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Biram Dah Abeid face à El-Insaf : quand le pouvoir tente de museler la vérité

Biram Dah Abeid face à El-Insaf : quand le pouvoir tente de museler la vérité

El-Insaf vs Biram Dah

Par Cheikh Sidati Hamadi, Expert senior en droits des CDWD, analyste, chercheur associé, essayiste.
Ibn Khaldoun écrivait que « l’injustice annonce la ruine des civilisations ». Le communiqué d’El-Insaf du 31 août n’est pas un acte politique mais un affront violent, un dérapage haineux, une diatribe brouillonne où le pouvoir, à court d’arguments, s’acharne à salir Biram Dah Abeid. En accusant l’opposant de « discours confus » et de « patrie imaginaire », le parti présidentiel ne fait que tendre un miroir à sa propre dérive : confusion d’un régime enlisé dans ses échecs et destruction bien réelle d’une patrie livrée à la faim, à la soif, au chômage traumatisant, à l’exil forcé de sa jeunesse, à la crise sociale, sanitaire et éducative.
La vérité, elle, est ailleurs. Elle est dans la voix de Biram Dah Abeid, qui traduit haut et fort la douleur des communautés discriminées et la révolte d’une jeunesse trahie. Elle est dans le contraste saisissant entre les promesses brisées de Ghazouani et l’hémorragie sociale qu’il provoque. Elle est enfin dans l’écho universel d’un combat qui dépasse la polémique pour rappeler que la justice, l’égalité et la dignité ne sont pas des slogans, mais des impératifs inscrits dans le destin même du pays.
En somme, si « patrie imaginaire » il y a, c’est celle que le pouvoir tente de vendre pour masquer l’effondrement de la patrie réelle.

1_ Un peuple abandonné, une jeunesse trahie

La Mauritanie vit un paradoxe dramatique : le mandat 2024, annoncé comme celui de la jeunesse, a révélé une réalité crue. Le chômage des jeunes dépasse 31 % (ANSADE, 2023), signe d’une économie incapable d’offrir des perspectives en accord avec l’Objectif de Développement Durable (ODD) 8 sur le travail décent. La pauvreté touche 31 % de la population et atteint plus de 55 % dans certaines zones rurales (Banque mondiale, 2022), loin de l’ODD 1 qui vise l’éradication de l’extrême pauvreté.
L’accès à l’eau potable illustre un autre échec : près d’un quart des habitants des campagnes n’ont pas de source fiable, Nouakchott souffre de pénuries chroniques, et Nouadhibou, capitale économique, reste frappée par une crise hydrique malgré l’inauguration tapageuse de châteaux d’eau restés sans effet après la fin du carnaval présidentiel. Une situation qui contredit l’ODD 6, consacré à l’eau et à l’assainissement.
La santé demeure tout aussi fragile, avec seulement 0,8 médecin pour 10 000 habitants (OMS, 2023), loin de l’ODD 3 sur la santé et le bien-être. En éducation, moins de 40 % des enfants accèdent au secondaire (UNESCO, 2022), en contradiction avec l’ODD 4 qui promeut une éducation inclusive et équitable.
Ces fractures sociales et territoriales aggravent les inégalités, creusant un fossé que l’ODD 10 ambitionne pourtant de réduire. Elles nourrissent un exode massif : des jeunes risquent leur vie en mer vers les Canaries (OIM, 2023), ou empruntent des routes périlleuses via le Nicaragua pour rejoindre les États-Unis (El País, 2024). Ni les promesses de Tea Houdati (2019), ni celles du mandat dédié à la jeunesse de 2024 n’ont su inverser cette tendance. Un peuple resté abandonné, une jeunesse trahie.

2_ Une démocratie en trompe-l’œil

El-Insaf présente la Mauritanie comme un modèle démocratique. Pourtant, des partis majeurs comme le RAG et le FPC restent sans reconnaissance légale en violation de la loi 91-024 de 1991. Des citoyens continuent d’être emprisonnés pour leurs opinions, à l’image d’Ablaye Bâ, responsable des questions migratoires au sein de IRA Mauritanie, incarcéré pour avoir dénoncé les traitements dégradants réservés aux migrants par les forces de sécurité — ce que Human Rights Watch a confirmé dans son rapport d’août 2025 — ou d’Eli Bakar, activiste engagé pour la protection des ressources halieutiques et de l’environnement (Amnesty International, 2023).
Le drame de Kaédi, survenu après l’élection présidentielle de 2024, illustre tragiquement ces dérives : six jeunes manifestants pacifiques ont été tués, enterrés sans autopsie, sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte (Human Rights Watch, 2024).
Al-Farabi rappelait que « la cité vertueuse est celle où les habitants coopèrent en vue d’atteindre la félicité ». À l’inverse, la répression des citoyens et l’absence de justice mettent en lumière la fragilité réelle de la démocratie mauritanienne et son inadéquation avec l’ODD 16 (Paix, justice et institutions efficaces).

3_ La marginalisation persistante des CDWD

Les Communautés discriminées sur la base du travail et de l’ascendance (CDWD), qui représentent environ 20 % de la population mauritanienne (US State Department, 2024), demeurent victimes d’une marginalisation structurelle profondément enracinée. Cette réalité, régulièrement dénoncée par Biram Dah Abeid, est largement confirmée par des organisations indépendantes comme Human Rights Watch (2024), qui soulignent l’ampleur des discriminations systémiques.
Cette exclusion persistante ne relève pas seulement d’un déficit de droits humains : elle constitue un frein direct aux engagements de la Mauritanie envers l’Agenda 2030. L’ODD 5 appelle à l’égalité et à l’autonomisation de toutes les femmes et filles, or les femmes issues des CDWD subissent une double discrimination, à la fois sociale et de genre. L’ODD 10, consacré à la réduction des inégalités, reste hors de portée tant que des pans entiers de la population continuent d’être assignés à des statuts sociaux inférieurs. Enfin, l’ODD 16, qui promeut paix, justice et institutions efficaces, se heurte à une réalité où l’accès équitable à la justice et aux institutions demeure illusoire pour les CDWD.
Al-Jahiz écrivait : « Les peuples ne s’élèvent que lorsqu’ils abattent les barrières de l’injustice. » Ainsi, nier ou minimiser ces discriminations ne fait pas que prolonger l’injustice : cela condamne le pays à l’instabilité et compromet toute trajectoire de développement durable.

4_ Politiques sociales et transparence

L’Agence Taazour, régulièrement présentée comme une réussite gouvernementale, reste limitée par un manque de suivi et de transparence (Cour des Comptes, 2023). Une large partie de la population rurale demeure exclue des programmes sociaux, illustrant l’échec de l’inclusion et du développement durable (ODD 1, 3, 4, 6, 10).
Comme le rappelait Cheikh Anta Diop : « Un peuple qui n’a pas le courage de regarder sa réalité en face est condamné à la subir éternellement. » Lorsque Biram dénonce l’exil et le chômage des jeunes, il rejoint les mots d’Albert Camus : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde. »

Conclusion

Face à une telle clarté, les attaques d’El-Insaf apparaissent pour ce qu’elles sont : un écran de fumée, une tentative maladroite de délégitimer la voix la plus écoutée et la plus redoutée du pays. Le pouvoir peut caricaturer, insulter ou calomnier, emprisonner, mais il ne peut ni effacer la vérité ni museler l’espérance collective. Biram, en s’adossant à la souffrance réelle du peuple et en portant ses aspirations, s’impose comme un tribun dont la légitimité dépasse les frontières du pays ; et quand sa voix retentit à l’international, elle crée ce déluge considéré comme l’opprobre publique.
En définitive, la question n’est pas de savoir si Biram Dah Abeid fabrique une patrie imaginaire, mais si le régime actuel, en s’accrochant à des privilèges anachroniques et en perpétuant l’exclusion, n’est pas en train de détruire la patrie réelle. Comme le rappelle une maxime chère à Biram : « La vérité a ses ennemis, mais elle ne connaît jamais de défaite. »

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