Boutiquiers indisciplinés : chronique d’un naufrage économique annoncé.
Boutiquiers : chronique d’un naufrage économique annoncé.
Par Ahmed Ould Bettar
Il est devenu courant, presque banal, de pointer du doigt « le système », « les politiques », ou mieux encore, ce mystérieux « contexte international » pour justifier la récession économique qui nous tombe dessus plus souvent qu’un orage en saison sèche. Mais aujourd’hui, mes chers lecteurs, penchons-nous sur un coupable beaucoup plus local, plus tangible… et qui prend sa pause-café à 9h, 10h30 et 14h30 : le boutiquier indiscipliné.
Non, ce n’est pas la boutique mauritanienne en elle-même, ni même le centre commercial un peu poussiéreux, qui sont à blâmer dans cette affaire. C’est l’individu – embauché parfois à la hâte, souvent sur recommandation douteuse, et promu au rang de « responsable clientèle » après avoir su allumer une machine à tirage sans mode d’emploi – qui, chaque jour, sabote l’économie avec la nonchalance d’un touriste en congés payés.
Vous les avez déjà croisés. Ils arrivent avec trente minutes de retard (mais c’est la faute du taxi), s’installent mollement derrière le comptoir, et vous accueillent avec l’enthousiasme d’un agent des impôts en fin de carrière. Une demande d’information ? On vous indique un collègue. Une réclamation ? C’est “pas son rayon”. Une question sur un produit ? “Le patron saura mieux vous répondre, repassez demain”. L’agent indiscipliné, c’est cet anti-héros du quotidien, champion du service absent et du « je m’en foutisme » olympique.
Mais attention, ne soyons pas injustes. L’indiscipline ne naît pas dans un vide. Elle est cultivée, entretenue, parfois même valorisée par un autre personnage tout aussi central dans notre tragédie économique : le patron aveugle (ou complice). Car oui, c’est bien lui qui embauche ces perles rares, les couvre à la moindre plainte, refuse de sanctionner et préfère penser que « le client exagère ». Ce dernier, fatigué de quémander un semblant de service, finira par faire ce que tout client rationnel fait : aller voir ailleurs. Résultat ? Les caisses se vident, les rideaux baissent, et on crie à la crise.
La vérité, c’est que l’économie ne s’effondre pas sous le poids de grandes théories ou de fluctuations internationales. Elle s’érode doucement, insidieusement, chaque fois qu’un client est mal reçu, chaque fois qu’un service est bâclé, chaque fois qu’un patron refuse d’agir.
Alors oui, chers commerçants, chers dirigeants, chers patrons bienveillants mais parfois trop indulgents : l’avenir économique du pays ne se joue pas seulement à la Bourse ou dans les hautes sphères du ministère. Il se joue, ici et maintenant, au comptoir de votre boutique. Et si vous voulez que ça change, commencez donc par demander à votre agent de venir à l’heure. Et tant qu’à faire, de sourire aussi.