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Ghazouani et la promesse démocratique : la Mauritanie peut-elle enfin tourner la page de son passé ?

Ghazouani et la promesse démocratique
Avec l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en 2019, la Mauritanie a connu sa première alternance pacifique entre deux présidents élus. Une étape historique aux yeux de la communauté internationale et de nombreux citoyens, mais dont les promesses initiales peinent encore à se traduire en transformations profondes. À l’heure du bilan partiel, entre espoirs éveillés et réalités persistantes, la transition mauritanienne se dessine dans les contours nuancés d’un changement prudent.

I- Une alternance historique : la symbolique d’un passage pacifique

L’élection de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en 2019 n’a pas seulement signifié l’accession d’un nouveau président au pouvoir : elle a symbolisé un moment de rupture politique dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Pour la première fois, un chef d’État élu cédait la place à un autre, également élu, sans intervention militaire, sans coup de force, sans dérapage institutionnel.

Ce transfert pacifique du pouvoir a été perçu, à juste titre, comme une avancée démocratique notable. Dans un pays où l’histoire post-indépendance est jalonnée de coups d’État, d’interruptions brutales de mandat et de dominations militaires, cette transition représentait un espoir : celui de l’instauration d’une culture démocratique stable et respectueuse des mécanismes constitutionnels.

Sur la scène internationale, la Mauritanie a récolté les fruits diplomatiques de cette exemplarité. Les félicitations ont afflué, les bailleurs internationaux ont salué l’événement, et des promesses de coopération renforcée ont émergé, notamment de la part de l’Union européenne et des partenaires africains. À l’intérieur du pays, nombre de citoyens ont vu dans cette continuité institutionnelle le début possible d’une nouvelle ère, marquée par l’apaisement politique et la consolidation démocratique.

Un président à l’image contrastée : continuité et rupture

Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est un homme du sérail. Général de l’armée, ancien chef d’état-major, ex-ministre de la Défense, il a été l’un des plus proches collaborateurs de Mohamed Ould Abdel Aziz. Pourtant, dès sa campagne présidentielle, Ghazouani a soigneusement tracé une ligne de démarcation avec son mentor.

Son style tranche avec l’attitude parfois autoritaire et clivante de son prédécesseur. Moins médiatique, plus réservé, Ghazouani a cultivé l’image d’un homme de dialogue, soucieux de consensus. Il s’est présenté comme l’artisan d’un changement modéré mais réel, axé sur la justice sociale, la bonne gouvernance et la réconciliation nationale.

Dans ses premières mesures, le ton semblait effectivement plus ouvert. La libération de certaines figures critiques du régime, le rétablissement d’un dialogue minimal avec des partis autrefois marginalisés, ainsi que des gestes symboliques en direction des communautés historiquement discriminées ont été salués comme des signaux de rupture avec les pratiques précédentes.

Réformes annoncées, attentes persistantes

Malgré des débuts prometteurs, les avancées concrètes sont restées timides. Plusieurs réformes structurelles annoncées — telles que la modernisation de la justice, la lutte contre la corruption ou encore la révision de la gouvernance des ressources naturelles — tardent à se matérialiser, ou se heurtent à des résistances internes. La société civile, dynamique et de plus en plus exigeante, s’impatiente. Les organisations de défense des droits humains dénoncent régulièrement le manque de volonté politique pour engager de véritables transformations.

Sur le plan politique, si les tensions se sont globalement apaisées, la scène demeure marquée par une forte centralisation du pouvoir, des blocages institutionnels, et une participation électorale faible, révélatrice du désenchantement d’une partie de la population. L’ouverture aux partis d’opposition, bien que réelle, reste en deçà des attentes. Nombre d’entre eux dénoncent une absence de cadre de concertation politique formel et soutenu.

La question raciale et l’inclusion nationale : le test majeur

Un des enjeux les plus sensibles de la transition Ghazouani concerne la question ethno-raciale, qui continue de diviser la société mauritanienne. Les héritages de l’esclavage, les discriminations systémiques à l’égard des Haratines et des communautés négro-africaines, ainsi que l’impunité face aux exactions passées, demeurent des plaies béantes.

Ghazouani a certes multiplié les appels au vivre-ensemble et à la cohésion sociale, mais ces discours ne suffisent plus. Les revendications des mouvements de défense des droits des Haratines et des Afro-Mauritaniens exigent des actes forts : justice transitionnelle, égalité d’accès aux fonctions publiques, réforme de l’état civil, reconnaissance des injustices historiques.

Dans ce domaine, la prudence du régime est perçue par beaucoup comme une forme d’inaction. La crainte de heurter certaines élites ou d’ébranler les équilibres sociaux semble freiner des mesures pourtant attendues de longue date.

Économie et jeunesse : entre promesses et réalités

L’économie mauritanienne, malgré ses potentiels immenses – notamment dans les secteurs minier, halieutique et plus récemment gazier – reste fragile et dépendante des fluctuations extérieures. Les efforts du président pour attirer les investissements, améliorer le climat des affaires et lancer de nouveaux projets d’infrastructure sont indéniables, mais les retombées concrètes pour la population tardent à se faire sentir.

Le chômage des jeunes demeure élevé, en particulier parmi les diplômés, et les inégalités régionales perdurent. Le programme Taazour, destiné à renforcer la protection sociale et à lutter contre la pauvreté, a certes bénéficié à de nombreux foyers vulnérables, mais il reste perçu comme insuffisant face à l’ampleur des besoins.

Une transition inachevée

À mi-chemin de son parcours présidentiel – ou à l’approche d’un second mandat si les électeurs lui renouvellent leur confiance – Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani semble incarner un paradoxe : celui d’un chef d’État porteur d’une volonté de réforme, mais enfermé dans les contraintes d’un système qu’il connaît trop bien pour le bousculer vraiment.

La transition qu’il incarne reste ainsi suspendue entre espoir et prudence, ambition et compromis. La Mauritanie ne semble plus au bord du précipice autoritaire, mais elle n’a pas encore franchi le seuil d’une démocratie véritablement inclusive, équitable et respectueuse des libertés fondamentales.

Reste à savoir si le président aura la volonté – et les moyens – de donner une impulsion plus ferme aux changements qu’il promet. Car une transition réussie ne se mesure pas seulement à la forme pacifique de l’alternance, mais aussi à la profondeur des réformes qu’elle engage. Et sur ce terrain, l’histoire jugera moins les intentions que les actes.

II Héritages lourds et défis structurels

Par-delà les apparences d’une stabilité institutionnelle retrouvée, la Mauritanie demeure profondément marquée par un passé politique lourd, fait de ruptures autoritaires, d’injustices structurelles et de fractures identitaires non résolues. À la tête du pays depuis 2019, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, général à la retraite et ancien chef des renseignements, porte la lourde charge de ce passé et la responsabilité d’amorcer une transition réelle vers un État de droit fondé sur l’égalité, la justice et l’inclusion. Mais les défis sont de taille, tant ils s’inscrivent dans un système qui a longtemps fonctionné sur la marginalisation de pans entiers de la population au profit d’une élite restreinte.

Un héritage militaro-politique encombrant

Depuis son indépendance en 1960, la Mauritanie a rarement connu une alternance politique véritablement démocratique. Hormis de brefs interludes civils, le pays a été dominé par une succession de régimes militaires issus de coups d’État. L’armée a façonné la culture politique mauritanienne : verticalité du pouvoir, absence de redevabilité institutionnelle, gestion autoritaire des conflits, et étouffement des dynamiques d’opposition.

Ghazouani est lui-même le produit de cette matrice militaire. Successeur désigné de Mohamed Ould Abdel Aziz, avec qui il a dirigé le pays pendant une décennie en tant que ministre de la Défense et conseiller rapproché, il incarne une continuité certaine. Pourtant, dès son accession au pouvoir, il a tenté d’imprimer une tonalité différente, misant sur l’apaisement politique, le dialogue avec l’opposition, et la reconnaissance des enjeux sociaux. Mais les leviers du changement restent enserrés dans un système où l’armée, les grands notables tribaux et les réseaux économiques traditionnels conservent un pouvoir considérable.

La question raciale et l’impératif d’inclusion

Au cœur des fractures structurelles qui minent la société mauritanienne se trouve la question raciale, entre Maures (arabo-berbères) et Noirs africains (communautés négro-mauritaniennes et Haratines). L’un des grands non-dits de la vie politique mauritanienne est la domination historique de la communauté maure sur les institutions, l’économie et l’appareil sécuritaire. Cette domination a souvent conduit à une marginalisation systémique des autres groupes ethniques, notamment à travers des politiques discriminatoires dans la fonction publique, l’éducation, ou encore l’accès à la terre.

La communauté haratine, issue de l’esclavage domestique, continue de vivre dans des conditions de pauvreté extrême, malgré les réformes législatives visant à abolir cette pratique. Les lois criminalisant l’esclavage, adoptées en 2007 puis renforcées en 2015, restent peu appliquées, et les rares procès aboutissent rarement à des condamnations effectives. La reconnaissance symbolique de leur souffrance et l’accès équitable aux opportunités économiques demeurent des revendications centrales pour les organisations haratines.

Quant aux populations négro-mauritaniennes, elles gardent en mémoire les événements tragiques des années 1989 à 1991 : purges ethniques dans l’armée, déportations massives vers le Sénégal et le Mali, exécutions extrajudiciaires… Le refus persistant d’une justice transitionnelle, doublé d’une amnistie de facto pour les responsables de ces violences, constitue une ligne de fracture majeure dans la quête d’unité nationale.

Des institutions verrouillées, une démocratie à construire

Malgré l’organisation régulière d’élections et l’existence d’un parlement pluraliste, le système politique mauritanien reste profondément centralisé et verrouillé. L’exécutif concentre l’essentiel des pouvoirs, tandis que les institutions de contrôle – justice, cour des comptes, haute autorité de lutte contre la corruption – peinent à faire preuve d’indépendance. Les partis d’opposition, souvent marginalisés, ont un accès limité aux médias publics et à l’espace politique réel, tandis que les coalitions citoyennes sont étouffées dans leur action par des restrictions administratives et un manque de soutien.

La presse, pourtant plus libre que dans de nombreux pays voisins, subit des pressions économiques, judiciaires et informelles. L’autocensure est devenue une norme, particulièrement sur les sujets sensibles tels que les discriminations ethniques, la corruption ou les enjeux militaires. La société civile, quant à elle, demeure dynamique mais fragmentée, souvent clivée selon des lignes communautaires, tribales ou partisanes. Sans ressources durables ni relais institutionnels, elle peine à peser dans le débat national.

Ghazouani face à ses contradictions

Le président Ghazouani semble conscient de l’ampleur des attentes. Sous son mandat, des initiatives ont été lancées : programme « Taazour » pour la lutte contre la pauvreté, promesses de réforme du système éducatif, ouverture du dialogue politique avec l’opposition. Mais ces gestes, bien que significatifs, restent limités par l’absence de réformes structurelles profondes. La question foncière dans le sud du pays, les tensions communautaires latentes, les lenteurs dans la lutte contre l’esclavage moderne, ou encore l’inaction face aux discriminations systémiques, sont autant de domaines où l’action présidentielle paraît en deçà des enjeux.

Par ailleurs, la gestion du procès de Mohamed Ould Abdel Aziz, son prédécesseur et ancien mentor, a jeté une lumière crue sur les limites de la volonté réformiste du régime. Si le procès a été présenté comme une avancée en matière de lutte contre la corruption, certains y voient aussi une manœuvre politique destinée à solder des comptes internes sans remettre en cause les fondements d’un système qui perdure.

Quel avenir pour une démocratie inclusive ?

La question centrale reste celle-ci : la Mauritanie peut-elle dépasser ses héritages pour se projeter dans une modernité politique fondée sur l’égalité des droits, la justice et l’inclusion ? Le président Ghazouani dispose encore d’un capital politique relativement solide, renforcé par un style de gouvernance plus consensuel que conflictuel. Mais ce capital s’érode face à l’impatience des forces sociales et à la montée d’une jeunesse plus revendicative, instruite et connectée, qui refuse les silences du passé.

La transition vers une démocratie véritablement inclusive passe par des actes forts : mise en place d’une justice transitionnelle indépendante, réforme profonde du système éducatif pour lutter contre la reproduction des inégalités, refonte des politiques publiques pour une redistribution équitable des ressources, et ouverture réelle de l’espace politique et médiatique.

À défaut, la stabilité actuelle pourrait n’être qu’une parenthèse, susceptible d’être refermée par le retour des frustrations identitaires et des logiques autoritaires. En Mauritanie, la paix sociale repose sur une équation fragile : la reconnaissance sincère de la diversité et la volonté politique d’en faire une richesse, plutôt qu’un facteur de division. Le président Ghazouani est à la croisée des chemins : prolonger la logique d’un pouvoir de continuité ou inaugurer, enfin, celle de la refondation.

III Le paradoxe du pouvoir Ghazouani

En effet, depuis son investiture en août 2019, Mohamed Ould Ghazouani s’est efforcé de rompre, dans le ton sinon dans les faits, avec le style autoritaire de son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz. Sous des airs calmes et mesurés, l’ancien général reconverti en président civilisé a cultivé l’image d’un homme d’écoute, soucieux de l’apaisement national et de l’unité sociale. Mais derrière cette façade d’ouverture, les blocages politiques, sociaux et institutionnels subsistent. À tel point que certains observateurs parlent aujourd’hui d’un « paradoxe Ghazouani » : une volonté de réformer freinée par les structures mêmes qui ont porté le pouvoir.

Une présidence modérée, un style qui tranche

Ce qui frappe d’abord chez Ghazouani, c’est son ton. Contrairement à Ould Abdel Aziz, dont les sorties publiques étaient souvent tranchantes et belliqueuses, le président actuel adopte un registre de réconciliation. Ses discours prônent la justice sociale, la reconnaissance des diversités ethniques et la lutte contre les injustices historiques. En ce sens, des initiatives ont été lancées : création d’un Observatoire national des droits de l’homme, mise en place d’un comité de suivi sur l’esclavage, multiplication de signaux en faveur d’un climat plus ouvert pour les journalistes et les ONG.

« Il y a clairement eu un changement de ton. On peut désormais parler plus librement, critiquer l’action du gouvernement, organiser des conférences sans craindre la répression immédiate », reconnaît Khady Mint Ely, journaliste et militante associative.

Mais ces avancées, bien que réelles, peinent à convaincre une partie de l’opinion. Car à mesure que les promesses se succèdent, les structures profondes de l’État continuent de résister au changement.

L’ombre de l’ancien régime

Les piliers de l’ancien système restent solides. Les réseaux de pouvoir, largement hérités de l’ère Ould Abdel Aziz, maintiennent leur emprise sur l’administration, l’économie informelle et les institutions judiciaires. Le système clientéliste, fondé sur des alliances tribales, militaires et économiques, freine toute tentative de réforme en profondeur.

« Le président parle de réformes, mais il gouverne avec les hommes de l’ancien régime. Il n’a pas osé couper avec eux, car ils sont les garants de la stabilité du système », analyse un ancien cadre du ministère de l’Intérieur sous couvert d’anonymat.

Le procès très médiatisé de Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en décembre 2023 à cinq ans de prison pour enrichissement illicite, a été présenté par le pouvoir comme un tournant historique. Mais pour de nombreux Mauritaniens, ce procès n’a pas levé les doutes sur l’indépendance de la justice. Certains y voient une manœuvre politique visant à neutraliser un rival devenu gênant, plus qu’une démonstration de rigueur morale.

« Ce procès aurait pu marquer une rupture, mais il a laissé un goût d’inachevé. On ne juge pas un système, on juge un homme. Et les autres, ceux qui ont profité du système avec lui, sont toujours là », déplore Brahim Ould Sidaty, professeur de droit à l’Université de Nouakchott.

Le dialogue national, espoir avorté ou transition lente ?

En 2022, le régime a tenté d’ouvrir un nouveau chapitre avec le lancement d’un dialogue national inclusif. Plusieurs formations politiques d’opposition, des acteurs de la société civile et des intellectuels y ont participé. L’initiative a été saluée, mais elle reste inachevée.

Les principales recommandations — réforme du système électoral, refonte de la gouvernance locale, meilleure répartition des ressources — n’ont toujours pas été traduites en actes. À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, beaucoup craignent que ces engagements ne soient relégués à de simples promesses électorales.

« Le dialogue n’est pas mort, mais il est en suspens. Il manque une volonté politique ferme pour le faire aboutir », résume Hamidou Sow, coordinateur d’un collectif pour l’inclusion politique des minorités.

Une société en mutation

Malgré les lenteurs institutionnelles, la société mauritanienne se transforme à grande vitesse. L’émergence d’une jeunesse éduquée, polyglotte, connectée, bouleverse les codes établis. Elle refuse l’assignation ethnique, tribale ou sociale. Elle réclame un État plus juste, plus représentatif, plus efficace.

Les réseaux sociaux sont devenus les nouveaux espaces de débat. TikTok, Facebook, X (ex-Twitter) et WhatsApp fonctionnent comme des agoras virtuelles. On y dénonce les abus policiers, les détournements de fonds, les discriminations structurelles. L’information circule plus vite que les démentis officiels.

« La génération 2000 ne croit plus aux figures traditionnelles du pouvoir. Elle veut un contrat social fondé sur l’égalité, pas sur l’appartenance », affirme Fatimetou Abdallah, doctorante en sociologie.

Femmes et citoyenneté en action

Les femmes aussi prennent de plus en plus leur place dans l’espace public. Si les discriminations restent nombreuses — en matière d’accès à l’emploi, de représentation politique ou de sécurité — elles sont de plus en plus nombreuses à investir les milieux associatifs, culturels et même politiques.

Les collectifs féminins dénoncent les violences sexistes, les mariages précoces, le harcèlement et les inégalités de salaires. Des figures émergent, loin des cercles habituels du pouvoir. Certaines défendent une laïcisation partielle de l’espace public, d’autres plaident pour une réforme du droit de la famille.

« Les femmes n’attendent plus d’être invitées, elles s’imposent. Elles redéfinissent la citoyenneté à leur manière », souligne la juriste Mouna Mint Yacoub.

Entre ouverture et contrôle

Ce mouvement social ne va pas sans tensions. L’État reste méfiant. Des activistes sont arrêtés pour des posts sur les réseaux sociaux. Certains médias indépendants subissent des pressions économiques. Des rassemblements sont parfois interdits.

Le pouvoir joue donc une partition ambiguë : favoriser un climat d’ouverture tout en gardant la mainmise sur les leviers de contrôle.

« On est dans une logique de ‘liberté surveillée’. Le pouvoir veut éviter l’explosion, mais il redoute l’émancipation totale des forces critiques », résume un politologue mauritanien.

Un avenir à définir

Le paradoxe Ghazouani est là : une volonté affichée de réformer, mais des moyens limités par une structure étatique fondée sur le compromis avec les forces du passé. La transition annoncée est donc partielle, hésitante, parfois contradictoire.

Pour qu’elle s’accomplisse, elle devra s’appuyer davantage sur les forces vives du pays : jeunesse, femmes, intellectuels, diaspora, mouvements citoyens. Car c’est dans la rue, les universités, les quartiers périphériques et les forums en ligne que s’écrit désormais l’avenir démocratique de la Mauritanie.

Et celui-ci ne se satisfera pas de demi-mesures.

 VI   Les scénarios possibles : entre refondation et inertie 

Alors que la présidence de Mohamed Ould Ghazouani entre dans une phase décisive, l’avenir démocratique de la Mauritanie se joue à la croisée de plusieurs chemins. Si certains signaux peuvent nourrir un optimisme prudent, d’autres, plus alarmants, appellent à la vigilance. Quels scénarios se dessinent pour les années à venir ? À quelles conditions une véritable transition démocratique peut-elle advenir ? Et quels risques guettent si les réformes promises restent lettre morte ?

1. Le pari du courage politique

Au cœur de toute hypothèse de refondation, se trouve une exigence essentielle : la volonté politique du sommet de l’État. Pour de nombreux analystes, c’est là que tout commence — ou s’arrête.

« Le président Ghazouani n’est pas prisonnier de son prédécesseur, mais il reste prisonnier d’un système qu’il connaît trop bien pour le défier frontalement », estime Lalla Bint Amar, analyste politique à Nouakchott.

Le « scénario volontariste » suppose un acte de rupture clair avec les réseaux clientélistes, l’assainissement de l’administration publique, et l’impulsion d’une gouvernance fondée sur la compétence et l’éthique. Cela impliquerait aussi de renoncer à certains équilibres tribalo-militaires, quitte à affronter des résistances internes.

Un pari risqué, mais nécessaire, selon plusieurs figures de la société civile : « Si le président ne rompt pas maintenant avec les compromis du passé, il deviendra lui-même un acteur de la continuité plutôt qu’un facteur de changement », affirme Brahim Ould Ely, avocat et militant des droits humains.

2. Une réforme institutionnelle en profondeur

Un deuxième axe de transformation concerne les institutions républicaines. Malgré quelques gestes symboliques, la structure actuelle du pouvoir reste marquée par un déséquilibre profond entre l’exécutif et les autres pouvoirs.

Une réforme constitutionnelle pourrait être le socle d’une nouvelle donne démocratique : limitation effective des mandats, indépendance renforcée de la justice, autonomisation du Parlement, décentralisation réelle des pouvoirs vers les collectivités locales.

Mais ce chantier reste à l’état d’intention.

« On a un pouvoir législatif affaibli, une justice sous influence et une administration qui obéit plus aux loyautés personnelles qu’aux principes de droit. Sans réforme de fond, le système tournera en rond », avertit Mariem Diagana, magistrate retraitée.

3. Une citoyenneté inclusive ou l’échec de l’unité nationale

La Mauritanie reste traversée par des fractures identitaires et sociales anciennes : oppositions entre Maures blancs (bidân) et Haratines, entre communautés négro-africaines et élites arabophones, entre zones urbaines et rurales, entre anciens esclavagisés et dominants d’hier.

Un véritable processus de démocratisation ne pourra aboutir sans reconnaître formellement la diversité culturelle, linguistique et historiquedu pays. Cela implique l’usage égalitaire des langues nationales (arabe, pulaar, soninké, wolof), la mise en place de politiques de réparation, la reconnaissance des torts historiques, et une lutte effective contre l’exclusion sociale.

Le risque du statu quo est grand : marginalisation accrue des jeunes, résurgence des tensions communautaires, repli identitaire.

Mais des voix s’élèvent. « Il faut en finir avec l’illusion d’une identité unique. La Mauritanie est plurielle. Il faut écrire une histoire commune qui ne nie pas les douleurs de chacun », plaide Djiby Sow, universitaire et acteur du dialogue intercommunautaire.

4. L’enjeu de l’engagement international

L’un des paradoxes de la transition mauritanienne est qu’elle se joue à l’ombre d’une diplomatie prudente, mais courtisée. En position stratégique entre Maghreb, Sahel et Atlantique, la Mauritanie attire l’attention de partenaires multiples : Union africaine, Union européenne, Nations unies, Banque mondiale, etc.

Mais cette position géopolitique lui offre aussi une marge de manœuvre ambivalente. Le pouvoir peut se prévaloir de sa stabilité relative et de son rôle dans la lutte contre le terrorisme pour obtenir un soutien sans condition.

Pourtant, un appui conditionné au respect des réformes démocratiques, à la transparence budgétaire et aux droits humains pourrait constituer un levier puissant. À condition que la communauté internationale rompe avec le double langage.

« On ne peut pas continuer à applaudir la stabilité tout en fermant les yeux sur l’absence de réformes. La stabilité durable n’existe pas sans justice sociale », tranche une diplomate européenne en poste à Nouakchott.

5. Un tournant citoyen : vers une refondation par le bas ?

Au-delà des institutions, la société mauritanienne elle-même est en mouvement. Jeunes, femmes, diasporas, mouvements sociaux, collectifs interethniques : de nouvelles dynamiques émergent, contournant les canaux traditionnels du pouvoir.

Des campagnes contre le tribalisme, des appels pour la justice transitionnelle, des forums sur la citoyenneté égalitaire… Autant de signaux que la transition pourrait aussi venir d’en bas. Encore faut-il que ces voix soient entendues, protégées, institutionnalisées.

« Ce sont les marges qui font aujourd’hui le centre du débat », résume Ely Ould Mokhtar, sociologue. « Mais tant qu’elles seront ignorées ou réprimées, la fracture s’agrandira. »

6. Trois scénarios plausibles à l’horizon 2030

À la croisée de ces dynamiques, plusieurs trajectoires se dessinent :

Scénario 1 : Réforme progressive mais limitée. Ghazouani engage quelques réformes (justice, décentralisation, droits humains), mais sans toucher aux fondements clientélistes du système. Le régime gagne du temps, mais reste fragile.

Scénario 2 : Refondation démocratique ambitieuse. Une alliance entre volonté présidentielle, pression citoyenne et soutien international permet d’ouvrir un nouveau cycle politique fondé sur la justice, la diversité et l’inclusion. L’État de droit devient réalité.

Scénario 3 : Repli autoritaire déguisé. Face aux résistances et à l’accélération des revendications sociales, le pouvoir réactive les logiques de contrôle : répression ciblée, recentralisation, instrumentalisation du droit. La stabilité devient illusoire.

Conclusion :

La Mauritanie est aujourd’hui à un tournant historique. Le pouvoir de Mohamed Ould Ghazouani a ouvert une fenêtre d’opportunité démocratique, mais celle-ci est fragile et incertaine. Tout dépendra de la capacité des autorités à rompre avec les compromis hérités, à écouter les nouvelles forces sociales, et à garantir à tous les citoyens un accès égal à la dignité, à la parole et à la décision.

Car une démocratie inclusive n’est pas un luxe dans un pays comme la Mauritanie. Elle est la seule garantie d’une stabilité durable, d’un développement équitable et d’un vivre-ensemble apaisé, après des décennies d’exclusions, de silences forcés et de récits tronqués.

L’histoire n’attendra pas. Et le peuple non plus.

Un militaire à la conquête du pouvoir civil: une gouvernance en mutation lente

Ahmed Ould Bettar

Sources & Bibliographie

1. Rapports et documents institutionnels

Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) – Mauritanie, Rapport annuel sur les droits humains, 2023.
Office du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (ONU), Mauritanie : situation des droits humains et recommandations, 2022.
Observatoire national des droits de l’homme (ONDH), Rapport d’évaluation des politiques publiques en matière de lutte contre l’esclavage, Nouakchott, 2023.
Union européenne Accords de partenariat et feuille de route pour la gouvernance démocratique en Mauritanie*, Délégation UE à Nouakchott, 2022.
* **Banque mondiale**, *Mauritanie : Diagnostic systématique-pays, 2021.
Transparency International, Indice de perception de la corruption : Mauritanie, édition 2023.

2. Articles et médias

Jeune Afrique, « Mauritanie : les limites du pouvoir consensuel de Ghazouani », avril 2024.
Le Monde Afrique, « Dialogue national en Mauritanie : consensus fragile, réformes incertaines », novembre 2022.
RFI Afrique, « Procès Ould Abdel Aziz : justice ou vengeance d’État ? », dossier spécial, janvier 2023.
Sahara Médias, « Mauritanie : société civile, tribalisme et jeunesse militante », février 2024.
La Tribune Afrique, « Mauritanie : la jeunesse, entre révolte sourde et espoir de changement », octobre 2023.
BBC Afrique, « Esclavage en Mauritanie : entre avancées légales et réalités sociales », décembre 2022.

3. Ouvrages et publications académiques

Ahmed Salem Ould Mohamed, La Mauritanie entre l’armée et la démocratie, Karthala, 2013.
Feu Cheikh Saad Bouh Kamara, Mauritanie : les chemins de la démocratie ?, L’Harmattan, 2016.
Abdellahi Wagne, Identités en tension : citoyenneté et diversité en Mauritanie contemporaine, Éditions du Sahel, 2021.
Fatimata Sy, Femmes, société et pouvoir en Mauritanie, Centre d’études sahéliennes, 2020.
Mohamed Fall Ould Bah, « Clientélisme et réformes inabouties dans l’État mauritanien contemporain », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°148, 2023.

4. Discours et déclarations officielles

Discours du président Mohamed Ould Ghazouani, à l’ouverture du Dialogue national inclusif, Nouakchott, septembre 2022.
Allocution du ministre de la Justice sur l’indépendance du parquet et les réformes judiciaires, mars 2023.
Déclarations publiques de collectifs citoyens, plateforme « Mouvement pour une Mauritanie Plurielle », 2023-2024.

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