Billet d'humeurMauritanie

Recyclage sélectif et clientélisme ministériel : chronique d’un cadre jamais promu

Chronique drôle et amère d’un cadre de l’administration mauritanienne qui, après plus de 30 ans de loyaux services, n’a jamais bénéficié des faveurs du recyclage politique ni du clientélisme ministériel.

Billet d’humeur – par un fonctionnaire usé mais lucide

Trente-trois ans. Oui, vous avez bien lu : trois décennies plus trois années à arpenter les couloirs du ministère de la Santé, à user mes chaussures et ma patience au service de l’État. Un dévouement sans faille, ponctué de rapports bien ficelés, de réunions interminables et de tasses de thé amer, parfois partagé avec des chefs de service qui, eux, avaient ce petit quelque chose en plus. Pas le diplôme, non. Pas l’expérience non plus. Ce « petit quelque chose », c’était… le numéro du cousin du ministre. Ou mieux : le même village.

Pendant ce temps-là, moi, simple citoyen lambda du service public, j’observais, souvent médusé, parfois hilare (par dépit), le grand recyclage national des cadres. Une valse effrénée où l’on passait, sans transition ni compétence apparente, de Directeur de l’élevage à Secrétaire général au ministère du Pétrole. Après tout, gérer un troupeau ou un champ gazier, où est la différence ? C’est du management, voyons.

En Mauritanie, le clientélisme est un art ancestral, une discipline olympique qui exige des qualités précises : loyauté aveugle, mémoire courte, et une capacité prodigieuse à applaudir bruyamment les décisions du moment, même (surtout) quand on ne les comprend pas. Et pour ceux qui n’ont pas le bon piston, c’est la retraite sans gloire, la précarité, le silence administratif et la médaille de l’invisibilité.

Certains ont même le privilège rare d’être « recyclés » à vie, sautant d’un ministère à un autre avec l’agilité d’un chat politique, toujours retombant sur leurs pattes. On les appelle affectueusement les « cadres inoxydables » : jamais usés, jamais évalués, toujours nommés. À croire que le décret présidentiel est leur horoscope personnel.

Et moi, dans tout ça ? Pas une nomination, pas même un poste de conseiller bidon. Je suis resté là, à voir mes subordonnés et mes collègues grimper les échelons comme des chats sur un arbre, pendant que je restais coincé sur la première branche, faute de pedigree politique.

Alors oui, parfois je rêve d’un ministère de la Reconnaissance tardive. Un endroit où l’on nommerait, enfin, les oubliés du système. Ceux qui n’ont jamais su glisser la bonne enveloppe ou prier au bon endroit. Mais en attendant, je retourne à mon bureau — fidèle, discret, usé. Comme une vieille armoire qu’on ne jette pas, mais qu’on n’ouvre plus.

Auteur: Un fonctionnaire lucide
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Un commentaire

  1. Cher fonctionnaire lucide,

    Votre billet d’humeur sonne comme un cri du cœur, à la fois empreint d’amertume et de dignité. Permettez-moi, en tant que simple lecteur et citoyen, de vous adresser mes plus vives félicitations et toute ma reconnaissance.
    Trente-trois ans de service loyal, de travail acharné dans l’ombre, sans jamais céder à la tentation du piston ni attendre de récompense, cela force le respect. Vous incarnez cette droiture et cette intégrité qui font la noblesse du service public, même lorsque la reconnaissance officielle fait défaut.
    Votre lucidité n’est ni amère, ni résignée : elle est le reflet d’un engagement profond, d’une fidélité à des valeurs qui, hélas, semblent parfois oubliées. Vous êtes de ceux qui tiennent la maison debout, qui font honneur à leur mission, sans bruit ni parade, mais avec une constance admirable.
    À défaut de ministère de la Reconnaissance tardive, recevez ici l’hommage sincère de tous ceux qui croient encore à la force du mérite et du travail bien fait. Votre parcours, loin d’être invisible, éclaire le chemin de ceux qui viendront après vous.
    Merci pour votre intégrité, votre courage et votre loyauté. Soyez assuré que votre exemple n’est pas vain : il inspire et donne espoir.
    Avec tout mon respect et ma considération,
    Un citoyen reconnaissant

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