Deux ans après l’explosion à Beyrouth, le Liban peine
Deux ans après le drame du port de Beyrouth, le Liban peine toujours à se reconstruire, fragilisé par la catastrophe. Jeudi 4 août marque le deuxième anniversaire de la gigantesque explosion au port de Beyrouth qui a dévasté des quartiers entiers de la capitale, avec des manifestations de proches de victimes déterminés à poursuivre leur combat pour la vérité et la justice. La déflagration, survenue dans un entrepôt abritant des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium stockées sans précaution, l’une des plus importantes explosions non nucléaires jamais enregistrées, a fait plus de 200 morts et 6 500 blessés.
Pourtant, l’enquête ouverte au Liban a été entravée par des ingérences politiques et aucun représentant de l’État n’a jusqu’ici été tenu pour responsable de la tragédie qui a connu un nouveau développement la semaine dernière. Plusieurs silos à grains très endommagés dans l’enceinte du port se sont effondrés, et d’autres menacent de s’écrouler, selon des experts. « J’espère que voir les silos tomber donnera aux gens la volonté de se battre pour la justice, de se battre avec nous », a déclaré à l’AFP Tatiana Hasrouty, une habitante qui a perdu son père dans l’explosion. Les politiciens « font tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter l’enquête », a-t-elle déploré.
Cette méga-explosion est un cauchemar dans l’histoire déjà mouvementée du Liban, aujourd’hui embourbé dans la pire crise économique de son histoire, confronté à d’incessantes coupures de courant, à une inflation galopante et à un désespoir généralisé. Trois marches de protestation distinctes sont prévues jeudi en direction du port où de la fumée s’échappe encore des silos après un incendie provoqué par la fermentation des stocks de grains, dans la chaleur torride de l’été.
« Stressés en permanence » après l’éxplosion de Beyrouth
L’énorme explosion il y a deux ans a été ressentie jusqu’à Chypre, île méditerranéenne située à environ 200 km. Elle a encore plus affecté une population déjà éprouvée par la crise et provoqué un exode du Liban, rappelant celui de la guerre civile de 1975-1990. Mais la classe dirigeante libanaise, accusée de mauvaise gestion, de corruption et de négligence flagrante, continue de s’accrocher au pouvoir alors que la population souffre de pénuries de carburant, de médicaments et d’eau potable.
« Cette classe dirigeante nous tue tous les jours, estime Tatiana Hasrouty. Ceux qui ne sont pas morts dans l’explosion meurent de faim », dit-elle. Les boulangeries rationnent le pain, les coupures de courant peuvent aller jusqu’à 23 heures par jour, les rues sont sombres la nuit et les feux de circulation, hors service.
L’explosion, « c’était un cauchemar », se souvient Lara Khatchikian, depuis son appartement très endommagé qu’elle a depuis réparé, d’où elle voit le port. L’incendie dans les silos l’a ravivé. « Mes voisins et moi étions stressés en permanence. J’ai ressenti de la peur, nous ne pouvions pas dormir. Il faut une force surhumaine pour vivre quand on se souvient constamment de l’explosion », dit-elle.
En avril, le gouvernement a ordonné la démolition des silos, mais celle-ci a été suspendue, notamment en raison d’objections de proches de victimes qui veulent qu’ils soient conservés pour en faire un lieu de mémoire. L’ingénieur civil français Emmanuel Durand, qui surveille les silos, a averti que le risque d’un nouvel effondrement partiel ou total n’avait « jamais été aussi élevé ».
L’enquête risque elle aussi de s’effondrer, l’enquêteur principal, Tarek Bitar, ayant été empêché de poursuivre sa mission par une série de poursuites intentées contre lui et une campagne dirigée, notamment, par le puissant mouvement armé du Hezbollah, poids lourd de la vie politique locale. Mercredi, des experts indépendants des Nations unies et des ONG ont appelé à l’ouverture d’une enquête internationale « sans délai », soulignant qu’il était « clair, aujourd’hui plus que jamais, que l’enquête nationale ne pouvait rendre justice ».
avec Le Point et AFP