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Des compagnons d’armes à adversaires politiques : itinéraire d’une relation mauritanienne complexe

Des compagnons d’armes à adversaires politiques : itinéraire d’une relation mauritanienne complexe

Nouakchott – La trajectoire politique de la Mauritanie contemporaine est indissociable de deux noms : Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Cheikh el Ghazouani. Leur relation, marquée par une amitié de longue date et une coopération étroite au sein de l’appareil militaire, a évolué au fil des années vers une rupture politique profonde. Retour sur un parcours commun devenu antagoniste.

Des liens forgés dans les rangs de l’armée

C’est dans les années 1980, au sein des forces armées mauritaniennes, que les deux hommes se rencontrent. L’un, Ould Abdel Aziz, officier pragmatique et audacieux ; l’autre, Ould Ghazouani, plus discret, méthodique et loyal. Leur complémentarité forge une relation solide. Ensemble, ils gravitent dans les cercles du pouvoir militaire, gagnant en influence à mesure que le pays traverse des périodes d’instabilité.

Leur premier grand fait d’armes politique conjoint survient en 2005, lorsqu’ils participent activement au coup d’État qui renverse le président Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Ce putsch marque le début d’une transition militaire, à la tête de laquelle ils prennent des rôles clés au sein du Conseil militaire pour la justice et la démocratie.

La consolidation du pouvoir sous Abdel Aziz

En 2008, un nouveau coup d’État installe Ould Abdel Aziz au pouvoir. Cette fois, il en devient le visage public et l’architecte principal. Ould Ghazouani, fidèle allié, devient chef d’état-major général des armées, assurant la stabilité et la sécurité d’un régime qui cherche à se légitimer.

Sous les deux mandats présidentiels d’Ould Abdel Aziz (2009–2019), Ould Ghazouani demeure l’un des hommes les plus influents de l’ombre, consolidant son image d’officier loyal, respecté dans les milieux militaires et politiques. Leur tandem semble alors indissociable.

La transition de 2019 : le passage de relais entre compagnons d’armes 

En 2019, alors qu’Ould Abdel Aziz est constitutionnellement empêché de briguer un troisième mandat, son choix de successeur se porte sur Ould Ghazouani. Ce dernier est élu dès le premier tour, dans un climat relativement apaisé, avec l’appui visible de l’ancien président.

La transition est saluée comme pacifique et historique : c’est la première fois qu’un chef d’État mauritanien transmet volontairement le pouvoir à un élu. Toutefois, des observateurs relèvent dès ce moment des signes de distanciation entre les deux hommes, notamment dans les premiers discours de Ghazouani, qui insiste sur l’État de droit et la réforme de la gouvernance.

La rupture : d’alliés à rivaux

Très rapidement après son investiture, le président Ghazouani commence à imprimer sa marque. Il remanie les structures sécuritaires, écarte plusieurs proches d’Abdel Aziz et lance des signaux de changement. Ces gestes sont interprétés comme une prise d’autonomie.

La rupture devient ouverte en 2020 lorsque des enquêtes judiciaires sont engagées contre l’ancien président pour corruption et enrichissement illicite. Un rapport parlementaire met en cause plusieurs de ses décisions prises durant ses mandats. En 2021, Mohamed Ould Abdel Aziz est inculpé et placé sous contrôle judiciaire, puis en détention préventive. En 2023, il est condamné à plusieurs années de prison.

Ould Abdel Aziz dénonce un « règlement de comptes », tandis que le pouvoir affirme respecter la procédure judiciaire. Pendant ce temps, Ould Ghazouani maintient une ligne prudente, refusant toute ingérence directe dans les dossiers judiciaires, mais consolidant politiquement sa position.

Un tournant politique et institutionnel

Cette transformation de la relation entre les deux hommes traduit aussi un tournant institutionnel pour la Mauritanie. L’évolution de Ghazouani d’un rôle subalterne à celui d’un président affirmé reflète une volonté d’émancipation politique, au-delà des dynamiques de loyauté militaire.

La gestion du dossier Abdel Aziz est également perçue comme un test pour l’indépendance de la justice mauritanienne, même si des critiques persistent quant à la transparence et aux motivations politiques éventuelles.

De la loyauté à la dissidence

La relation entre Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Cheikh el Ghazouani est emblématique des trajectoires politiques en Afrique sahélienne, où les alliances militaires se muent parfois en rivalités civilo-politiques.

D’une alliance fondée sur la confiance mutuelle et les intérêts partagés, elle a progressivement glissé vers une opposition marquée, révélant les tensions inhérentes à toute transition du pouvoir. Plus que le reflet d’une querelle personnelle, cette rupture illustre les défis de la construction d’un État de droit dans un pays encore marqué par les réflexes de l’autoritarisme.

Ahmed OULD BETTAR-
Rapide info
avec agences

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