Enquête : Mali : Le processus de paix toujours dans l’impasse

Enquête : Mali : Le processus de paix toujours dans l’impasse

Le 18 août 2020, le Mali, pays sub-saharien, a enregistré son 4ème coup d’Etat depuis son  indépendance en 1960.  Ce coup de force fait suite à des manifestations  des membres du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Les manifestations ont été parfois violemment réprimées par les forces de l’ordre et de sécurité.

maliweb.net – Un Président de Transition est désigné à la suite des journées de Concertations nationales lesquelles ont également défini une charte dite : « Charte de la transition » dont la durée a été fixée à 18 mois. Les autres organes de transition, seront, par la suite, mis en place non sans quelques critiques venant du principal mouvement de contestation qu’est le M5-RFP.

Des grands axes de la charte de la transition et de la feuille de route ont été définis pour un chronogramme de 18 mois à compter de la date d’investiture du Président de la Transition le 25 septembre 2020. Elle comprend 6 axes qui sont :

Axe 1: Renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire National : Diligenter la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ; Accélérer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants dans le Nord et le Centre du pays ;  procéder à la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense ; Redéployer les forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national.

Axe 2: La promotion de la bonne gouvernance : Restaurer l’autorité et l’utilité sociale de l’Etat  à travers la fourniture des services sociaux de base ; Promouvoir la citoyenneté, le civisme à travers l’éducation et la culture ;  Renforcer la lutte l’impunité et accélérer la lutte contre corruption ; Rationaliser les dépenses publiques en réduisant le train de vie de l’Etat ; Auditer la gestion des fonds alloués aux structures de la sécurité,  de la défense et de la justice dans le cadre des lois d’orientation et de programmation.

Axe 3: Refonte du système éducatif : Négocier un moratoire avec les partenaires sociaux de l’éducation en mettant en place un cadre de concertation régulier ; Organiser des assises nationales sur l’éducation ; Engager une Refonte du système éducatif.

Axe 4: Parachever le processus de réorganisation territoriale ; Reformer le système électoral en prenant en compte les Maliens établis à l’extérieur ;  Elaborer et adopter une nouvelle constitution ; Poursuivre le sentier de la régionalisation.

Axe 5: Adoption d’un pacte de stabilité sociale : Engager le débat sur les questions de société, le rôle des autorités coutumières et religieuses, les questions de la pratique de l’esclavage ainsi que le statut de la femme ; Relancer le Dialogue avec les groupes radicaux Maliens ; Engager le dialogue entre les communautés et acteurs locaux en conflit ; Créer les conditions favorisant le retour des déplacées et réfugiés ; Accélérer le processus d’indemnisation des victimes depuis 1960.

Axe 6: Organisation des élections.

Après quelques mois de transition, on constate que le climat socio-politique, est toujours tendu. Aujourd’hui, entre les militaires au pouvoir et le principal mouvement de contestation (M5-RFP), la tension est palpable. Ce dernier accuse les « putschistes » de non-respect des engagements pris ensemble au lendemain de la chute du régime IBK ; des engagements qui n’ont jamais été rendus publics mais, on pourrait croire que les deux entités s’étaient mises d’accord de se concerter pour la transition. Le M5-RFP vient de rassembler ses militants le dimanche 21 février 2021 pour un meeting au cours duquel il dit vouloir « rectifier » la transition car, cette transition, dit-il, ne prend pas en compte les vraies aspirations du peuple malien et menace de descendre dans la rue, si les choses restaient en l’état.

Choguel K. MAIGA,  un membre de ce mouvement, fustige les « tentatives de marginalisation de l’ensemble de la classe politique par les Autorités de la Transition relativement aux questions politiques et électorales, et les fuites en avant pour détourner l’attention du Peuple sur les priorités de la Transition à travers des pseudo-opérations coup de poing de démolition d’immeubles dans la zone aéroportuaire, alors que les Autorités sont plutôt attendues sur le terrain de la lutte contre l’insécurité, le recouvrement de l’intégrité du territoire national, le retour de l’Administration et des services sociaux de base, la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger,  la lutte contre la corruption, l’assainissement de la gouvernance des affaires publiques , etc. »

Cela démontre à quel point la tension politique est palpable et cela pourrait s’aggraver au fur et à mesure qu’on se rapprochera des élections dont l’enjeu est capital.

Le principal défi pour la transition, c’est d’arriver à un consensus autour des réformes envisagées et de l’organisation des élections, afin d’éviter une contestation post-électorale qui plongera de nouveau le Mali dans une crise profonde. Les enjeux autour desquels le minimum de consensus doit être trouvé, il y a la création d’un organe unique de gestion des élections pour éviter à nouveau des crises postélectorales ; les réformes politiques et institutionnelles ; l’accord pour la paix et la réconciliation ; l’organisation des élections.

Car la  crise post-électorale nous avions vécu  suite à  la proclamation des résultats définitifs de l’élection législative par la cour constitutionnelle, intervenue le 30 avril 2020, qui se sont traduits par des barricades, des pneus brûlés sur des routes et artères dans certaines circonscriptions électorales, notamment à Sikasso, Bougouni, Kati, les communes  1, 5 et 6 du District de Bamako, qui a vite précipiter la chute de l’ancien régime d’Ibrahim Boubacar Keita. C’est pour cela, il urge pour les responsables de la transition de faire une évaluation inclusive de l’élection présidentielle de 2018 et des élections législatives de 2020 par tous les acteurs impliqués dans la gestion des élections, dans le but de diligenter des reformes électorales et constitutionnelles plus poussées. Ces réformes doivent permettre de corriger les dysfonctionnements et de pérenniser les bonnes pratiques au Mali.  Et cela permettra aux maliens de privilégier le dialogue et à se retenir par rapport à toutes formes de violences, et à respecter les libertés individuelles et collectives par les autorités de la transition. Convaincue que seules des réformes politiques et électorales urgentes permettront de rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions pour une transition paisible.

Le Premier ministre Moctar Ouane a  rencontré  la classe politique en début du mois de février 2021. A cette occasion, le chef du gouvernement de transition, voulait être rassurant vis-à-vis de la classe politique en ce qui concerne la bonne marche de la transition. Pour lui, personne ne sera laisser de côté et que le Mali a besoin de tous ses fils et filles, pour relever les défis auquel le pays est confronté. Cela suffira-t-il pour sauver le processus de paix au Mali ?

L’Accord de Paix signé à contre cœur peine à trouver son chemin

L’accord de Paix et de réconciliation national  issu du processus d’Alger,  signé à Bamako les 15 mai et 20 juin 2015 entre le Gouvernement et les Groupes armés rebelles  du Mali, peine à se frayer le chemin de l’espoir tant attendu par les Maliens. Un retard a été observé dans la mise en œuvre de cet accord. Le dernier rapport  de l’Observateur indépendant du Centre Carter souligne, en effet, peu de progrès dans la mise en œuvre de l’Accord.La Communauté internationale à travers le conseil de sécurité de l’ONU, a menacé de sanctions ceux et celles qui mettraient à mal le processus. La 43ème session  du comité de suivi de l’accord a pu démarrer quelques semaines seulement après la visite de six membres du Gouvernement à Kidal (Bastion de la rébellion).Cette session sans parvenir à faire progresser de façon satisfaisante la mise en œuvre de l’Accord, montre à suffisance toutes les difficultés dans la recherche de la paix au Mali. La principale difficulté de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali procède de l’impossibilité d’appliquer ledit accord en l’état. Depuis 2015, des voix maliennes se sont élevées pour dénoncer un accord qui consacre de fait la partition du Mali. Toutes les questions restent ouvertes notamment la mise en route du Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), etc. Certes, l’on peut dire qu’un pas vers la paix a été fait en voyant les 451 ex-combattants ayant réussi aux différents tests d’aptitude, arriver à Bamako pour suivre leur formation militaire notamment au centre de formation de Koulikoro (Ville situé à 60 km de Bamako). Cependant le chemin est encore long avant de parvenir à une intégration totale des anciens combattants de la rébellion au sein de la future armée dite reconstituée. Les Maliens espèrent que le Gouvernement de la Transition saura défendre avec la dernière rigueur les intérêts vitaux de la République.

Grogne sociale des travailleurs une menace pour la paix

Les autorités de la transition  n’ont pas eu de temps de grâce. A  peine installées que des revendications jaillissent de partout. Tantôt, c’est la classe politique qui pose des revendications, tantôt ce sont les syndicats des travailleurs qui déposent des préavis de grève pour non satisfaction de leur cahier de doléances. Il ne se passe  plus un mois au Mali sans que des préavis de grèves ne soient déposés. Les arrêts de travail qui suivent ces préavis, paralysent le pays. Pour les fonctionnaires, l’Etat a pu trouver un protocole d’accord signé entre l’Union des travailleurs du Mali(UNTM) et le Conseil National du Patronat du Mali, le vendredi 5 février 2021. Ce protocole d’accord pourrait,  pour le moment, apaiser le climat social. Il y a l’impérieuse nécessité pour  l’ensemble des Maliens de s’impliquer pour la recherche de solutions aux conflits actuels. Pour cela, il faut œuvrer à faire cesser les hostilités entre les communautés et favoriser le retour de la paix et la confiance entre tous les Maliens. C’est le principal défi pour les autorités de la transition qui doivent œuvrer en même temps à faciliter le retour des déplacés, l’insertion économique des femmes et des jeunes.

Aujourd’hui, la grogne sociale ne faiblit toujours pas au Mali. Si ça perdure,  cela pourrait conduire le pays vers de sérieux problèmes économiques. Il urge donc d’organiser un forum social pour une sortie de crise, comme le préconisent certains acteurs politiques.

Mali pays très militarisé mais sur le plan sécurité ça va mal !

Des groupes armés qualifiés de terroristes sont à l’offensive au centre et nord du Mali avec des attaques, des poses d’engins explosifs contre des positions de l’armée malienne et des forces étrangères. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne parle d’attentats et d’attaques de groupes terroristes contre des positions militaires. Avec la crise sécuritaire qui secoue le pays depuis maintenant neuf ans, la situation s’est considérablement dégradée et les atteintes aux libertés se sont multipliées. Les atteintes sont moins sévères, mais le nord et le centre du pays demeurent une zone extrêmement dangereuse.

Depuis 2012, de graves violations et abus des droits humains, dont certains peuvent être qualifiés de crimes relevant du droit international, sont commis au Mali. Des civils, y compris des enfants, sont victimes de tueries et de violences sexuelles. De nombreuses procédures judiciaires ont été ouvertes contre des membres de groupes armés mais aussi contre des éléments des forces armées maliennes. Des enquêtes sont ouvertes en attendant de connaitre la vérité. La force conjointe appelée G5 Sahel, est créée pour lutter contre le Groupe armée terroriste mais manque de moyens et peine à lutter efficacement contre le terrorisme. Cette force essuie souvent les tirs terroristes et fait de son mieux pour se protéger et protéger les populations.

Voilà qui résume la situation actuelle du G5 Sahel du nom de cette force militaire réunissant cinq pays du Sahel qui sont le Burkina, le Niger, la Mauritanie, le Mali et le Tchad. La création de cette force avait suscité beaucoup d’espoir dans la perspective de vaincrele terroriste dans le Sahel.  L’argent promis  à cette force peine à tomber et ce malgré l’implication au plus haut niveau des chefs d’Etats du Sahel et avec eux, le président français Emmanuel Macron en tête.

Des villes et villages entiers ont été détruits par des attaques attribuées à des groupes terroristes appartenant à l’Etat islamique ou à Amadou Kouffa. Cela a provoqué des vagues de déplacés vers des terres moins hostiles. Il n’est plus un secret pour personne que les soldats maliens et du G5 Sahel ne sont pas équipés à hauteur de souhait et qu’ils peuvent difficilement venir à bout du terrorisme.  Le pire est que cette crise sécuritaire s’est déplacée du Nord et centre jusqu’au sud du Mali, où on voit désormais des bandits attaqués, braqués des populations et les dépouiller  de leurs biens et cela parfois en pleine journée. Il faut bien admettre que la dégradation de la situation sécuritaire au Mali et dans tout le Sahel, favorise la prolifération des armes.

Ce qui s’est passé à Boulikéssi, soulève l’épineuse question de la préparation des troupes notamment en matière de respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les exactions sont de nature à fragiliser la crédibilité de la FG5 auprès des partenaires internationaux et réduire son soutien international que les États du G5 Sahel souhaiteraient voir encore plus important qu’il l’est aujourd’hui.

Le terrorisme se nourrit de la pauvreté dans le Sahel malien. C’est du moins à cette conclusion que sont parvenus la quasi-totalité des analystes. L’ex-président et Feu Amadou Toumani Touré a été le plus convaincu à l’affirmer depuis bien longtemps.

Aujourd’hui les dirigeants pays du G5 Sahel conviennent qu’il n’y a pas de victoire possible contre-terrorisme avant de gagner la guerre contre l’extrême pauvreté dans le Sahel. Et c’est pourquoi, ensemble, avec les partenaires au développement il a été initié en faveur des pays du G5 Sahel un Programme dit d’investissement prioritaire (le PIP).

Combien sont-ils ces hommes en armes présents au Mali pour un si peu de résultat ? Question difficile parce qu’en effet : il y a :

– ceux de la Minusma, avec un effectif de quelques 15 000 hommes (dont 12 169 militaires, 1741 policiers et 1 180 civils). Ce qui fait de la Minusma l’une des plus importantes opérations militaires de l’ONU dans le monde,

– ceux de Barkhane qui est aujourd’hui la plus grande opération militaire de la France à travers le monde. En effet, les militaires français de la force Barkhane sont estimés à quelques 4 500 hommes qui font suite aux 1 700 français de l’opération Serval,

– ceux de la Force G5 Sahel avec quelques 5 000 hommes fournis par les cinq pays qui sont le Burkina, la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad à déployer dans le Sahel,

– ceux communément appelés les jihado-terrroistes dont personne ne connaît le nombre et qui sont la cible et la raison d’être même de cette grande présence militaire au Mali,

– ceux de l’EUTM estimés à quelques 600 soldats originaires de presque tous les pays d’Europe, arrivés au Mali en vue, dit-on, de former les militaires maliens et désormais ceux de G5 Sahel pour un coût estimé à près de 60 millions d’Euros.

Les conséquences avec des attaques terroristes meurtrières, les déplacements massifs des individus vers l’intérieur et l’extérieur du pays, la destruction des services sociaux de base, un conflit inter communautaire au centre. C’est face à ce constat désastreux que nous pourrions dire qu’il urge aux Maliens et aux amis du Mali de s’unir pour la recherche d’une paix durable et d’un développement socioéconomique au Mali.

Bokoum Abdoul Momini/maliweb.net

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