QUELQUES QUESTIONS AU VICE-PRÉSIDENT DE L’UFP LE PROF. GOURMO ABDOUL LÔ
Entretien avec le Vice-Président de l'UFP, Prof. Gourmo Abdoul Lô : Analyse de la situation en Mauritanie
GOURMO ABDOUL LÔ
QUELQUES QUESTIONS AU VICE-PRÉSIDENT DE L’UFP LE PROF. GOURMO ABDOUL LÔ
Dans un contexte politique, social et géopolitique de plus en plus tendu, le vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP), le Professeur Gourmo Abdoul Lô, livre une analyse lucide et sans concession de la situation en Mauritanie. Dans cet entretien exclusif accordé à Rapide Info, il revient sur les défis majeurs auxquels le pays est confronté : crise de gouvernance, fractures sociales, pauvreté galopante et menaces extérieures. Pour lui, seule une volonté politique forte, adossée à un dialogue inclusif et à des réformes courageuses, peut encore éviter au pays le pire.
1. Quelle évaluation faites-vous de la situation générale du pays?
La situation de notre pays fait penser à celle d’un porte avions en difficultés dans une mer trés agitée et face à des ennemis multiples.
Sur le plan interne, la politique dite d’apaisement suivie par le Président Ghazouani durant son premier mandat et accueillie favorablement par une partie de l’opinion publique et de la classe politique a laissé entrevoir une sortie favorable d’une décennie de crise multidimensionnelle permanente (parfois aigue) entre un pouvoir autoritaire, gabégique et populiste et une opposition divisée, pusillanime et velléitaire. Cette politique d’apaisement en définitive a été décevante: tous les dialogues, y compris ceux ayant abouti à la conclusion d’accords comme le pacte républicain ont été jetés par dessus bord. Certaines réformes fondamentales ont été adoptées comme celle de la justice. Le projet est encore dans les tiroirs on ne sait trop pourquoi alors qu’il est à mon avis l’un des plus consensuels et l’un des plus substantiels jamais conçus dans le pays depuis l’indépendance. Le régime semble faire du surplace tout en entreprenant paradoxalement des manœuvres de reforme de grande ampleur par exemple en matière d’état civil ( double nationalité) ou en matière d’éducation ( introduction de toutes nos langues nationales). Tout semble bouger en mieux sans que rien ne bouge vraiment sauf parfois en pire, comme certaines lois ouvertement liberticides, par exemple sur les partis politiques ! Donc, d’une part, des promesses et même des signes de changement positifs réels qui ont donné et donnent encore espoir et, de l’autre, des signes de persistance et même d’amplification des pratiques anti-démocratiques et même dictatoriales de la décennie écoulée. Voilà, au plan politique interne, comment les choses se présentent à tout observateur objectif. A quoi il faut ajouter la poursuite des difficultés au plan de l’unité nationale et de la cohésion sociale, des conditions de vie trés difficiles des masses populaires, particulièrement des jeunes et des catégories sociales opprimées etc…
La situation extérieure n’est pas plus reluisante, tant le chaos semble s’installer durablement dans notre voisinage immédiat comme à l’est, au sahel, ou risque d’éclater au nord en raison des développements graves de la question du Sahara et des ingérences étrangères multiples qu’elle occasionne du point de vue de la géopolitique régionale et mondiale. Une énorme tempête se prépare. Et nous risquons d’en être le cœur battant à terme…
Les défis auxquels le pays est confronté sont existentiels et de plusieurs ordres. Ils touchent à notre stabilité politique étant donné l’impossibîité de notre système politique à gérer de manière satisfaisante les rapports entre les acteurs politiques comme on le voit, élection après élection. Ils touchent encore plus profondément à notre unité nationale et à notre cohésion sociale étant donné l’amplification sans précédent des pratiques et actes de discrimination qui sont quasiment devenus systémiques. Les groupes les plus radicaux dans leur vision d’une Mauritanie mono-ethnique voire monoraciale et parfois même monotribale ont littéralement pris l’Etat-nation en otage. Ce sont eux qui sabotent toute velléité de changement progressiste et de normalisation de la vie politique et sociale. Enfin ces défis majeurs concernent la survie même d’une grande partie de nos populations ( toutes communautés et toutes tribus confondues) dont les conditions de vie se sont dégradées d’une manière incroyable. En 2023, l’indice de pauvreté multidimensionnelle ( un niveau de pauvreté qui se traduit dans de multiples privations en même temps) est en moyenne de 57%. C’est à dire que plus de 6 personnes sur 10 vivent dans une grande misère dans de nombreux domaines de la vie courante. En zone rurale, la catastrophe est inimaginable. 8 personnes sur 10 vivent dans cette situation. En particulier dans l’est du pays. Au Guidimagha cette pauvreté multidimensionnelle touche 90 % de la population. Ce sont là des chiffres officiels . Voilà pourquoi tout est objet de frustrations et de confrontations dans le pays. Chacun, dans la misère regarde l’Etat et aussi son voisin, attendant son appui et l’égalité de traitement. Au lieu de cela, les trafics en tous genres, la corruption et l’opulence d’une petite minorité de gros corrompus , la discrimination dans la maigre redistribution des biens et services etc persistent plus que jamais et même, dans certains cas, s’amplifient dans l’impunité la plus spectaculaire. Nul ne croit plus en la justice ni en l’administration. On croit aux lobbys et aux bras longs. C’est tout. Ce sont là des défis existentiels. Le non réglement des questions que posent ces défis porte une atteinte directe à notre unité en tant que nation et à notre souveraineté en tant que pays… Le Président de la République et l’actuel Premier Ministre semblent en être conscients pour ce que j’en sais plus ou moins directement. Il leur reste à relever effectivement ces défis avant la fin de ce mandat. Sinon il nous sera difficile de nous en sortir par la suite…
2. Quelles priorités alors parmi les mesures à prendre ?
D’abord la question du climat politique est décisive car c’est à travers la politique qu’un pays respire et exprime sa volonté collective. Donc sans assainissement du climat politique les risques que nous courons vont s’amplifier inéluctablement et trés facilement, par le jeu des acteurs politiques. Dans ce cadre, la tenue et la réussite du dialogue inclusif et sans tabous annoncé par le Chef de l’Etat lui même constitue pour moi la priorité des priorités en matière politique dans la situation actuelle. L’autre priorité est la mise en œuvre de la réforme de la justice. Sans la réalisation des mesures de cette réforme rien ne sera jamais crédible de ce qui pourrait être annoncé par le pouvoir en place. La justice est tout dans un pays. Sans elle la dérive du pays se poursuivra. Enfin, au vu de la situation difficile des ménages, l’Etat devrait davantage veiller à l’accessibilité aux ressources de base en adoptant davantage de mesures sociales et en pesant davantage sur la fixation des prix de certaines denrées. Des efforts ont été faits. Il faut les accélérer et, surtout les amplifier. Il faut un peu moins de « libéralisme » et un peu plus de « socialisme » dans les politiques économiques publiques.
3. Quelle évolution politique envisager suivant quels scénarios possibles ?
Il faut rappeler que nous sommes engagés dans une droite : celle du 2 ème et dernier mandat de l’actuel Président. Nous sommes dans un paysage politique issu d’élections générales hors normes, les élections les plus contestées de toute l’histoire politique du pays. Même les partis de la Majorité en sont sortis sonnés tellement la fraude et les manipulations électorales ont été massives. Le paysage politique qui en est sorti le voilà: une rupture béante entre les acteurs politiques devenus extrêmement méfiants les uns à l’égard des autres comme jamais auparavant. L’assemblée nationale est une foire à empoigne et les communes de simples excroissances de l’administration centrale. De tout cela il résulte que de profonds changements doivent être opérés pour une établir une authentique normalité démocratique, un équilibre entre les institutions de la République, un jeu régulier dans les rapports entre le pouvoir et l’opposition et un élan commun vers l’entente nationale, l’unité et la stabilité du pays. C’est le seul scénario viable, conforme aux intérêts de notre nation et aux vœux renouvelés de toute la classe politique. C’est ce scénario qui est attendu comme devant résulter des accords que pourraient conclure les acteurs du dialogue attendu. Le second scénario ne pourrait être envisagé que trés négativement : c’est celui du chaos, du particularisme identitaire et de la corruption systémique.
4. Quel rôle de l’opposition et de la société civile pour renforcer la démocratie et la bonne gouvernance ?
L’opposition a pour objectif stratégique de remplacer le gouvernement en place en accédant à son tour au pouvoir. Le rôle stratégique de la société civile est de veiller à la pérennité des intérêts vitaux de la collectivité quel que soit le gouvernant du moment. Leurs objectifs spécifiques se recoupent sans se confondre. Dans la conjoncture actuelle elles additionnent leurs efforts pour assainir le climat politique et assurer la normalisation démocratique des rapports entre les différents acteurs politiques par le dialogue inclusif et les compromis nécessaires. Il est important de préciser que l’un des rôles majeurs de la société civile est de contribuer par son entregent, son détachement vis à vis des calculs politiques étroits et parfois de courte vue, de contribuer à lever les malentendus, à formuler des propositions de compromis et à » forcer » la main des acteurs politiques pour la décrispation et l’apaisement préventifs.
5. Quelle initiative ou proposition de l’UFP pour contribuer à la résolution pacifique des tensions ?
Il n’y a pas de recette miracle. Il y’a le dialogue, encore le dialogue et toujours le dialogue comme voie privilégiée pour prévenir les conflits ou pour les résoudre dans la conjoncture historique oû se trouve le mouvement progressiste démocratique dans le monde, chez nous plus particulièrement. La seule alternative au dialogue c’est la guerre. Celle-ci n’est pas dans l’intérêt de nos peuples aujourd’hui. Notre politique est donc celle d’avoir et de soutenir toutes initiatives pour un dialogue véritable. Celle en cours est de cette nature. Nous appelons l’opposition à ne pas perdre son temps et son énergie dans la dispersion et dans des querelles inutiles. Elle doit s’unir dans la main qu’elle doit tendre au pouvoir pour aller ensemble au dialogue avec des propositions claires, nettes, réalistes et de progrès pour sortir le pays de l’ornière et le faire avancer plus loin et plus haut dans un monde en pleine mutation.
Propos recueillis par : Ahmed Ould Bettar
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