En Libye, le « coworking » attire des jeunes en mal de connexion


AFP , publié le 17 février 2021
Réunion dans l’espace de coworking de Nuqta dans la capitale libyenne Tripoli le 19 janvier 2021 – Mahmud TURKIA
Espace de travail partagé mais surtout espace connecté dans un pays où les coupures de courant et d’internet sont fréquentes, les établissements de « coworking » se multiplient à Tripoli, attirant de jeunes libyens en mal de connexion.

Avec la dégradation de la situation en Libye, en proie aux divisions et aux ingérences étrangères depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, ces espaces de travail partagés sont en plein essor, en particulier dans la capitale où vit plus de la moitié de la population.

C’est à Tripoli que les coupures d’électricité, d’internet et d’eau durent le plus longtemps. Alors les opérateurs de « coworking » n’hésitent pas à mettre les moyens: groupes électrogènes imposants, panneaux solaires, onduleurs, s’érigeant même parfois en fournisseurs d’accès à internet

Nuqta, 1st Center, Space340, Hive Space, Massaha… dans ces nouveaux lieux, des clients, souvent jeunes, viennent aussi chercher de quoi nourrir leur créativité, lancer leur entreprise ou rencontrer des personnes ayant les mêmes centres d’intérêt.

« Les gens viennent pour nos services mais aussi parce qu’ils s’y sentent bien », assure Youssef al-Rayan, chargé de projets à Nuqta, l’un des premiers espaces de « coworking » à Tripoli, créé fin 2017. Lui-même fréquentait ce lieu situé dans une rue très commerçante de Tripoli, avant d’y être engagé.

« Welcome to your space » (« Bienvenue dans votre espace », NDLR), proclame une banderole en noir et blanc à l’entrée du bâtiment de trois étages à la façade vitrée.

Une fois à l’intérieur, le visiteur est coupé du brouhaha des embouteillages et klaxons.

  • « Communauté » –

Les formules sont aussi variées que les besoins: bureaux privatifs, salles de réunion et espaces partagés, ou des « quiet rooms » avec des postes de travail, internet haut débit et casiers sécurisés.

Certains travaillent sur la terrasse surplombant la rue ou profitent de la cafétéria après avoir passé commande via une application.

« Je ne m’imagine pas enfermé toute la journée dans un bureau. Travailler de 08H00 à 15H00 ne garantit pas nécessairement un rendement », témoigne un « coworker », Mohamad al-Mahjoub, 23 ans, concepteur de sites internet. « Je suis bien plus productif en travaillant quand et où je veux. »

« Tout ce qu’il me faut c’est une très bonne connexion internet, de l’électricité, la climatisation en été, et un endroit sympa pour rencontrer et échanger avec d’autres jeunes », dit-il.

Les principaux opérateurs organisent des « hackathons » (compétition entre développeurs) ou des « workshops » en tous genres, parfois financés par des entreprises ou des organisations comme l’ONU.

« Nous avons créé une communauté de freelancers (…) mais avons aussi servi de liaison entre investisseurs et créateurs de PME », se félicite Youssef al-Rayan.

  • Sécurité –

La guerre a toutefois empêché pendant un temps cette communauté de se retrouver.

Au début de l’offensive du maréchal, tous ces espaces ont fermé « car il était difficile de savoir où les missiles et les obus allaient tomber », explique M. Rayan.

D’avril 2019 à juin 2020, les troupes de l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, ont tenté, sans y parvenir, de prendre le contrôle de Tripoli, siège du Gouvernement d’union nationale, reconnu par l’ONU.

Les habitants de Ain Zara, en banlieue de la capitale et terrain de violents combats, ont notamment dû abandonner leurs domiciles.

Mais « la sécurité physique ne suffisait plus (…) », témoigne une déplacée, Madiha al-Amari, 24 ans. « Sans accès à internet et sans courant, les espaces de coworking sont devenus l’endroit où je pouvais préserver ma santé mentale », confie l’étudiante, en 5e année de médecine.

Les espaces de « coworking » ont ensuite été investis par des Tripolitains en télétravail à cause de la pandémie de Covid-19, ou par des étudiantes mal à l’aise dans les cafés où il y a « trop de bruit, trop de fumée et trop de garçons », selon Manara al-Alem, qui a monté son business sur les réseaux sociaux.

« Les parents des jeunes filles les accompagnaient pour avoir une idée du lieu (…) et très vite, ils se sentaient rassurés », confirme M. Rayan.

Il souligne l’attrait du « respect des mesures de prévention au Covid-19 », ayant officiellement touché plus de 110.000 personnes en Libye.

Qu’ils soient clients ou employés, les mêmes mots reviennent pour décrire Nuqta: « c’est une petite famille, une communauté à part ».

rtl.be

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