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Élection de Sidi Ould Tah à la BAD : les coulisses d’une victoire diplomatique mauritanienne

Le 29 mai 2025, le Mauritanien Sidi Ould Tah a été élu président de la Banque africaine de développement (BAD) avec 76 % des voix. Si ce score semble écrasant, il cache une campagne diplomatique méticuleuse, révélée dans un entretien accordé à RFI par le chef de la diplomatie mauritanienne, Mohamed Salem Ould Merzoug. Analyse d’une élection qui témoigne d’un repositionnement stratégique de la Mauritanie sur la scène panafricaine.

À Abidjan, le 29 mai dernier, le nom du nouveau président de la Banque africaine de développement (BAD) est tombé : Sidi Ould Tah, ancien directeur général de la BADEA, l’a emporté haut la main avec 76 % des voix au troisième tour. Pourtant, à en croire de nombreux observateurs, son principal concurrent, le Zambien Samuel Munzele Maimbo, ancien vice-président de la Banque mondiale, faisait figure de favori. Ce retournement apparent trouve son explication dans les coulisses diplomatiques d’une campagne savamment orchestrée.

Une stratégie bâtie sur un an de présidence de l’UA

Dans un entretien accordé à Christophe Boisbouvier de RFI, le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzoug, dévoile les étapes clés de cette stratégie gagnante. Le socle de cette victoire, explique-t-il, est le travail de fond mené durant l’année 2024, alors que le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani assurait la présidence tournante de l’Union africaine.

« Ce mandat a été le terreau fertile sur lequel nous avons construit toute notre stratégie », affirme Ould Merzoug. Avant même la déclaration officielle de la candidature de Sidi Ould Tah, une campagne diplomatique avait été lancée, sous l’autorité directe du président Ghazouani.

L’art de bâtir un consensus discret

Parmi les soutiens précoces, celui du président ivoirien Alassane Ouattara s’est révélé décisif. D’autres poids lourds africains ont rapidement suivi : le Nigeria, plus gros contributeur de la BAD, l’Égypte, l’Algérie, et le Maroc. L’Afrique du Sud, qui avait sa propre candidate, a naturellement voté pour elle. Toutefois, selon Ould Merzoug, « tous les autres gros contributeurs africains ont voté pour notre candidat. »

Ce large soutien régional tranche avec la prudence, voire la réticence, de certains membres non africains. Les États-Unis, à en croire le ministre, n’auraient pas soutenu la Mauritanie au premier tour. Mais la stratégie mauritanienne s’est appuyée sur une règle simple : la discrétion et la persévérance.

Une victoire africaine… mais pas seulement

L’élection de Sidi Ould Tah s’est jouée à la fois sur la mobilisation du continent et sur un minimum de soutien chez les actionnaires non régionaux. Interrogé sur la répartition des votes, le ministre refuse de confirmer des préférences supposées chez les Européens ou les Asiatiques, mais insiste : « Il y a eu une alchimie entre les pays africains et les non africains. »

Le soutien d’États comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), aux côtés de celui de la France, illustre une géométrie diplomatique complexe mais habilement gérée par Nouakchott.

Décryptage : Une Mauritanie qui change d’échelle

Au-delà de l’élection elle-même, cette victoire consacre un changement d’envergure de la diplomatie mauritanienne. Longtemps perçue comme marginale sur la scène panafricaine, la Mauritanie démontre aujourd’hui une capacité de mobilisation continentale, jusque dans les cercles financiers internationaux. Cette percée est aussi à mettre au crédit d’un leadership présidentiel plus actif que ne le laissent entendre les déclarations officielles.

Si cette victoire témoigne d’un indéniable réussite diplomatique, elle pose aussi une question de fond : pourquoi les journalistes mauritaniens sont-ils si peu associés à ce type d’analyse et de couverture ? Tandis que les médias locaux figurent parmi les plus consultés sur le web pour l’actualité nationale, ce sont encore les grands médias étrangers, comme RFI, qui obtiennent les confidences exclusives. Un paradoxe que la profession en Mauritanie connaît trop bien.

Conclusion :

L’élection de Sidi Ould Tah à la tête de la BAD n’est pas le fruit du hasard, mais d’une opération diplomatique méthodique menée dans l’ombre. Elle reflète la montée en puissance d’une Mauritanie stratégique et consensuelle, tout en soulignant les défis persistants de la liberté d’expression et de l’accès à l’information indépendante dans le pays. Une avancée sur la scène africaine qui appelle aussi à des progrès en matière de transparence médiatique nationale.

Rédaction Rapide Info

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