Comment survivre au train le plus dangereux du monde

Comment survivre au train le plus dangereux du monde

Un peu plus de vingt heures de voyage, dont plus de la moitié plongées dans une obscurité bruyante, sont une épreuve « de fer » pour tout voyageur chevronné.

Passager du trainminéralier (Mauritanie)
passager du train de fer (mauritanie) photo : Ignacio Garicano
Alfonso Masoliver Publié par larazon.es Nouakchott 06-08-2022 | 11h37 dernière mise à jour 06-08-2022 | 14h02
Une pensée macabre envahit le voyageur lorsqu’il traverse le Sahara sur le train minéralier, qui traverse 710 kilomètres de sable et de chaos de Zouerate à la ville côtière de Nouadhibou (Mauritanie). Entouré par le rugissement et coincé dans l’obscurité, avalant la poussière métallique qui pénètre jusqu’aux coins les plus tendres des poumons, accroché au vent et craignant de tomber des wagons, on dirait que ce train est en fait un bateau de Charon contemporain qui vous transporte directement en enfer. Il n’y a pas de retour en arrière. Si nous sautions du wagon, nous nous noierions dans le sable sans fond, dans l’eau brûlante. Seul un voyage en enfer et pas de retour pouvait s’accompagner de craquements et de cris de ce type. Parce que ce n’est pas un voyage d’agrément. L’arrière-goût insistant du métal, comme si notre nez, nos yeux et notre bouche saignaient, accentue l’horrible sensation. Autour de nous se cache ce qui est inconnu et ce qui, par la médiation inébranlable de la nuit, le restera une fois traversée, comme une lagune stygienne élaborée par le délire créateur des dieux et dont le sens est trop complexe pour que notre vertige puisse le comprendre. Peut comprendre.

Poussière, bruit, obscurité et rien d’autre. La folie temporaire est servie. Il y a des moments où le train part à quatre heures de l’après-midi, ou à cinq heures, ou à sept heures. Ou à neuf heures, ou à dix heures du soir. Il y a généralement trois trains par jour, mais il peut aussi n’y en avoir que deux. Le train quitte la gare quand bon lui semble. Personne ne donne d’ordres à une créature comme celle-ci. Personne ne la contrôle. Même le conducteur semble accélérer et ralentir avec un soupçon de respect pour ce qui lui est supérieur.

 Deux cents wagons constituent le train le plus long du monde.
Deux cents wagons constituent le train le plus long du monde. PHOTO : IGNACIO GARICANO

Construit par une société française en 1961 et cédé à la Société Nationale des Mines Industrielles de Mauritanie en 1963, c’est le chemin de fer le plus dangereux de la planète. Quatre ou cinq fois par an, ils font dérailler une poignée de leurs deux cents wagons (il y a 3 kilomètres de train au total, ce qui en fait le train le plus long du monde.) Et le malchanceux qui choisit le mauvais moment dans le mauvais wagon se retrouvera jeté désespérément dans le sable desséché, avec une issue incertaine. Ce n’est pas un voyage d’agrément. C’est un voyage de bruit et de poussière qui colle à la peau (peu importe le nombre de couches de vêtements que l’on porte.) et qui arrose les yeux de larmes de fer. Bien que, du côté positif, après un voyage dans le train, vous n’aurez plus besoin de manger des lentilles avant l’année prochaine.

C’est nocif pour la santé.

Tu dois accepter que tu ailles te faire tremper dans la poussière, tu dois assumer la supériorité du wagon, tu dois comprendre que le froid va te traverser les os, tu dois normaliser les secousses du train, tu dois arrêter de compter les heures, il faut se résigner, il faut s’abandonner au train avec un stoïcisme qui rendrait Marc Aurèle fier et grincerait des dents. En tant qu’individu qui a survécu à des bombardements et qui a vécu mal pendant des mois en tant que sans-abri (avec les passages à tabac conséquents des individus cruels que cela implique), entre autres expériences qui renforcent l’esprit et réduisent les années de vie en guise de paiement, je peux dire sans crainte d’exagérer que le train de fer a été l’une des expériences les plus dures que j’ai endurées. Même si cela n’a duré que 20 heures.

Sur les côtés de l’itinéraire, vous pouvez voir les wagons qui ont déraillé sur les itinéraires précédents. Pendant les heures nocturnes, si la lune brille, ses ombres sont perçues confondues avec la vaste immensité du Sahara. Tordus par la chaleur, rouillés par les pluies estivales occasionnelles, ils sont lentement enterrés par le sable impitoyable. C’est un spectacle décourageant pour le voyageur qui est déjà dans les wagons et qui n’a aucune chance de se racheter, car le train de Charon ne fait que deux arrêts dans son parcours de 710 kilomètres : le premier, à nulle part ; le second, en rien aussi.

Bien qu’il ne dépasse pas 60 kilomètres à l’heure (c’est du moins ce qu’on dit), de l’intérieur, il semble plus rapide. Ce sera à cause des oscillations et du freinage qui rendront encore plus difficile le maintien de l’équilibre. Ce sera à cause de la peur qui altère les sens et radicalise nos sensations. Mais ça prend du plaisir de marcher sur la glace.

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