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Consigner les traces de l’esclavage : un acte de reconnaissance du passé et de justice pour le présent

Préserver la mémoire de l’esclavage en Mauritanie, c’est reconnaître les blessures du passé pour bâtir une société réconciliée et juste.

Reconnaître l’histoire de l’esclavage en Mauritanie, c’est affirmer la volonté d’un peuple à regarder son passé en face pour construire un avenir fondé sur la justice et la dignité. Dans un contexte où la mémoire collective demeure fragmentée, la préservation des traces, des témoignages et des sites liés à l’esclavage constitue un acte de reconnaissance essentiel. Comme le rappellent plusieurs initiatives mémorielles à travers le monde, notamment en Afrique de l’Ouest, la consignation du passé est une étape indispensable vers la réconciliation

L’histoire des esclaves et des anciens esclaves ne saurait être envisagée avec équité sans y inclure toutes les formes d’esclavage, ses empreintes matérielles, ses vestiges et ses témoins vivants. En cela réside la préservation de la mémoire nationale, un rappel que les consciences éveillées méditent et que les générations doivent conserver comme un rempart contre tout retour en arrière, un message vibrant : voici ce que nous étions, et voici ce que nous sommes devenus.

Ce n’est ni un hasard, ni une innovation, ni une démarche sans précédent. C’est une exigence universelle de vérité et de justice historique. Les sociétés avancées, les peuples dignes qui ont traversé l’esclavage et ses abominations, ont choisi d’en faire mémoire pour se libérer et se reconstruire. Ainsi, la Maison des Esclaves de l’île de Gorée, érigée en 1978 au Sénégal, est aujourd’hui un haut lieu de mémoire reconnu par l’UNESCO. De même, le Musée de l’Esclavage de Zanzibar, la Maison Bin Jelmoud à Doha, le Musée du vieux marché aux esclaves en Caroline du Sud (États-Unis), ainsi que de nombreux musées de l’esclavage en Afrique du Sud, en Angola, au Nigéria, au Brésil et aux États-Unis, rappellent à l’humanité les horreurs commises au nom de la domination et de la cupidité. Ces lieux ne sont pas de simples vestiges du passé : ils sont des cris de mémoire, des témoins de chair et de pierre, des gardiens de la dignité humaine. Ils rappellent pour ne pas oublier. Ils enseignent pour ne plus reproduire. Ils éveillent pour que la conscience collective demeure vigilante.

Celui qui refuse de lire l’histoire dans toutes ses contradictions fuit son propre passé. Il le redoute, l’enfouit sous le silence et croit, à tort, s’en libérer. Mais nul ne peut se libérer de ce qu’il nie. L’oubli n’efface pas la faute : il la répète. Le poids du passé ne s’allège que par la reconnaissance et la réparation.

De la même manière, l’histoire de l’esclavage en Mauritanie mérite, elle aussi, d’être consignée, étudiée et commémorée. Elle doit l’être comme l’ont été les batailles, les victoires et les épopées tribales immortalisées dans « La Vie de la Mauritanie » de Ould Hamdine. Personne n’a jamais estimé que ces récits constituaient un ferment de division ou de discorde. Bien au contraire : les descendants de ces tribus continuent d’en tirer leur fierté, leur identité et parfois même leur statut social et politique. Pourquoi donc le passé des esclaves devrait-il être un sujet tabou, une mémoire à taire, alors qu’il est une part essentielle de notre histoire commune ?

L’histoire est l’histoire, où qu’elle se trouve et quelle qu’elle soit. Et sur le chemin de la réconciliation sociale, il faut oser la vérité, assumer la franchise, désamorcer les charges négatives du passé et refuser la peur du débat. Il faut le réexaminer, le documenter et en préserver la mémoire, comme l’ont fait les nations qui ont connu le même drame. Nous, Mauritaniens, n’avons pas à inventer une voie nouvelle : nous devons simplement suivre la trace lumineuse de ceux qui ont su tirer de leur diversité une force, de leur douleur un apprentissage et de leur passé un socle de réconciliation et de coexistence juste et pacifique.

Car une histoire réduite à des récits de gloire, à des prétentions d’exception ou à des tabous effrayants demeure une histoire piégée, stérile et inexplorable. Elle devient un fardeau, un champ miné qui empêche toute reconstruction du présent et du futur. Lorsqu’on entoure le passé d’interdits, on l’étouffe ; lorsqu’on le sanctifie sans le comprendre, on le trahit. L’histoire ainsi déformée devient le refuge d’un orgueil aveugle, la pire des prisons de la mémoire.

Le passé, comme le présent, n’a jamais une seule couleur. Les peuples évoluent, se transforment, échangent les places et les statuts. C’est la loi de la vie, le mouvement naturel de l’existence, la dynamique même de la justice divine. Refuser cette évidence, c’est s’opposer à la vérité du monde et à la sagesse du temps. C’est vouloir détruire l’histoire, étouffer le présent et hypothéquer l’avenir au profit d’une vision primitive, figée, qui redoute son propre passé.

Or il n’y a pas de présent sans passé, pas de lumière sans mémoire, pas d’avenir sans vérité. Aucun avenir radieux n’est possible pour un peuple qui renie son histoire, même lorsqu’elle est douloureuse. C’est dans la reconnaissance de nos blessures que naît la réconciliation véritable, et dans la diversité de nos chemins que se construit la dignité nationale.

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Mohamed Semette Ebyaye

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