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Le Grand dégel gouvernemental ou comment brasser de l’air en climat aride

Un tour d'horizon sarcastique du dernier Conseil des ministres : promesses, milliards et coupures d’électricité au menu d’un gouvernement en mode grande communication.

Grand dégel gouvernemental
Lors d’un point de presse aussi foisonnant que soigneusement chorégraphié, plusieurs ministres mauritaniens ont vanté les vertus d’un budget rectificatif dopé, d’un ambitieux plan énergétique, et d’une pluie de festivals estivaux. Derrière les chiffres clinquants et les formules rodées, la réalité des coupures, de la soif et des pénuries reste bien présente. Une mise en scène gouvernementale entre virtuosité rhétorique et absence de courant. Le Grand dégel gouvernemental ou comment brasser de l’air en climat aride!

Mercredi soir, les Mauritaniens ont été gratifiés d’un moment rare : un chœur polyphonique de ministres, réunis pour commenter les résultats du Conseil des ministres du matin. Un genre en soi. On y vient pour les chiffres, on y reste pour les circonvolutions. Et cette semaine, le gouvernement a mis les petits plats dans les grandes manches (millésimées) pour nous offrir ce qui s’apparente à un opéra bureaucratique grandeur nature. Spoiler : les coupures d’électricité sont une conséquence de notre succès, et les taxes sont un geste d’amour fiscal.

Budget rectificatif : la magie des virgules flottantes

Le ministre de l’Économie, tel un illusionniste en costard, a jonglé avec les milliards d’ouguiyas comme un chef de piste dans un cirque sans chapiteau. Avec 6,46 milliards de MRU sortis du chapeau – fruit d’une « efficacité fiscale » – on croirait presque que l’administration a découvert l’alchimie de la recette parfaite. La taxe sur la cigarette, désormais ornée d’un petit supplément de 10 MRU, servira donc à « protéger les consommateurs ». Une façon élégante de dire : fumez, mais financez le développement.

Et pour ceux qui s’inquiéteraient d’une hausse des dépenses, pas de panique ! Elle n’est que de 2,5 milliards MRU – une broutille quand on parle de « souveraineté budgétaire » et de « dimension sociale ». Traduction : ça coûte cher de recruter, de former, et surtout de tenir la machine étatique debout, mais on vous jure que c’est pour la bonne cause.

Electricité : quand le courant ne passe plus, on allume les promesses

Le ministre de l’Énergie s’est lancé dans une stand-up conférence en expliquant que les coupures d’électricité sont dues à… la croissance de Nouakchott. Oui, vous avez bien lu. La ville s’étend, donc elle consomme plus, donc elle saute. Rien à voir, bien sûr, avec une anticipation déficiente ou une maintenance digne d’un sketch de cheikh eddechra.

Mais qu’à cela ne tienne ! Un plan « ambitieux » (mot préféré des ministres) est en marche : 50 milliards MRU investis, une nouvelle centrale, et des kilomètres de câbles en perspective. D’ici là, Nouakchott restera plongée dans l’obscurité par intermittence, pour bien nous rappeler que la lumière, c’est comme la prospérité : ça se mérite.

Agriculture : les chiffres sont mûrs, mais la récolte est encore verte

Le ministre de l’Agriculture, quant à lui, a sorti sa meilleure moisson verbale. L’objectif ? 550 000 tonnes de riz et 240 000 tonnes de légumes. De quoi transformer le Trarza en vallée de la Loire, si l’on en croit les intentions. On y parle de mécanisation, de barrages, d’intrants, bref de tout sauf de ce que les agriculteurs sur le terrain réclament depuis des années : de l’eau, du carburant et un minimum de décence dans les délais.

Mais ne soyons pas injustes : l’autosuffisance en riz aurait été atteinte l’an dernier. À condition de ne pas tenir compte du riz importé qui orne toujours nos étals – légèrement plus blanc, légèrement plus… réel.

Eau potable : la soif de progrès

La ministre de l’Hydraulique, elle, a bravé la sécheresse verbale ambiante pour rappeler que le ministère travaille d’arrache-pied. Traduction : la pompe est amorcée, mais l’eau coule encore doucement, surtout à Nouakchott, où les robinets sont devenus des objets décoratifs dans certains quartiers.

Là aussi, des projets sont en cours : Idini va produire 100 000 m³, Aftout va doubler sa capacité, et 900 points d’eau ont été forés. Problème : entre le point d’eau et la bouteille dans l’évier, il y a parfois un désert… de logistique.

Culture & Tourisme : des festivals à la rescousse du moral

Enfin, pour égayer tout cela, le ministre de la Culture a sorti l’arme de distraction massive : 42 festivals ! Du 2 août au 2 septembre, le pays vibrera au son de la découverte des potentialités touristiques. Une bonne idée, si elle s’accompagne de routes carrossables, d’hôtels ouverts et de toilettes en état de marche. À Atar, Kiffa et Aleg, on espère que les vacanciers auront au moins… de l’électricité.

Conclusion : entre gestion et incantation

Ce point de presse aura eu le mérite de clarifier une chose : le gouvernement a une feuille de route, mais elle ressemble parfois à un GPS sans signal. Les promesses sont là, les milliards aussi. Reste à savoir si les coupures, les robinets à sec, les prix qui s’envolent et les festivals qui déboulent suffiront à faire patienter une population de plus en plus lucide.

La parole ministérielle s’est faite dense, mais une question persiste : dans cette symphonie de chiffres et d’engagements, qui entend encore le bruit de la rue ? Ou, pour paraphraser un vieux sage de Nouakchott : « Tant qu’on parle de milliards, qu’on n’oublie pas le prix du kilo de sucre. »

Ahmed Ould Bettar

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