Cybersurveillance en Libye et en Egypte : ce que l’on sait de l’affaire qui a conduit des patrons…

Cybersurveillance en Libye et en Egypte : ce que l’on sait de l’affaire qui a conduit des patrons d’entreprises français devant la justice.

Quatre dirigeants d’entreprise français sont mis en examen pour complicité d’actes de torture, après avoir vendu du matériel de surveillance à la Libye et l’Egypte.

L’ancien leader libyen Mouammar Kadhafi dans le jardin de sa résidence de Bab-al-Aziziya à Tripoli (Libye), le 10 avril 2011. (JOSEPH EID / AFP)

Ils sont accusés de complicité d’actes de torture. Quatre dirigeants d’entreprise français ont été mis en examen par la justice française pour s’être rendus complices des surveillances réalisées par les Etats libyen et égyptien sur leurs opposants. Ces poursuites interviennent dans deux informations judiciaires distinctes ouvertes à la suite de deux plaintes déposées par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH). Franceinfo vous explique comment ces dirigeants se sont retrouvés accusés dans cette affaire.

Une surveillance des opposants de Kadhafi

Deux affaires se superposent dans ce dossier. La première concerne la société Amesys, spécialisée dans les programmes de cybersurveillance. Elle est accusée par plusieurs parties civiles d’avoir vendu à la Libye, entre 2007 et 2011, l’un de ses programmes baptisé Eagle. Ce dernier aurait permis au régime de Mouammar Kadhafi de repérer des opposants, par la suite arrêtés, emprisonnés et torturés. Six victimes, qui s’étaient constituées parties civiles, ont été entendues entre 2013 et 2015 par les juges français dans cette affaire. Elles accusent les dirigeants de l’entreprise d’avoir fourni à l’Etat libyen ce matériel de surveillance numérique en parfaite connaissance de l’usage qu’il comptait en faire.

Ce n’est pas la première fois que la société Amesys est mise en cause pour ses relations avec la Libye : le Wall Street Journal (article payant) avait révélé en 2011 qu’Amesys avait équipé le centre de surveillance d’internet de Tripoli avec un système d’analyse du trafic , permettant de contrôler les messages qui s’échangeaient. A l’époque, l’entreprise avait reconnu avoir fourni des équipements numériques au régime libyen, mais avait souligné que les contrats passés avec Mouammar Kadhafi étaient alors encouragés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans un contexte de « rapprochement diplomatique » avec la Libye.

Un logiciel similaire en Egypte

Le second volet de cette affaire se passe en Egypte et concerne cette fois la société Nexa Technologies, dirigée par d’anciens responsables d’Amesys. Les faits reprochés sont plus récents et remontent à 2014. Ils portent sur la vente au régime d’Abdel Fattah al-Sissi d’un logiciel dénommé « Cerebro », également utilisé pour traquer les opposants. « L’information judiciaire a par ailleurs été étendue à des faits de vente de technologie de surveillance à l’Arabie saoudite », rapporte la FIDH.

Cette enquête fait elle aussi suite à des révélations dans la presse, puisque Télérama avait évoqué dès 2017 la vente d’un « système d’écoute », destiné officiellement à lutter contre les Frères musulmans, mais qui, dans les faits, aurait également servi à identifier et arrêter les opposants égyptiens. Un transaction à « 10 millions d’euros », selon l’hebdomadaire. La FIDH et la LDH, avec le soutien du Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), avaient alors déposé plainte à la suite de ces révélations, ce qui avait permis le début des investigations, qui débouchent aujourd’hui sur plusieurs mises en examen.

Quatre personnes mises en examen

Les quatre dirigeants et ex-dirigeants d’entreprises français visés par cette enquête ont été mis en examen les 16 et 17 juin par les juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris. Dans le volet libyen de l’enquête, il s’agit de Philippe Vannier, président d’Amesys jusqu’en 2010, mis en examen pour « complicité d’actes de tortures ». En ce qui concerne les investigations menées en Egypte, Olivier Bohbot, président de Nexa Technologies, Renaud Roques, son directeur général, et Stéphane Salies, ancien président, sont mis en examen pour « complicité d’actes de torture et de disparitions forcées ». Ils encourent chacun une peine de vingt ans de réclusion criminelle au vu des faits reprochés.

« C’est une formidable avancée, qui signifie que ce que nous constatons tous les jours sur le terrain, à savoir les liens entre l’activité de ces entreprises de surveillance et les violations des droits humains, peut recevoir une qualification pénale et donner lieu à des inculpations pour complicité, marquant ainsi un recul de l’impunité », ont réagi Patrick Baudouin et Clémence Bectarte, avocats de la FIDH, dans un communiqué. La Fédération internationale des droits de l’homme suggère que ces mises en examen « pourraient précéder celle des deux entreprises en tant que personnes morales ». Les entreprises Amesys et Nexa Technologies encourraient alors une amende d’un million d’euros et potentiellement la dissolution.

franceinfo avec AFP

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