Dialogue national en Mauritanie : refondation sincère ou mise en scène politique ?
Sous couvert d’ouverture, le dialogue national en Mauritanie peine à convaincre. Derrière les annonces consensuelles, se cachent exclusions, répressions et flous méthodologiques. Une tribune qui interroge la sincérité du processus.
Par Ahmed Ould Bettar
Rapide Info – Tribune
À première vue, la feuille de route du dialogue national en Mauritanie, présentée par Moussa Fall, semble marquer une volonté d’ouverture et de réforme. Pourtant, à y regarder de plus près, ce processus annoncé avec solennité ressemble davantage à une mise en scène soigneusement orchestrée qu’à une réelle volonté de refondation démocratique. La méthode, le cadre et le contexte dans lesquels s’inscrit cette initiative laissent planer un doute profond sur sa sincérité.
Un simulacre de concertation
Ce que le pouvoir présente comme un appel à la concertation s’apparente en réalité à une injonction autoritaire. La phrase-choc de Moussa Fall – « quinze jours pour réagir, faute de quoi le silence vaudra approbation » – a tout d’un ultimatum. Elle traduit une verticalité incompatible avec les fondements d’un véritable dialogue. Aucun débat public, aucune transparence sur la sélection des contributions, aucun cadre méthodologique rigoureux ne permettent d’envisager une réelle participation citoyenne. Sous couvert de consensus, le gouvernement impose en fait un cap prédéfini, verrouillant toute possibilité de contradiction ou de co-construction.
Une feuille de route vide de substance
Le caractère préliminaire et provisoire du document proposé n’est pas une simple précaution rédactionnelle : c’est une stratégie de flou. Aucun calendrier précis, aucune mesure concrète, aucune garantie d’application n’accompagnent la liste des thématiques évoquées – de l’esclavage au passif humanitaire, en passant par la réforme du système éducatif. Ce flou savamment entretenu entretient l’illusion du dialogue tout en désamorçant son potentiel transformateur.
Inclusion factice, exclusion réelle
La prétendue ouverture à tous les acteurs nationaux ne résiste pas à l’épreuve des faits. L’exclusion implicite de certaines voix – les victimes de l’esclavage, les rescapés du passif humanitaire, les exilés politiques ou encore les composantes actives de la diaspora – montre les limites de cette inclusivité de façade. Nommer ces catégories ne suffit pas : encore faut-il leur accorder une place réelle, une parole libre et une reconnaissance politique.
La mainmise présidentielle : un contre-sens démocratique
La supervision du dialogue par le Président de la République illustre l’absurdité d’un processus où le principal acteur du pouvoir exécutif prétend aussi en être l’arbitre impartial. Cette double casquette rend toute perspective de dialogue indépendant et crédible impossible. Un véritable processus de réconciliation et de refondation nationale exige une instance neutre, libérée des logiques partisanes.
Un climat délétère, entre répression et deux poids deux mesures
Comment accorder du crédit à la sincérité du dialogue national lorsque, dans le même temps, les pratiques gouvernementales illustrent une politique de répression sélective ? Le cas de Hamady Ould Lahbouss, récemment démis de ses fonctions de chargé de mission au ministère de l’Éducation nationale, en est un exemple significatif. Officiellement, il lui est reproché d’avoir quitté le territoire national sans autorisation préalable, une infraction aux procédures administratives selon le ministère.
Le conseiller en communication dudit ministère, Idoumou Ould Ahmed Mezid, a justifié cette décision par le strict respect du statut des fonctionnaires et des exigences de discipline professionnelle. Pourtant, pour nombre d’observateurs, cette mesure s’inscrit dans un contexte plus large de marginalisation des militants associatifs, notamment ceux proches de l’Ira-Mauritanie, organisation avec laquelle Lahbouss est notoirement engagé.
Ce climat d’intimidation contraste avec la mansuétude affichée à l’égard de certains cadres affiliés à la majorité présidentielle, qui bénéficient d’une tolérance manifeste, même en cas de manquements graves. Cette asymétrie dans le traitement des agents publics alimente le sentiment d’un système à deux vitesses, où l’allégeance politique prévaut sur les principes de neutralité et de justice administrative.
Répression, diversion et décomposition du pouvoir
Le 11 juin 2025, l’accueil populaire réservé à Biram Dah Abeid à l’aéroport de Nouakchott a été réprimé avec une violence brutale, sans justification apparente. Arrestations arbitraires, violences policières, traitements inhumains : autant de signaux inquiétants qui confirment une politique de deux poids deux mesures. L’appareil sécuritaire devient l’instrument d’un pouvoir hésitant, traversé par des tensions internes où s’opposent partisans du dialogue et tenants de la répression.
Le dialogue ou la dissimulation ?
En réalité, le dialogue national tel qu’il se profile n’est pas une promesse de renaissance, mais une opération de légitimation d’un statu quo. En refusant de nommer les responsabilités, d’ouvrir les archives, de reconnaître les injustices passées, il nie aux victimes le droit à la vérité et à la réparation. En cela, il perpétue les logiques d’exclusion qui fracturent la société mauritanienne depuis l’indépendance.
C’est d’ailleurs la première impression que j’avais partagée, plus tôt, en publiant « Éditorial sur le Dialogue national en Mauritanie : une ultime opportunité pour refonder la République ? ». Ce texte exprimait encore un espoir — prudent mais sincère — que cette initiative puisse servir de socle à un nouveau contrat républicain. Aujourd’hui, à la lumière des actes posés, de la méthode employée et des signaux contradictoires venus du pouvoir, cet espoir s’amenuise, rattrapé par une réalité marquée par le verrouillage, la répression et la mise en scène politique.
Une nation à la croisée des chemins
La Mauritanie se trouve aujourd’hui face à un choix historique. Ou bien elle assume pleinement un dialogue exigeant, transparent et courageux, en reconnaissant les torts du passé et en ouvrant une nouvelle page. Ou bien elle s’enferme dans un simulacre de concertation, condamné à l’oubli comme tant d’autres avant lui.
Les citoyens, eux, n’ont pas oublié. Ils n’oublieront pas. Et ils jugeront.