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Chronique de l’indignité nationale : Il est temps d’arrêter le naufrage

Chronique
Il est des moments où la plume ne peut plus se taire. Des moments où le silence devient une faute, et l’indifférence, une complicité. Ce qui se passe aujourd’hui en Mauritanie n’est plus du ressort du fait divers ni même de la chronique judiciaire. C’est une alerte nationale. Un cri profond qui monte des entrailles d’un pays trahi, non par ses ennemis extérieurs, mais par ceux-là mêmes qui prétendent le servir.

Trois ressortissants mauritaniens – une directrice de vols, un commandant de bord et un steward – ont été récemment interpellés à l’aéroport Mohammed V de Casablanca pour tentative de contrebande de devises. L’affaire, étouffée à coups de conciliations opaques avec les douanes marocaines, révèle l’ampleur d’un mal qui gangrène nos institutions. Ce n’est là que l’écume d’un océan de compromissions, où la contrebande devient un sport d’élite, où le crime en accouchement neuf s’invite dans les salons du pouvoir.

Mais ce scandale n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une spirale de dérives où se mêlent trafic d’influence, corruption institutionnalisée, blanchiment d’argent, falsification de documents, et désormais ,comble de l’indécence, profanation de la mort elle-même. Des cercueils rapatriés paraît-il du Sénégal seraient utilisés pour faire passer drogues, armes et devises. Quelle ignominie ! Si ces informations sont fiables jusqu’à quand allons-nous tolérer que le crime prenne les traits de la respectabilité ?

Ce climat de décomposition morale s’accompagne d’une autre abjection : celle du népotisme généralisé et de la prédation patrimoniale. Le journaliste Khalil Ould Jdoud, dans une enquête courageuse, a révélé que plusieurs hauts fonctionnaires et bénéficiaires de marchés publics s’adonnent à une frénésie immobilière suspecte dans les îles Canaries, à Casablanca, à Agadir, à Rabat. Des biens de luxe acquis au rythme des « poussées financières » inavouables. Ces fortunes éclair ne sont pas le fruit du mérite, mais de la prédation.

Ceux qui pillent aujourd’hui les ressources publiques au nom de leurs fonctions n’humilient pas seulement l’État : ils trahissent l’héritage moral de Mokhtar Ould Daddah et son équipe, souvent bâtisseurs d’une République fondée sur la probité. Ils piétinent la mémoire d’un peuple qui a cru un jour en la promesse d’une gouvernance éthique.

Face à cette corruption tentaculaire, que font les services censés protéger la République ? Où sont les organes de renseignement, de justice, de sécurité ? Où sont les intellectuels, les moralistes, les vigies de la conscience publique ? L’heure n’est plus aux dissertations stériles ni aux éditoriaux prudents : elle est à l’action ferme, lucide et sans concession.

De fait, la pourriture ne s’arrête pas à la finance. La déliquescence gagne aussi les mœurs. Des réseaux obscènes, opérant à ciel ouvert, visent les adolescents et adolescentes de notre pays. La perversion s’affiche, arrogante, comme si elle avait reçu son agrément officiel. Les repères se brisent, la pudeur s’efface, l’innocence se consume dans les flammes de l’impunité. La société danse au bord du gouffre, grisée par le vertige du gain facile et l’odeur enivrante du pouvoir sans limite.

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, ne vous y trompez pas : face à cette dérive, vous n’avez plus le luxe de l’inaction. Car l’inaction, désormais, vaut approbation. Et l’histoire, cruelle mais juste, vous jugera moins sur vos discours que sur votre capacité à agir. Laisser faire, c’est trahir.

Il est encore temps – mais plus pour longtemps – de stopper cette hémorragie morale et institutionnelle. Il est encore temps de rendre à la Mauritanie sa dignité, de rappeler à l’ordre ceux qui la confondent avec un butin à se partager. Il est encore temps de sauver l’essentiel : l’honneur d’un peuple et l’intégrité d’un État.

Car si nous ne réagissons pas aujourd’hui, nous n’aurons bientôt plus que des ruines à défendre, et des regrets à ressasser.

Éléya Mohamed

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