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Chapitre 9 : Les graines invisibles

Les graines invisibles

Chapitre 9 : Les graines invisibles

Ce que la tempête ignore, c’est qu’il reste toujours des graines.

À Nouakchott, les projecteurs médiatiques s’éteignent vite.
Mais quand les caméras partent, la vie, elle, continue.
Et dans les coins les plus abîmés, les plus oubliés, des gestes infimes réparent ce que les discours ne peuvent plus sauver.

Ce sont des graines invisibles, semées sans bruit, sans gloire.
Mais elles germent.

Dans une ruelle de Tarhil, une petite bibliothèque s’est ouverte.
Quelques planches clouées, des livres donnés, un toit de tôle.

Tous les jeudis, des enfants viennent écouter Oumeyma, ancienne institutrice, lire des contes sous la lumière d’une lampe solaire.

— « Si je ne peux pas les empêcher de partir, je veux au moins leur laisser une histoire. »

Ses livres parlent de sable, de lune, de courage.
Pas de visa, pas d’exil.

Mais elle sait que les racines viennent souvent d’un mot, bien avant une adresse.

À quelques kilomètres, dans un ancien garage, un groupe de jeunes femmes a lancé une coopérative textile.
Elles s’appellent «Nissa’a El Kheir» — Les femmes du bien.

Elles cousent des sacs, des foulards, des nappes.
Elles vendent sur les marchés.
Elles refusent l’aumône. Elles veulent reconstruire leur fierté avec des fils et des aiguilles.

Naima, la plus jeune, n’a que 19 ans.
Elle sourit :

« Je n’ai pas de diplôme. Pas de papiers. Mais j’ai mes mains. Et elles savent faire des choses. »

C’est peu. Mais c’est assez pour dire non à l’effacement.

Dans un terrain vague près de l’ancien aéroport, des adolescents jouent au football.
Le terrain est bosselé, les cages sont faites de bois tordu.

Mais tous les samedis, un homme vient arbitrer.
Il s’appelle Habib, ancien éducateur.

Il n’est payé par personne.
Il vient parce qu’il sait que le ballon, parfois, vaut mieux qu’un sermon.

Un jour, un garçon a demandé :

« Pourquoi tu reviens chaque semaine ? »

Habib a souri :

« Parce qu’un jour, l’un de vous reviendra aussi. »

Même Zein, dans sa maison silencieuse, a commencé à changer.

Il a rouvert l’ancienne salle de réception.
Il y a installé une grande table.
Et chaque vendredi, il y invite des voisins : un menuisier, une étudiante, une veuve, un petit imam de quartier.

Ils mangent, parlent, se disputent parfois.
Mais ils se retrouvent.

Et Zein, lui qui croyait ne plus avoir de rôle, redécouvre quelque chose de simple et d’immense : être là.

Pas au sommet.
Pas dans les discours.
Mais à hauteur d’humain.

Les graines ne crient pas.
Elles ne s’annoncent pas à la radio.
Elles poussent dans la poussière, dans la fatigue, dans le doute.

Elles ne promettent pas le paradis.
Elles promettent juste un lendemain.

Et dans une ville comme Nouakchott, c’est déjà une forme de miracle.

Sur le mur d’un dispensaire de Dar Naim, une phrase est écrite à la craie :

« La solidarité, c’est quand on reste humain même quand tout nous pousse à ne plus l’être. »

Personne ne sait qui l’a écrite.
Mais personne ne l’efface.

C’est peut-être ça, la vraie graine.

Lire aussi: Chapitre 8 : Rester ou partir ?

Chapitre 10 : Le nouveau repas

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