Espagne-Mauritanie : une alliance stratégique renforcée à Nouakchott, sur fond de tensions migratoires aux Canaries
Lors de la première réunion de haut niveau à Nouakchott, l’Espagne et la Mauritanie ont annoncé un renforcement de leur coopération en matière de migration, de sécurité et de développement, tandis que plus de 800 mineurs restent bloqués aux Canaries dans l’attente d’une prise en charge.
Espagne-Mauritanie
Nouakchott, 16 juillet 2025 – Rapide info
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a achevé ce mercredi à Nouakchott la première Réunion de Haut Niveau (RHN) entre l’Espagne et la Mauritanie, marquant une étape historique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Cet événement diplomatique sans précédent s’est soldé par l’annonce d’un renforcement significatif de la coopération dans des domaines clés tels que la sécurité, la gestion des flux migratoires et le développement économique.
Mais cette avancée diplomatique intervient dans un contexte migratoire tendu : aux îles Canaries, plus de 800 mineurs non accompagnés restent en attente de prise en charge officielle, dans un flou juridique persistant malgré une décision ferme de la Cour suprême espagnole.
Une réunion stratégique entre partenaires clés
Dans une atmosphère empreinte de cordialité mais aussi de gravité face aux enjeux communs, Pedro Sánchez et son homologue mauritanien, le Premier ministre Mokhtar Ould Diay, ont salué une nouvelle ère de collaboration. L’Espagne considère la Mauritanie comme un partenaire stratégique incontournable dans le Sahel, à la fois pour sa stabilité relative dans une région en proie à des crises sécuritaires, et pour son rôle de pays de transit dans les routes migratoires vers l’Europe.
« La Mauritanie est un pilier essentiel de la stabilité régionale, et notre coopération repose sur le respect mutuel et la volonté partagée de relever ensemble les défis contemporains », a déclaré Pedro Sánchez à l’issue de la réunion.
Plusieurs accords sectoriels ont été signés, notamment dans la lutte contre le trafic de migrants, le renforcement des capacités sécuritaires mauritaniennes, et le soutien au développement durable. L’Espagne a également promis d’augmenter son aide au développement en faveur des régions mauritaniennes les plus exposées à la pauvreté et à la pression migratoire.
Migration : des engagements sur le terrain, mais une réalité contrastée
Alors que les responsables espagnols louaient à Nouakchott les efforts conjoints pour « endiguer les départs irréguliers » depuis les côtes mauritaniennes, la situation dans l’archipel des Canaries vient assombrir cette dynamique.
À ce jour, 827 mineurs non accompagnés restent bloqués sur les îles, dans des centres d’accueil saturés et souvent inadéquats. Malgré une décision contraignante de la Cour suprême espagnole obligeant l’État central à assumer leur tutelle, le gouvernement Sánchez a manqué à deux reprises les délais imposés, laissant les autorités locales des Canaries gérer seules une crise aux conséquences humaines préoccupantes.
Le président des Canaries, Fernando Clavijo, a dénoncé « l’inaction intolérable » de Madrid. « Nous ne pouvons pas continuer à porter seuls une responsabilité qui incombe à l’ensemble du pays. Ces enfants ont des droits, et ils sont en train d’être violés », a-t-il déclaré devant le Parlement régional.
Des critiques à Madrid, des attentes à Nouakchott
Si la RHN avec la Mauritanie a été présentée par le gouvernement espagnol comme un succès diplomatique, les critiques s’élèvent en Espagne, notamment du côté des ONG de défense des droits humains et de plusieurs formations politiques, qui accusent le gouvernement de faire preuve de « duplicité » : d’un côté, il prône une politique humaniste en Afrique, et de l’autre, il tarde à assumer ses responsabilités sur le sol national.
Pour les autorités mauritaniennes, cette coopération renforcée reste une opportunité majeure : elle permet non seulement de capter davantage de financement pour ses politiques de développement, mais aussi d’asseoir sa légitimité internationale en tant que partenaire fiable dans la lutte contre la migration irrégulière.
Une coopération durable ou une stratégie de dissuasion ?
Au-delà des annonces officielles, plusieurs analystes s’interrogent sur la véritable nature de cet accord. Nombre d’observateurs voient dans cette RHN une nouvelle forme de « délégation migratoire », où l’Europe externalise le contrôle de ses frontières aux pays du Sud, sans pour autant résoudre les causes profondes des migrations.
Interrogé par El País, un expert en relations euro-africaines souligne : « Ces partenariats sont utiles s’ils s’accompagnent de mécanismes clairs de respect des droits humains et d’inclusion économique. Sinon, ils risquent d’alimenter une spirale de répression et d’exclusion dans les pays de transit. »
En conclusion
La première Réunion de Haut Niveau entre l’Espagne et la Mauritanie symbolise une volonté affirmée de construire un partenariat stratégique face aux enjeux migratoires, sécuritaires et économiques. Mais elle met aussi en lumière les contradictions internes de la politique espagnole, entre ambitions internationales et réalités nationales mal maîtrisées.
Le sort des mineurs aux Canaries, en attente d’une prise en charge conforme au droit, reste un test décisif pour la crédibilité de l’engagement humanitaire affiché par Madrid.
Encadré – Chiffres clés
827 : nombre de mineurs non accompagnés bloqués aux îles Canaries.
1ère RHN : une première entre l’Espagne et la Mauritanie.
200 millions € : montant de l’aide espagnole à la Mauritanie.
12% : part estimée des migrants arrivés aux Canaries en 2024 en provenance de Mauritanie.