Appel citoyen contre le référendum en Tunisie

Appel citoyen contre le référendum
Par Slim Maherzi

« Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser. », Françoise Giroud.

Le Destour de 2014, comme toute constitution, n’est pas parfait. Il a été responsable de blocage avec une lutte de pouvoir entre présidents de la République, présidents de l’Assemblée et chef de gouvernement. Durant ces dix dernières années, un parti religieux en a profité, et a fait passer ses intérêts idéologiques et les intérêts de ses partisans aux dépens de ceux de la majorité de notre population. Ce système « panaché » proposé par le destour de 2014 est aujourd’hui, rejeté par une bonne partie de notre peuple, qui semble plus sensible à un régime présidentiel et non présidentialiste, avec un contre-pouvoir réel et efficient. De plus, la décentralisation qui a donné beaucoup d’espoir pour nombre d’entre nous a été biaisée et n’a jamais pu être réellement effective, alors qu’elle aurait pu être une vraie bouffée d’oxygène dans le cadre d’une réelle politique de proximité.

En fait, le processus démocratique, tel que vécu depuis 2011, censé apporté un mieux vivre réel au plus grand nombre, a été miné et une réelle crise sociale avec un sentiment d’injustice s’est instaurée partout dans notre pays. Le besoin de changement était donc inéluctable et se devait d’être salvateur.

Dans ce contexte de marasme général, Kaïs Saïed s’est adjugé les pleins pouvoirs depuis plus de dix mois, sans pour autant que de réels changements ne soient survenus, que ce soit en matière de justice sociale, d’emploi, d’économie et encore plus de lutte contre la corruption.

Il nous sort son Destour, après nous l’avoir enrobé, d’une consultation électronique bien terne, et d’une commission d’experts dont les principaux membres reconnaissent en être les « dindons de la farce ».

Comme citoyen, intéressé par la chose publique qui rêve d’une Tunisie pour tous, démocratique et juste, j’ai lu et relu le contenu du Destour de Saïed. Il s’agit bien de son Destour, on y retrouve l’ensemble des idées qu‘il a présenté, notamment au cours des interviews à Nawaat et a Echaraa el Magharibi, en 2019. Mon constat est bien amer :

– La « Oumma sera au-dessus du pays, puisque telle que c’est inscrit dans ce destour, la Tunisie n’est qu’une partie de cette Oumma et devra s’y conformer. Cette Oumma, considérée comme Oumma musulmane par certains et/ou Oumma nationaliste-arabe par d’autres, peut faire courir un réel risque pour une Tunisie souveraine.

– La Charria, ensemble de lois qui structurent la Oumma musulmane, régira de fait notre société. Elle sera, quoi qu’on le veuille, au-dessus de ce Destour.

– Le caractère civil de l’État disparait de la constitution, celui qui oblige l’État de préserver et protéger tous les membres de la société, quelles que soient leurs affiliations nationales, religieuses ou intellectuelles.

– L’assemblée des territoires et des régions sera calquée sur les « Ellijane chaabiya » à la libyenne ou pour d’autres sur le « localisme » a l’iranienne,

– L’assemblée nationale seraa dépourvue de l’essentiel de ses prérogatives, même dans un régime qui se veut présidentiel.

– La cour constitutionnelle sera composée de juges exclusivement, avec un système de désignation de ses membres qui touchera à son indépendance.

– La justice ne sera plus une institution indépendante, mais une simple fonction,

– Un chef suprême qui aura réellement tous les pouvoirs avec fonction de calife ou de guide suprême. Ses décisions ne prêteront pas à discussion. Il lui suffira de décider d’un « danger imminent » pour rester à vie au sommet de l’échelle ….

– Pour conclure, ce destour ne se résume qu’à une version libyenne ou iranienne de la Tunisie de demain, selon les choix de chacun.

Pour le reste,

-L’Isie, qui était symbole de transparence et d’impartialité, est aujourd’hui nommée par décret présidentiel et donc, il est licite de le penser, sera « aux ordres » de celui qui s’est donné les pleins pouvoirs depuis 10 mois. Elle aura surtout l’horrible tâche d’organiser ce référendum sans contrôle réel ni transparence et d’arrondir des résultats connus d’avance.

-Il Faudra bien à Kais Saïed, un petit 10 % de « Non » au referendum pour rendre le process « acceptable » à l’international.

-Les gens du « Non » formeront l’opposition « officielle » en mode d’avant 2011, voir pire que celle des années Ben Ali, et risquent de participer à légitimer le projet personnel de Saïed en un pseudo-processus démocratique défaillant. Il faudrait leur rappeler le rôle des « experts » qui ont accepté de diriger la commission consultative censés écrire la nouvelle constitution, alors que les doyens des différentes facultés de droit du pays, eux, ont refusé d’y participer. Ces experts peuvent dénoncer tout ce qu’ils veulent aujourd’hui, n’empêche qu’ils auront collaboré au projet personnel de Saïed. Toute dictature a besoin d’être enrobée d’une opposition lisse et raisonnable. Nombre de mes amis font partis de ces « Non », je ne peux ni partager, ni cautionner leur position.

– Celles et ceux qui rejetteront ce référendum se feront lyncher par beaucoup, mais l’histoire retiendra qu’elles et ils auront su refuser le délabrement d’un pays millénaire et s’opposer au retour en dictature. Pour que ce soit utile et en tirant enfin les leçons du passé notamment celles de 2011, Ils auront le devoir, de s’organiser, partis progressistes, société civile voire un jour organisations nationales et défendre, dans les mois voire années à venir, les libertés et les minorités, mais aussi de proposer un réel projet juste et équitable, qui fait que la démocratie s’apparente enfin à une vie meilleure pour l’ensemble des Tunisiennes et Tunisiens. J’espère avoir l’honneur d’y participer, en commençant déjà par soutenir le boycott de ce referendum.

Et que chacun assume ses actes pour l’avenir de la Tunisie.

Source: Business News

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