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Entre Mythes et Réalités : Comprendre l’Immigration Sénégalaise en Mauritanie

Entre Mythes et Réalités : Comprendre l’Immigration Sénégalaise en Mauritanie
Il existe une perception erronée chez certains Mauritaniens selon laquelle l’immigration sénégalaise en Mauritanie serait la conséquence d’un prétendu développement supérieur de la Mauritanie par rapport au Sénégal. Selon cette vision simpliste, les Sénégalais viendraient chercher à profiter des ressources et des opportunités économiques mauritaniennes, allant même jusqu’à « manger le Nguemou » des Mauritaniens, c’est-à-dire leur prendre leur part des richesses et des emplois.

Cette manière de voir les choses repose sur plusieurs préjugés et méconnaissances. Tout d’abord, elle ignore le fait que les flux migratoires entre la Mauritanie et le Sénégal ne sont ni nouveaux ni unidirectionnels. Historiquement, ces deux pays ont toujours entretenu des liens migratoires, commerciaux et culturels. Il y a des Mauritaniens qui s’installent également au Sénégal pour des raisons économiques, éducatives ou familiales, sans que cela ne suscite le même type de discours.

Ensuite, croire que la Mauritanie serait un eldorado pour les Sénégalais sous-entend que le pays offrirait des conditions de vie et des opportunités bien meilleures, ce qui est discutable.

Enfin, cette vision traduit un certain repli identitaire et une peur infondée de la concurrence économique car le retard économique de la Mauritanie face au Sénégal est flagrant

Analyse d’un écart grandissant

La Mauritanie et le Sénégal partagent une histoire commune et des liens géographiques, culturels et économiques étroits. Pourtant, force est de constater que l’écart économique entre les deux pays s’est considérablement creusé au fil des décennies, plaçant la Mauritanie dans une position de faiblesse par rapport à son voisin du sud. Ce retard s’explique par plusieurs facteurs structurels, institutionnels et politiques qui ont freiné le développement du pays.

Une gouvernance économique inefficace et instable

L’un des principaux freins au développement économique de la Mauritanie réside dans l’inefficacité et l’instabilité de sa gouvernance. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu une succession de régimes militaires et autocratiques, caractérisés par la corruption, le népotisme et une mauvaise gestion des ressources publiques. Contrairement au Sénégal, où la stabilité politique et l’alternance démocratique ont favorisé un climat propice aux investissements, la Mauritanie a longtemps souffert d’une gestion économique chaotique, éloignant ainsi les investisseurs étrangers et limitant le dynamisme du secteur privé.

Le Sénégal a su mettre en place des institutions solides, facilitant la mise en œuvre de réformes économiques ambitieuses. De son côté, la Mauritanie est restée prisonnière d’un système économique basé sur la rente, où les élites accaparent les richesses au détriment du développement national.

Un tissu économique plus diversifié au Sénégal

Le Sénégal a su diversifier son économie en développant plusieurs secteurs clés :

• L’agriculture et l’agro-industrie : Grâce à des investissements dans l’irrigation et la modernisation des techniques agricoles, le Sénégal est devenu un acteur majeur dans la production d’arachides, de fruits et de légumes, exportant même vers l’Europe. En revanche, la Mauritanie, malgré son potentiel agricole considérable dans la vallée du fleuve Sénégal, reste dépendante des importations alimentaires.
• Les services et le numérique : Dakar est devenue une véritable plaque tournante des services en Afrique de l’Ouest, attirant des entreprises internationales et développant un secteur numérique dynamique. La Mauritanie, quant à elle, peine à suivre le rythme, avec un secteur des services encore embryonnaire et un faible accès aux infrastructures technologiques.
• Le tourisme : Grâce à sa stabilité et à ses infrastructures développées, le Sénégal attire des millions de touristes chaque année. Pendant ce temps, la Mauritanie, qui possède pourtant un immense potentiel touristique (désert, patrimoine historique, biodiversité), reste marginalisée à cause de l’insécurité et du manque d’investissement dans le secteur.

Une exploitation inefficace des ressources naturelles

Les deux pays possèdent des ressources naturelles importantes, mais le Sénégal a su mieux les exploiter.

• Pétrole et gaz : Les découvertes de gisements offshore à la frontière entre les deux pays auraient pu être une opportunité de développement partagé. Cependant, le Sénégal a pris une longueur d’avance en mettant en place une stratégie claire pour tirer profit de ces ressources, tandis que la Mauritanie, empêtrée dans des problèmes de gouvernance et d’opacité, tarde à structurer son exploitation.
• Pêche : La Mauritanie dispose de l’un des plus grands stocks halieutiques d’Afrique, mais sa politique de gestion des ressources maritimes est inefficace. La surpêche par des flottes étrangères et l’absence d’une industrie locale performante privent le pays des bénéfices de cette richesse. À l’inverse, le Sénégal a développé une industrie de la pêche plus intégrée, avec des infrastructures de transformation et une main-d’œuvre qualifiée.

Infrastructures et connectivité : un autre fossé entre les deux pays

Le Sénégal a investi massivement dans les infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunications, ce qui a renforcé son attractivité économique. Le pays dispose aujourd’hui de routes modernes, d’un réseau ferroviaire en développement et d’un aéroport international à Dakar qui en fait un hub régional.

En Mauritanie, les infrastructures sont nettement insuffisantes :

• Un réseau routier limité : De nombreuses régions restent enclavées, ce qui freine le commerce intérieur et extérieur.
• Un accès à l’électricité inégal : Alors que le Sénégal a progressé dans l’électrification rurale, la Mauritanie souffre encore de coupures fréquentes et d’une dépendance aux énergies fossiles.
• Des ports sous-exploités : Le port autonome de Nouakchott reste loin derrière le port de Dakar en termes de capacité et de modernisation, limitant ainsi le développement du commerce maritime.

Capital humain et éducation : un retard criant en Mauritanie

Le Sénégal a misé sur l’éducation et la formation professionnelle pour accompagner son développement économique. Son système éducatif, bien qu’imparfait, produit une main-d’œuvre qualifiée qui alimente les secteurs de l’industrie, des services et du numérique.

En Mauritanie, le système éducatif est en crise depuis des décennies. Le manque d’investissement dans l’éducation et la formation professionnelle a entraîné un chômage massif, notamment chez les jeunes. De plus, les inégalités ethniques dans l’accès à l’éducation ont encore aggravé la situation, privant une partie de la population de réelles perspectives d’avenir.

Un réveil urgent s’impose pour la Mauritanie

Le retard économique de la Mauritanie face au Sénégal n’est pas une fatalité, mais il résulte de choix politiques et économiques désastreux. Si le pays veut rattraper son voisin, il doit impérativement :

1. Réformer sa gouvernance pour instaurer un climat de confiance et attirer les investissements.
2. Diversifier son économie au-delà de la rente minière et pétrolière.
3. Exploiter intelligemment ses ressources naturelles, en favorisant une industrie locale plutôt que de brader ses richesses à des intérêts étrangers.
4. Investir massivement dans les infrastructures pour désenclaver les régions et améliorer la connectivité.
5. Miser sur l’éducation et la formation professionnelle afin de produire une main-d’œuvre qualifiée et compétitive.

Sans une véritable remise en question et un changement de cap stratégique, la Mauritanie continuera à s’enfoncer dans un retard économique croissant, la condamnant à une dépendance toujours plus grande vis-à-vis de ses voisins et partenaires étrangers.

Sy Mamadou

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