Billet d’humeur – À fond les banquettes : la voiture de la Première Dame, ou l’effet domino à quatre roues

Billet d’humeur – À fond les banquettes : la voiture de la Première Dame, ou l’effet domino à quatre roues
Dans notre cher pays, certaines tendances ne se propagent pas : elles déferlent. Oubliez les robes en bazin assorties, les selfies diplomatiques ou les citations inspirantes en conférence. Le vrai symbole d’ascension sociale — que dis-je, de consécration républicaine ?— c’est désormais… la voiture de la Première Dame.
Tout est parti d’un véhicule. Élégant, clinquant, discret comme un avion de chasse dans un salon de thé. Il ne s’agissait pas de n’importe quelle voiture : la voiture de Madame. Et là, sans crier gare, une épidémie a éclaté. Non pas de grippe, ni de fièvre aphteuse, mais une flambée spectaculaire de clones roulants.
Les femmes ministres ont emboîté le pas (ou plutôt enclenché la première). Puis, les épouses des secrétaires généraux ont suivi — parce que l’égalité commence dans le garage. Ensuite, les femmes de chefs de service ont flairé le bon filon. Même certaines collaboratrices bien placées dans les ministères, dit-on, auraient pris rendez-vous chez le concessionnaire avec une motivation digne d’un appel patriotique.
Le résultat ? Une armada de voitures identiques stationne désormais fièrement devant les bâtiments administratifs, les salons de coiffure VIP, et les brunchs « entre dames » du samedi. On dirait un club fermé, un ordre discret mais visible, une voiturecratie où chaque plaque minéralogique murmure : « moi aussi, j’en suis ».
Mais derrière ce bal mécanique, une question taraude le citoyen lambda, coincé entre un taxi délabré et le dernier embouteillage dû à l’inauguration d’un rond-point : comment peut-on prêcher l’austérité tout en paradant dans des véhicules de luxe synchronisés comme une chorégraphie de K-pop ou de la danse « Jaguar » chez-moi ?
Parce que, soyons sérieux deux minutes, comment lutter efficacement contre la pauvreté, le chômage des jeunes et la corruption, quand même les bailleurs de fonds – censés incarner la rigueur et la transparence – finissent par s’offrir la même voiture que la Première Dame ? Est-ce un nouveau critère d’intégration ? Une clause cachée dans les accords de financement ? Ou simplement un manque d’imagination chez les concessionnaires de la capitale ?
Et pendant ce temps-là, nous autres, pauvres piétons et conducteurs de mobylettes, on respire déjà très mal dans ce bled où il n’y a ni eau, ni arbres, ni air frais ! Le sable, la poussière et les gaz d’échappement forment notre trinité nationale. Dans ce désert de bitume et de privilèges, même une bouffée d’oxygène devient un luxe.
Alors que faire ? Circulez à vélo, mesdames ! Comme les braves Atarois, qui pédalent fièrement, la tête haute et le cœur léger — sans chauffeur, sans clim, mais avec dignité.
Ahmed Ould Bettar