Biram Dah Abeid dénonce la corruption en Mauritanie : le gouvernement répond et défend sa politique anticorruption
Lors d’une conférence de presse à Paris, le député et militant Biram Dah Abeid a dénoncé l’ampleur de la corruption en Mauritanie, accusant les élites de détourner les ressources publiques. Mais le gouvernement défend sa politique anticorruption et conteste la méthodologie du rapport de la Cour des comptes, au centre d’une vive polémique.
Paris, le 18 octobre 2025 —
Lors d’une conférence de presse tenue dans la capitale française, le député et militant mauritanien Biram Dah Abeid, président de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), a tiré la sonnette d’alarme sur ce qu’il qualifie de « corruption systémique » minant les fondements de l’État mauritanien.
Son intervention intervient dans un contexte de vives polémiques autour d’un rapport de la Cour des comptes, dont certains extraits, relayés sans vérification sur les réseaux sociaux, ont été interprétés comme révélant la dilapidation de plus de 400 milliards d’ouguiyas — soit plus d’un milliard de dollars.
Or, une lecture attentive du document montre une réalité bien plus complexe, loin des montants avancés et désormais au cœur d’une bataille de récits entre indignation politique, défense institutionnelle et recherche de vérité.
Un cri d’alarme politique contre l’impunité et la prédation
À Paris, devant un public composé de journalistes et de membres de la diaspora, Biram Dah Abeid a dressé un constat sévère sur l’état de la gouvernance publique en Mauritanie.
Selon lui, le pays fait face à de « multiples périls » — économiques, sociaux et institutionnels — mais c’est la corruption endémique et la gabegie administrative qui en constituent les principaux moteurs d’instabilité.
« L’enrichissement spectaculaire et sans cause de certains agents de l’État, notamment via des acquisitions à l’étranger, révèle un système où la prime à l’impunité est devenue la norme », a-t-il déclaré.
Le militant abolitionniste a également rappelé que ces pratiques se sont enracinées sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz et continuent, selon lui, de proliférer sous le régime actuel malgré les promesses de moralisation.
« Les clans et tribus continuent de se partager les fruits de la prédation, tandis que la majorité des Mauritaniens s’enfoncent dans la pauvreté », a-t-il dénoncé.
Le rapport de la Cour des comptes : entre faits avérés et rumeurs amplifiées
Les propos du député surviennent alors qu’une partie de l’opinion publique débat du contenu d’un rapport explosif de la Cour des comptes.
Contrairement à la rumeur persistante, aucun passage du document n’évoque la dilapidation de 400 milliards MRU.
Les magistrats financiers y relèvent des pertes techniques, des dépenses irrégulières, et des détournements d’objectifs, mais les montants restent bien en-deçà des chiffres relayés.
Quelques cas précis illustrent cette réalité :
- À la SOMELEC, des pertes d’énergie non facturée ont été constatées, causées par des branchements illégaux, des compteurs défectueux et une gestion déficiente. Préjudice estimé : 2,8 milliards MRU.
- Au Fonds des hydrocarbures raffinés, des fonds destinés à soutenir le secteur ont été utilisés pour des primes et dépenses internes, un détournement d’objectif administratif plus que financier.
- D’autres ministères, comme ceux de la Santé, de l’Emploi ou des Infrastructures, sont également épinglés pour des dépenses non justifiées ou mal documentées.
En somme, la Cour ne décrit pas un “pillage massif”, mais un système administratif fragilisé, marqué par l’opacité et la faiblesse du contrôle interne.
Le document met en lumière des dysfonctionnements structurels plus qu’un scandale financier isolé.
La réaction du pouvoir : entre fermeté politique et mise en cause du rapport
Face à la polémique, des sources proches du gouvernement rappellent que la lutte contre la corruption n’est pas un simple slogan, mais “une politique claire du Président de la République, confiée au gouvernement, qui est résolu à l’appliquer dans la durée”.
Le pouvoir exécutif se dit pleinement conscient des risques systémiques que pose la corruption à l’économie nationale et affirme avoir engagé des mesures de réforme et de transparence.
Toutefois, plusieurs voix au sein de l’administration contestent la méthodologie du rapport de la Cour des comptes.
Selon elles, le document aurait été rédigé sans respecter les procédures élémentaires de contradictoire.
« Le rapport a accusé des individus sans aucune rencontre préalable entre les inspecteurs de la Cour et les personnes concernées, comme l’exigent le professionnalisme et la rigueur administrative », confie un haut fonctionnaire.
« Dans certains cas, les réponses des services concernés — accompagnées de documents officiels clairs — n’ont même pas été prises en compte. »
Ces sources estiment que certains passages du rapport reposeraient sur des impressions subjectives, voire des opinions personnelles, plutôt que sur des constats étayés.
« Il est possible que la Cour ait produit un rapport qu’elle pensait passer inaperçu, comme d’autres dans le passé », ajoute un conseiller gouvernemental, tout en réaffirmant la volonté du chef de l’État de rendre la gouvernance plus responsable et plus transparente.
Entre perception et vérité : le champ de bataille de l’information
Au-delà des chiffres et des querelles institutionnelles, cette affaire révèle la fragilité du débat public mauritanien.
Dans un contexte où la transparence demeure incomplète et où les médias indépendants peinent à obtenir des données vérifiables, la désinformation prospère.
Les rapports officiels, souvent techniques, sont interprétés à l’aune des passions politiques plutôt que des faits.
Pour plusieurs observateurs, cette controverse souligne l’urgence de restaurer la confiance entre les institutions de contrôle, la presse et les citoyens.
“Avant de partager des chiffres, il faut lire les rapports — pas les réinventer”, rappelle un ancien auditeur de la Cour des comptes joint par Rapide Info.
“Mais il faut aussi que ces rapports soient élaborés avec rigueur, transparence et dialogue contradictoire.”
Un enjeu national : reconstruire la gouvernance publique
L’épisode du rapport et les propos de Biram Dah Abeid se rejoignent sur un point : la question de la responsabilité publique.
Derrière les polémiques, c’est l’avenir institutionnel du pays qui se joue.
Entre un militant qui appelle à une refondation morale de l’État et un gouvernement qui promet une réforme méthodique, la Mauritanie se trouve à un carrefour décisif.
La lutte contre la corruption, loin d’être une bataille de communication, devient une épreuve de crédibilité.
Et comme le souligne un analyste politique à Nouakchott, « la transparence ne se décrète pas, elle se construit — par la méthode, le contrôle et le courage politique ».
Conclusion : vers un nécessaire sursaut institutionnel
La polémique autour du rapport de la Cour des comptes illustre les tensions internes d’un État en quête de redevabilité.
Les dénonciations politiques, les critiques administratives et les maladresses institutionnelles convergent vers une même exigence : celle de la vérité, de la rigueur et du droit à l’information.
Entre les alertes de la société civile et les promesses du pouvoir, le chantier de la gouvernance mauritanienne reste immense, mais incontournable.
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