Entretien exclusif avec Josep Borrell

Entretien exclusif avec Josep Borrell

Dans cet entretien le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Joseph Borrell, en visite en Algérie, s’est exprimé sur l’accord de partenariat entre l’Algérie et l’Union Européenne, la crise diplomatique en Alger et Madrid, l’importance de l’Algérie pour l’UE dans le domaine énergetique et son souhait d’y investir dans les énergies renouvelables.

L’Algérie a exprimé, au plus haut niveau, sa volonté de revoir l’accord d’association avec l’Union européenne pour des considérations liées à l’échec de cet accord, vieux de plus de 20 ans, à suivre le rythme de ses aspirations à diversifier son économie et à accroître ses capacités d’exportation après être restée un simple marché pour les matières premières européennes. Comment voyez-vous cette demande et quelle est votre appréciation du niveau des relations aujourd’hui ? 

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie est la pierre angulaire d’un partenariat que l’Union européenne veut solide et stratégique, avec un voisin très important pour nous. Nous considérons qu’il contient les éléments nécessaires, tant juridiques qu’institutionnels, pour atteindre nos objectifs communs conformément aux intérêts de chacune des deux parties.

C’est plutôt de la mise en œuvre de cet accord qu’il faudrait rediscuter. Comment exploiter tout son potentiel ? Nous devons être plus pragmatiques et efficaces, et cela, dans tous les domaines. En 2015-2016 un travail important avait été engagé dans ce sens conjointement par l’UE et l’Algérie. Les recommandations issues de ces échanges restent toujours d’actualité.

Pour ce qui est plus de l’aspect commercial de l’accord, les exportations de l’UE vers l’Algérie ont diminué de 45% depuis 2015 et la balance commerciale est en faveur de l’Algérie, si nous incluons les exportations d’hydrocarbures. Comme les autorités algériennes, nous pensons qu’il existe un énorme potentiel non réalisé dans ce domaine. Pour l’exploiter, il nous faut améliorer la mise en œuvre de l’Accord en vigueur. Les règles qu’il prévoit doivent en particulier être pleinement respectées, sans discriminations.

Toutefois, nous sommes bien sûr prêts à écouter des propositions concrètes selon les règles prévues par l’accord et sur la base de ce que nous faisons déjà avec d’autres partenaires.

Comment voyez-vous l’effort fait par l’Algérie pour soutenir la sécurité énergétique de l’Europe en échange de la faiblesse des investissements européens en Algérie, notamment sa non contributionà l’achèvement du gazoduc « Nigal » entre le Nigeria, le Niger et l’Algérie vers l’Europe?  

L’Algérie est un partenaire clé de l’UE dans le domaine de l’énergie. En tant que fournisseur fiable de gaz naturel, elle joue un rôle très important pour la sécurité des approvisionnements énergétiques européens, et ce, à un moment clé. Nous en sommes conscients et reconnaissants.

Nous souhaitons consolider et approfondir ce partenariat mutuellement bénéfique en travaillant ensemble pour relever le double défi de la sécurité et de la soutenabilité énergétiques. Nous sommes prêts à intensifier la coopération euro-algérienne afin de faciliter les investissements dans ce domaine stratégique.

Les investissements européens dans le secteur énergétique algérien restent les plus importants. Les efforts engagés en Europe pour diversifier durablement nos sources d’approvisionnement en gaz ainsi que la nouvelle loi sur les hydrocarbures adoptée en Algérie contribueront à attirer de nouveaux investissements européens.

Mais nous voulons aussi inscrire notre partenariat avec l’Algérie dans une perspective de long terme. Les investissements européens dans de nouveaux projets d’infrastructure doivent servir à la transition énergétique, car l’Union Européenne entend atteindre la neutralité carbone comme convenu lors de la Conférence de Paris. Par conséquent, le soutien financier de l’UE se concentre sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et l’hydrogène. L’Algérie dispose d’un excellent potentiel dans ces domaines, encore peu exploité. L’Europe est prête à mobiliser technologies et capitaux pour accompagner leur développement en Algérie.

La crise entre l’Algérie et l’Espagne dure depuis un an, après le changement de position de Madrid sur la question du Sahara occidental, que l’Algérie considère comme une renonciation aux responsabilités de l’Espagne, considérée comme l’ancienne colonie et la puissance gestionnaire conformément aux décisions de l’ONU. Comprenez-vous la position algérienne ou êtes-vous partisan de la proposition espagnole ?  

Je suis en Algérie en ma qualité de Haut Représentant de l’Union Européenne. La position de l’Union européenne sur le Sahara Occidental exprime le consensus de ses 27 États membres et elle n’a pas changé. L’UE soutient le processus des Nations Unis visant à parvenir à une solution politique qui soit juste, réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable est qui repose sur le compromis en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.

En revanche nous déplorons les entraves sérieuses introduites depuis juin 2022 par l’Algérie aux échanges commerciaux avec l’Espagne, à l’exception du gaz. Ce blocage est très préjudiciable à la mise en œuvre de notre Accord d’association et n’est dans l’intérêt de personne. Je suis convaincu qu’une solution est possible, et nous devons œuvrer ensemble pour la trouver rapidement, dans notre intérêt mutuel, pour surmonter les blocages existants et éliminer toute entrave à nos échanges.

L’Algérie accuse la partie espagnole d’entraver le Conseil d’association entre l’Algérie et l’Union européenne en utilisant la règle de l’unanimité, selon les propos d’un haut responsable du ministère algérien des Affaires étrangères. Ce problème existe-t-il encore aujourd’hui et quand pensez-vous que ce Conseil se réunira ?  

L’organisation du prochain Conseil d’Association est, de fait, effectivement bloquée pour l’instant. Personne ne gagne à cette situation. Il est dans notre intérêt comme dans celui de l’Algérie de trouver une solution le plus rapidement possible. L’Union européenne souhaite retrouver la dynamique positive que nous avions réussi à injecter ensemble dans notre partenariat, grâce notamment à une coopération renforcée pendant la crise du Covid-19. Je suis confiant dans le fait que nous trouverons une solution satisfaisante à cette question.

Un an après le conflit russo-ukrainien, quel bilan faites-vous de la situation et de ses répercussions internationales ? Y a-t-il des solutions à l’horizon ? 

L’impact de la guerre en Ukraine s’étend bien au-delà des frontières européennes. L’usage à des fins militaires de l’énergie et des céréales par la Russie appauvrit en effet de nombreux pays en développement et menace leurs populations. Nous œuvrons pour limiter les conséquences de cette guerre en matière de sécurité alimentaire. Les couloirs de solidarité que nous avons mis en place en mai 2022 ont permis d’exporter 25 millions de tonnes de céréales et produits agricoles ukrainiens. Nous devons également œuvrer tous ensemble pour faire pressions sur la Russie afin qu’elle prolonge l’Initiative céréalière de la mer Noire, qui arrive à échéance le 18 mars, et la mette en œuvre de bonne foi.

Par ailleurs, personne ne pourra être en sécurité demain dans le monde si un pays puissant peut se permettre d’envahir un voisin plus faible pour le dépecer dans une logique impérialiste comme l’a fait la Russie. C’est pour cela qu’une mobilisation mondiale contre cette est essentielle. L’Ukraine a proposé un plan de paix et l’Union européenne travaille étroitement avec elle sur ce sujet. Et nous voulons le faire avec le soutien du plus grand nombre de pays et de partenaire. Avec une majorité écrasante de 141 pays, le vote récent de l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur d’une paix juste pour l’Ukraine marque un pas positif dans cette direction.

Source: elkhabar

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