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Budget 2024 en Mauritanie : promesses budgétaires face à des fragilités structurelles .

Cheikh sidati hamady
Expert senior en droits des CDWD, Chercheur associé, Analyste, Essayiste
15 octobre 2025

Le budget 2024, présenté la semaine dernière par le ministre des Affaires économiques et du Développement, Dr. Abdallah Souleymane Cheikh Sidiya, a été mis en avant comme un exemple de maîtrise financière et de bonne gouvernance. Le discours officiel souligne l’augmentation des recettes publiques et le soutien de financements internationaux destinés à l’éducation, laissant entendre que le pays se trouve sur une trajectoire de développement inclusive. Selon le ministre, cette politique budgétaire expansionniste traduit non seulement une gestion efficace, mais également une attention particulière portée aux populations les plus vulnérables (Banque mondiale, 2024, p. 15).
Cependant, une analyse critique des données budgétaires et socio-économiques montre que, derrière cette communication triomphaliste, persistent des fragilités structurelles : une forte dépendance aux ressources naturelles, un endettement élevé, une fiscalité fragile et des investissements sociaux encore insuffisants pour réduire les inégalités.

Une économie dépendante des ressources naturelles : chiffres et vulnérabilité
La croissance économique de la Mauritanie reste largement tributaire des exportations de minerai de fer, d’or et de produits de la pêche, qui assurent la majorité des recettes publiques et des devises. Selon la Banque mondiale, près de 65 % des recettes d’exportation en 2023 provenaient du minerai de fer et de l’or (Banque mondiale, Mauritania Economic Update 2023, p. 18). Le secteur de la pêche contribue à environ 10 % du PIB et représente 30 % des exportations totales (Ministère de la Pêche, Rapport Annuel 2023, p. 12).
Cette concentration des ressources rend le pays vulnérable aux chocs extérieurs. Par exemple, la baisse des prix du fer en 2023 a entraîné une perte estimée à 1,2 % du PIB et une diminution de 15 % des recettes fiscales liées aux exportations minières (Banque mondiale, Mauritania Economic Update 2023, p. 15). Par ailleurs, le secteur minier ne représente que 3,5 % de l’emploi total, montrant la difficulté de diffusion équitable de la richesse (OIT, Labour Market Review Mauritania 2023, p. 22).
Le FMI souligne que « la concentration des exportations dans un nombre limité de produits expose la Mauritanie à des fluctuations importantes des prix internationaux, compromettant la stabilité macroéconomique » (FMI, Country Report n°23/145, 2023, p. 17). Ces vulnérabilités structurelles sont rarement abordées dans le discours officiel, qui préfère mettre en avant la croissance globale et les recettes fiscales.

Recettes fiscales : hausse conjoncturelle et limites structurelles
Le système fiscal mauritanien reste fortement dépendant des taxes douanières, représentant environ 35 % des recettes fiscales en 2022 (Banque mondiale, Public Finance Review, 2022, p. 33). La mobilisation de l’impôt sur le revenu reste faible, représentant moins de 2 % du PIB (OCDE, Revenue Statistics Africa 2023, tableau 3.2, p. 78).
Le ministre a annoncé une progression des recettes fiscales en 2024, principalement grâce à un renforcement des contrôles fiscaux et à l’élargissement de la base imposable, mais les données disponibles montrent que cette hausse reste conjoncturelle et limitée par l’absence de réformes structurelles durables. Ainsi, les marges de manœuvre pour financer durablement les politiques publiques restent faibles (FMI, Country Report n°24/117, avril 2024, p. 22).

Endettement : un levier à double tranchant
La dette publique de la Mauritanie a atteint 58 % du PIB en 2024 (FMI, Country Report n°24/117, avril 2024, p. 22), avec un service de la dette absorbant près de 18 % des recettes publiques (Banque mondiale, Mauritania Debt Sustainability Analysis, 2024, tableau 4, p. 19).
Historiquement, l’Initiative PPTE a permis l’annulation d’environ 1,1 milliard USD de dette extérieure (Banque mondiale, HIPC Completion Point Document, 2002, p. 7-8), mais la persistance de l’endettement reste un facteur de fragilité, surtout en l’absence de diversification économique et de stratégie fiscale solide.
Investissements sociaux : des effets limités sur l’éducation
Le gouvernement met en avant un financement de 72 millions USD pour l’éducation, dont 44 millions USD de prêts de l’IDA et 28 millions USD de dons de la coopération allemande (Banque mondiale, Projet d’éducation de base en Mauritanie, 2023, Annexe 2).
Cependant, le taux d’alphabétisation des adultes reste de 55 % (UNESCO, GEM Report 2023, p. 243) et le taux d’abandon scolaire au secondaire atteint 32 % (UNICEF, Education Statistics 2023, tableau 4). Les enfants issus des CDWD continuent d’être confrontés à des discriminations dans l’accès à l’éducation (HRW, Ethnic Discrimination in Education in Mauritania, 2018, p. 12-14).
Ainsi, ces investissements restent insuffisants pour réduire les inégalités et transformer le système éducatif.
Fractures sociales : le vécu citoyen contraste avec la communication officielle
Les résultats concrets du budget contrastent avec la communication officielle. Le chômage des jeunes atteint 31 % (OIT, Youth Employment Trends in Mauritania, 2023, p. 6, fig. 1) et 28 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (Banque mondiale, Mauritania Poverty Assessment, 2023, p. 11). Moins de la moitié des ménages ruraux disposent d’un accès à l’eau potable (PNUD, Human Development Report Mauritania, 2022, p. 54, annexe statistique).
Ces chiffres montrent le fossé entre les promesses budgétaires et le vécu quotidien des citoyens.
Recommandations pour renforcer l’impact du budget et la résilience économique
Diversification économique et valorisation des secteurs créateurs d’emplois
Réduire la dépendance aux exportations minières et à la pêche en développant des secteurs à forte valeur ajoutée et à forte capacité d’emploi, comme l’agriculture durable, les PME et l’industrie légère.

Renforcement structurel du système fiscal
Mettre en place des réformes fiscales profondes visant à élargir l’impôt sur le revenu et les taxes internes tout en réduisant la dépendance aux taxes douanières, afin de stabiliser les recettes publiques indépendamment des fluctuations des marchés internationaux.

Gestion prudente de l’endettement public
Élaborer une stratégie de dette claire, privilégiant des financements à long terme à faible coût et ciblés sur des projets productifs et sociaux, afin de réduire la vulnérabilité du budget face aux aléas financiers extérieurs.

Investissements sociaux inclusifs et ciblés
Accroître les budgets alloués à l’éducation, la santé et l’accès aux services de base, en veillant particulièrement à l’inclusion des enfants issus des CDWD et des populations vulnérables, pour réduire les inégalités persistantes.

Transparence et suivi budgétaire
Renforcer les mécanismes de suivi et d’évaluation de l’utilisation des fonds publics et des financements internationaux, avec des rapports accessibles aux citoyens, afin d’assurer une meilleure redevabilité et d’améliorer la confiance dans la gestion budgétaire.

Promotion de la résilience face aux chocs externes
Mettre en place des instruments de stabilisation macroéconomique, tels que des fonds de stabilisation ou des assurances contre la volatilité des prix des matières premières, pour réduire l’impact des fluctuations internationales sur le PIB et les recettes publiques.

Conclusion : un budget davantage symbolique que structurant
Le budget 2024, présenté comme un succès, révèle surtout les limites d’une politique économique centrée sur la communication et sur des indicateurs globaux. Les principaux défis restent la dépendance aux ressources naturelles, une fiscalité fragile, un endettement élevé et des investissements sociaux insuffisants.
Cette analyse montre que le budget traduit davantage une mise en scène politique qu’une stratégie économique réellement structurante et inclusive, laissant ouverte la question de la capacité de la Mauritanie à transformer ces promesses en réformes durables et équitables.

Références
Banque Mondiale, Mauritania Economic Update 2023, p. 15-18
Ministère de la Pêche, Rapport Annuel 2023, p. 12
FMI, Country Report n°23/145, 2023, p. 17
OIT, Labour Market Review Mauritania 2023, p. 22
Banque mondiale, Public Finance Review, 2022, p. 33
OCDE, Revenue Statistics Africa 2023, tableau 3.2, p. 78
FMI, Country Report n°24/117, avril 2024, p. 22
[Banque mondiale, Mauritania Debt Sustainability Analysis, 2024, tableau 4

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