Aucun répit dans les combats au Soudan

Les deux composantes de la junte militaire se combattent depuis six jours à Khartoum. Les trêves ne tiennent pas et les appels de la communauté internationale à l'arrêt des affrontements restent sans écho.

Aucun répit dans les combats au Soudan.
Par Yves Bourdillon – LesEchos – Publié le 21 avr. 2023 à 12:03
Explosions et tirs continuaient de déchirer, vendredi la capitale du Soudan, Khartoum, où s’élèvent d’épaisses fumées noires et où blindés et pick-up calcinés jonchent les rues. Dans la ville de cinq millions d’habitants, des familles se pressent sur les routes, malgré les check point des militaires, pour fuir raids aériens, rafales et combats de rue qui ont tué, selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 400 civils depuis le début des affrontements, samedi, entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et l’armée régulière, les deux principales composantes de la junte militaire.

Les organisations humanitaires ont pour la plupart été forcées de suspendre leur aide, cruciale dans un pays où un tiers des 45 millions d’habitants souffre de la faim en temps normal. De nombreuses familles ont épuisé leurs derniers vivres et aucun camion d’approvisionnement ne peut entrer dans la ville. Les deux tiers des hôpitaux de la capitale ne peuvent plus fonctionner et l’eau et l’électricité ont été coupées.

Vains appels au cessez-le-feu

A quelques dizaines de kilomètres de là, toutefois, la vie suit son cours et les maisons s’ouvrent pour accueillir les réfugiés qui ont marché des heures, car le litre d’essence s’échange à 10 dollars dans l’un des pays les plus pauvres du monde.

Plusieurs trêves ont été décrétées, pour ne tenir que quelques heures, depuis le déclenchement, samedi, des combats entre les FSR du général Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, et l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane. Sur fond de désinformation en ligne galopante, les deux camps se vantent de contrôler les sièges du pouvoir et l’aéroport, où une dizaine d’avions ont été incendiés.

Les dirigeants de l’ONU, de l’Union africaine, de la Ligue arabe et d’autres organisations régionales devaient de nouveau se concerter ce jeudi pour réclamer un cessez-le-feu, alors que les musulmans à travers le monde s’apprêtent à fêter l’Aïd el-Fitr, la fin du ramadan, vendredi ou samedi. Un appel resté sans réponse des protagonistes.

Les tensions montaient depuis des semaines entre l’armée et les FSR, pourtant associés lors du coup d’Etat d’octobre 2021 qui avait mis fin brutalement au processus de transition démocratique consécutif à la révolte populaire ayant renversé en 2019 le dictateur islamiste Omar el-Bechir . Ce dernier était au pouvoir depuis trente ans.

Fracture géographique et sociale

« Ces affrontements vont bien au-delà d’une classique rivalité entre généraux pour la direction du pays, ou le contrôle des ressources économiques, surtout de l’extraction d’or, mais reflètent une profonde fracture sociale et géographique, souligne Clément Deshayes, spécialiste de la région et enseignant-chercheur à l’IRSEM (institut de recherche stratégique de l’école militaire). En effet, les officiers de l’armée régulière sont surtout issus du centre du Soudan et des élites issues de la décolonisation, qui estiment que le pouvoir est leur prérogative, tandis que le général Hemedti représente plutôt des populations marginalisées, à la périphérie du pays ».

Hemedti, premier représentant de cette partie du pays à obtenir le rang de numéro deux à Khartoum, avait pourtant longtemps marché main dans la main avec l’armée, puisqu’il avait été chargé par cette dernière, du temps d’Omar el-Béchir de la répression lors du conflit du Darfour, dans l’ouest du pays (300.000 morts depuis 2003). Ce qui lui vaut d’être accusé de crimes de guerre, comme des cadres de l’armée régulière au demeurant. Les FSR, créées en 2013, regroupent des milliers d’anciens Janjawids, des miliciens arabes recrutés par Omar el-Béchir pour mener cette guerre.

Risque d’internationalisation

L’issue des affrontements actuels est incertaine car les deux camps disposent des moyens militaires de tenir tête à l’autre et les enjeux sont existentiels. « Le risque d’internationalisation du conflit est réel, estime Clément Deshayes, car chacun des deux camps est soutenu par des acteurs internationaux » : les FSR par l’Ethiopie, la République centrafricaine et les Emirats arabes unis, l’armée par l’Egypte (qui a obtenu l’évacuation de 177 de ses soldats capturés par les FSR), ainsi que, dit-on, l’Arabie saoudite et le Tchad, où 320 soldats soudanais se sont rendus de peur d’être tués par les FSR.

« Ce risque peut toutefois être géré, ajoute-t-il, car ces différents pays entretiennent par ailleurs des relations convenables, ou peuvent estimer que le jeu soudanais n’en vaut pas la chandelle, sans compter qu’ils ont d’autres dossiers brûlants sur les bras, comme, notamment, l’Egypte en Libye ».

En outre, les sanctions que les Etats-Unis comptent instaurer contre les protagonistes peuvent dissuader les acteurs extérieurs de s’impliquer. On dit aussi que le groupe de mercenaires russes Wagner serait présent, mais vraisemblablement à toute petite échelle. La situation est d’autant plus volatile que de nombreux groupes armés existent au Soudan, en sus des FSR et de l’armée, qui n’ont pour l’instant pas été aspirés par le conflit, et que des réfugiés soudanais peuvent déstabiliser des régions avoisinantes. Le Soudan compte sept pays frontaliers.

Yves Bourdillon

Source: LesEchos

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