Editorial : La ville de Nouakchott confrontée au stress hydrique
Editorial : La ville de Nouakchott confrontée au stress hydrique
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L’approvisionnement en eau de la ville de Nouakchott continue à se poser avec acuité et les populations souffrent régulièrement le martyre pour obtenir leur ration quotidienne du précieux liquide.
En effet la pénurie d’eau actuelle qui se poursuit depuis plusieurs semaines frappe de plein fouet les populations notamment celles situées dans des zones peu ou pas pourvues par le réseau ainsi que dans des quartiers situés dans des endroits élevés et pénalisés par leur situation géographique.
Nécessité de situer les responsabilités
La situation est d’autant plus complexe que le président de la République en personne est monté au créneau pour comprendre les origines du problème et chercher à apporter les solutions les plus idoines.
En déplacement mercredi dans la station de pompage de Béni Naji le président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a ordonné l’ouverture d’une enquête pour savoir d’où vient exactement le problème.
L’on se rappelle que ces derniers jours, le ministre de l’hydraulique et le directeur général de la Société Nationale d’Eau (SNDE) ont invoqués tour à tour la hausse anormale du taux d’argile dans l’eau ce qui bloquerait son traitement par les machines et le manque d’entretien des installations du projet Aftout-Essahili.
Et pourquoi justement cette absence d’entretien qui ne date pas d’aujourd’hui ? Pourquoi tant de négligence ?
L’on se rappelle en effet qu’en juin 2021, le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement de l’époque, M. Mohamed El Hassen Ould Boukhreiss interpellé par le Parlement sur les problèmes d’approvisionnement d’eau à Nouakchott avait noté que le projet Aftout Sahli prévoyait le pompage de 150 m cube par jour jusqu’à 2020 qui serait portée à 230 m cube, soulignant l’absence de maintenance du projet depuis sa création en 2010, ce qui avait-il dit a freiné cette augmentation.
Le ministre avait également affirmé que l’absence de maintenance de la station de Beni-Naji fait qu’elle ne produit que 120 m cube au lieu de 150, précisant que la réalisation d’une 4ème station en 2015 et l’installation d’un générateur à Tiguint qui devrait fonctionner en 2020 n’ont pas eu lieu.
Donc comme on le voit bien ce problème de maintenance ne date pas d’aujourd’hui. Pourquoi alors n’a-t-il pas été réglé depuis ?
Quoiqu’il en soit il est paradoxal que le spectre de la soif continue à planer sur la ville de Nouakchott et ce malgré le démarrage effectif du méga projet Aftout Essahli inauguré en grande pompe le 24 novembre 2010 par l’ex président Aziz.
Corriger les dysfonctionnements du Projet Aftout-Essahili
Ce projet était considéré comme une solution définitive à l’approvisionnement en eau des populations de la capitale à partir du fleuve Sénégal, situé à près de 200 km au Sud.
Avec une capacité de départ de 170.000 m3/J, il devait permettre de satisfaire la demande à l’horizon 2020. Et même 2030 si l’on tient compte des capacités d’évolution à 226.000 m3/j. Ce projet titanesque a couté la bagatelle de 451 millions de dollars.
Malheureusement pour les populations de la tentaculaire métropole, tel est loin d’être le cas. Et près de 13 ans après son lancement, les redoutables charretiers dominent toujours le marché de l’eau et imposent leur loi. Et en attendant que le nouveau réseau de distribution soit opérationnel sur toute l’étendue de la capitale, ils continuent à faire la pluie et le beau temps, au grand dam des populations abandonnées à leur triste sort.
Ces derniers jours le prix du fût de 2000 l a atteint des prix records. Il a été multiplié par 10 dans certaines zones périphériques. Cette situation en dit long sur le chemin qui reste encore à parcourir pour un pays dont les habitants n’ont pas encore accès, pour beaucoup d’entre eux, à l’eau potable et où les habitants de la capitale censés être des privilégiés n’acquièrent cette eau, à l’hygiène parfois douteuse qu’à dos d’âne et à prix d’or.
Aujourd’hui, même dans certains quartiers desservis par le réseau les robinets coulent irrégulièrement et les coupures sont fréquentes.
L’objectif principal qui est de disponibiliser l’eau pour les populations de la capitale n’est pas encore atteint car cette denrée se fait encore rare dans les quartiers périphériques où l’approvisionnement moyenâgeux par le biais des fontaines publiques et des bourricots est toujours de mise.
Ainsi les 175 000 m3 par jour prétendument pompés jusque-là sont très insuffisants comme l’avait reconnu indirectement en Août 2020 le directeur général de la SNDE, qui avait parlé d’une extension en cours qui portera la production à 225 000 m3 par jour.
3 ans plus tard cette augmentation ne vient toujours pas et ces derniers jours le déficit a atteint des pics de 100.000 mètres cubes/J, une véritable catastrophe.
Des progrès quand même
Mais il convient de reconnaître qu’il y a eu de grands progrès dans l’approvisionnement en eau ces dernières années. En effet, le projet Aftout Essahili a constitué une avancée importante mais la progression exponentielle de la population de la capitale a compliqué les choses.
Aujourd’hui, le taux de couverture du réseau de Nouakchott est estimé à 85%. Quant au taux des raccordements, il est de 185000 à Nouakchott où la production a augmenté de 29000 m3 à travers le champ d’Idini. De 2019 à nos jours il y a eu plus de 50000 clients supplémentaires au niveau de la capitale.
Au cours des 3 dernières années il y a eu la pose de 1000 km de réseau dont 850 dans le cadre du projet d’approvisionnement en eau de Nouakchott.
On note aussi le démarrage de 2 nouvelles pompes au niveau du site du château d’eau central. Démarrage également d’une nouvelle pompe à la station de pompage de Toujounine.
Seulement au niveau de la production des efforts sont encore à faire. A Nouakchott il y avait avant 140000 m3 dont 115000 venant de l’Aftout Essahili et 25000 d’Idini. Tout dernièrement cette production a connu une amélioration avec l’ajout d’un volume supplémentaire de 20000 m3 provenant d’Idini et ramenant la production à 160000 m3/j.
Cela est insuffisant pour la ville de Nouakchott mais à en croire la SNDE d’autres projets sont en cours pour combler ce déficit.
2 projets sont notamment en cours. Le premier concerne l’entretien des installations d’Aftout Essahili et devrait permettre de passer à une production de 115000 m3/j à 150000 m3/J. Le 2ème projet prévu aussi pour 2023 est celui de la sécurisation de l’approvisionnement de la ville de Nouakchott avec la réhabilitation complète des installations du champ captant d’Idini et l’installation de nouvelles conduites dont la conduite principale de 1200 mm, qui aura une capacité de production de 100000 m3/J.
Cela fera passer la production totale à 250000 m3/j et permettra de régler les besoins de la ville jusqu’à l’horizon 2030.
D’autres projets stratégiques sont aussi en cours d’étude au niveau de la SNDE dont le projet d’extension des installations de l’Aftout Essahili qui permettra d’avoir 275000 m3/j.
Le 2ème projet stratégique est celui de l’exécution de la station de dessalement des eaux de mer à Nouakchott, avec une capacité totale de 200000 m3/j. Ce projet sera divisé en 3 modules, deux modules de 50000 m3/j et un module de 100000 m3/j.
Au niveau de la ville de Nouakchott, le réseau est long de 3000 km dont 2500 pour le nouveau réseau et 500 pour l’ancien.
Les 2500 km du nouveau réseau ont été installés dans le cadre du projet de réhabilitation et de renforcement du réseau de distribution de la ville.
Ce projet est un complément du méga projet de l’Aftout Essahili qui a été inauguré en 2010.
Le nouveau réseau de la ville de Nouakchott obéit aux standards internationaux avec des conduites en Polyéthylène (PHD) adaptés à la nature agressive du sol (salinité, humidité…).
Il s’agit d’un réseau intelligent équipé d’outils d’enregistrement et de transmission des données à distance et en temps réel. Ainsi grâce à sa configuration il est facile à gérer. Ce nouveau réseau est divisé en plusieurs secteurs hydrauliques. Chaque secteur est doté de compteurs intelligents qui enregistrent et transmettent les données. Ces secteurs hydrauliques sont conformes à la sectorisation commerciale. Cela permet de faire une évaluation technique et commerciale exacte ainsi que la productivité de chaque centre.
On peut également suivre en temps réel le volume d’eau disponible au niveau de chaque secteur et cela tous les quarts d’heure.
Il s’agit là donc de grands progrès et d’une nette avancée même si le pays tout entier reste confronté à une pénurie d’eau chronique et l’accès à l’eau potable demeure encore aujourd’hui un véritable enjeu..
Et pourtant la Mauritanie possède à la fois des ressources en eaux souterraines et en eaux de surface. Elle dispose aussi d’unités de dessalement de l’eau de mer, qui peuvent aller jusqu’à 5000 m cube par jour.
Mais comme on a eu à le souligner, le problème est général et se pose avec acuité un peu partout dans le pays.
Les porteurs de jerricanes jaunes vides qui se font voir à l’occasion des visites présidentielles ont marqué tous les esprits.
A l’Est du pays les éleveurs et leur bétail font face à de graves pénuries, surtout pendant l’été. Les populations du Nord doivent affronter les conditions naturelles inouïes.
Beaucoup d’investissements et de projets ont été entrepris mais les différentes politiques dans le secteur menées depuis près de 20 ans ont montré leurs limites.
A l’échelle nationale, les taux d’accès aux services d’eau potable et d’assainissement sont faibles et de fortes inégalités d’accès subsistent, d’une part entre les régions et d’autre part entre les zones périurbaines et rurales sous-équipées et les centres urbains mieux desservis.
Les objectifs fixés par le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) sur la période 2006-2010 n’ont pas été atteints. Fin 2010, seulement 50 % de la population disposait d’un accès à une source d’eau potable et le taux de branchement individuel à un réseau d’eau n’était que de 23 %.
La Mauritanie a adopté en 2000 la Déclaration du Millénaire pour le Développement et s’est engagée à réduire de moitié la proportion de la population privée d’un accès durable à l’eau potable et à l’assainissement de base, entre 1990 et 2015.
Dans cette perspective, le 3ème Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté adopté par le gouvernement s’inscrivait dans cette dynamique en fixant comme objectif d’améliorer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous, en quantité et en qualité à des prix abordables.
Aujourd’hui on est encore loin de l’objectif et officiellement le taux de couverture oscille autour de 70%. En mars dernier, l’ex ministre de l’hydraulique et de l’assainissement, Sidi Mohamed O. Taleb Amar avait déclaré que le taux d’accès à l’eau au niveau national a atteint 72% . Mais toujours est-il qu’au delà de ces chiffres et partant de la réalité et du vécu des populations, l’accès à l’eau potable demeure toujours un luxe pour de larges pans de la population.
Bakari Gueye