage de nommer.
Un discours historique qui brise le tabou
Dans son allocution de 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a reconnu publiquement les déportations massives, exécutions extrajudiciaires et discriminations systématiques ayant visé les Négro-Mauritaniens durant les années 1980-1990. Pour la première fois, un chef d’État mauritanien acceptait de mettre des mots sur le « passif humanitaire ». Cette reconnaissance officielle a permis d’engager un débat national, jusque-là étouffé par la peur et les pressions politiques.
Le retour des réfugiés : une promesse inachevée
Sous son mandat, Nouakchott a signé des accords avec le Sénégal et le Mali pour organiser le retour des réfugiés. Des milliers de familles déplacées par les violences des années 1990 ont pu retrouver la terre natale. Mais ces initiatives, jugées timides et lentes, ont laissé sur le bas-côté des milliers d’exilés, toujours sans solution durable en 2025. L’ironie de l’histoire est que la Mauritanie, qui n’a pas encore totalement réparé ses propres drames, accueille aujourd’hui sur son sol Syriens, Touaregs et Tamazighs en quête de refuge.
Une justice transitionnelle avortée
Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait initié des consultations nationales autour du « passif humanitaire ». Mais les grands chantiers – comme l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993 ou la mise en place de réparations équitables – n’ont jamais abouti. La justice transitionnelle est restée au stade des intentions, freinée par des résistances institutionnelles et par une volonté politique incomplète.
L’interruption brutale du rêve démocratique
Le 6 août 2008, un coup d’État mené par le général Mohamed Ould Abdel Aziz mit fin à ce frêle processus. En limogeant des hauts gradés, Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait tenté de réduire l’influence de l’armée sur la vie politique. Cette décision fut son arrêt de mort politique. Le putsch réinstalla brutalement les militaires au cœur du pouvoir, stoppant net les réformes démocratiques.
Aujourd’hui, ironie de l’histoire encore, celui qui avait brisé l’élan de réconciliation, Mohamed Ould Abdel Aziz, a été condamné par la justice mauritanienne pour détournement massif de biens publics.
Réformes sociales et économiques sacrifiées
Au-delà des questions de mémoire et de droits humains, le mandat de Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait aussi amorcé des réformes économiques et sociales pour améliorer le pouvoir d’achat et réduire les inégalités criantes. Ces initiatives furent balayées par la crise politique post-putsch. La « période rectificative » qui suivit n’avait qu’un objectif : consolider le pouvoir des militaires, reléguant au second plan les urgences sociales.
Une mémoire encore vive en 2025
Dix-huit ans après ce discours fondateur, la Mauritanie continue de porter le poids d’un héritage inachevé. Les plaies du passé ne sont pas cicatrisées, les victimes et leurs familles attendent toujours une justice digne de ce nom. Le défi de l’unité nationale reste entier, tout comme celui d’une véritable réconciliation.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait ouvert une porte que l’histoire a vite refermée. Mais son geste demeure. Dans un pays où le poids du silence a souvent été plus lourd que les mots, il fut l’homme qui osa dire : « Nous avons failli, et il faut réparer. »
Un président que l’histoire retiendra non pas pour ce qu’il a pu accomplir, mais pour ce qu’il a eu le courage d’amorcer.
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