Abdoulaye Coulibaly : « Le Forum de Niono n’a rien changé »
ENTRETIEN. Une semaine après le Forum de Niono, où en est-on à Farabougou ? Le chef des chasseurs dozos décrypte pour le Point Afrique la situation.
Propos recueillis par Olivier Dubois, à Bamako Publié le 19/11/2020 à 12:29 -Le Point.fr
Depuis le 6 octobre dernier, le village de Farabougou, dans la région de Ségou, est assiégé par des hommes armés, présumés djihadistes. La population ne peut plus sortir du village, se rendre dans les rizières pour récolter le riz, activité économique principale du cercle, ou aller au marché pour assurer sa subsistance. Sous l’extrême climat de tension que font régner ceux qui impriment ce blocus, des hameaux environnants se sont vidés de leur population et la majorité de la communauté peule a quitté la zone. Mais le village de chasseurs de Farabougou, encerclé, continue de résister. L’opération militaire Farabougoukalafia, lancée le 15 octobre dernier par les autorités maliennes pour libérer Farabougou, a permis aux forces de défense et de sécurité de se positionner à l’intérieur du village, mais n’a pas changé la donne pour ces quelques milliers d’habitants enfermés à ciel ouvert. Selon les autorités, la situation serait due à des tensions intercommunautaires. Les médiations entreprises par des notabilités locales et religieuses courant octobre ne sont pas parvenues à un consensus avec les hommes armés et le Forum gouvernemental de Niono qui s’est achevé par la signature d’un pacte de non-agression entre les chasseurs « donsos » et la communauté peule, le 7 novembre dernier, n’a pas été suivi d’effets. Abdoulaye Coulibaly, chef des chasseurs dozos du village de Farabougou et fervent républicain, dépeint une situation de lente asphyxie. Il lance un cri d’alarme à l’endroit du gouvernement pour qu’il agisse et que la population sorte enfin de cette situation de crise. Il s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Quelle est la situation actuellement à Farabougou ?
Abdoulaye Coulibaly : Cela fait presque un mois et demi que le village de Farabougou est entouré par les djihadistes. Rien n’a bougé depuis et nous sommes dans le même problème. La semaine dernière, les djihadistes ont tiré deux roquettes sur le village, sans faire de blessés ni de morts. Vendredi dernier, des villageois qui voulaient aller dans leurs rizières se sont fait tirer dessus. Les djihadistes ne veulent pas voir d’autres personnes qu’eux entre Farabougou et Farabougou Koura. Si quelqu’un vient, ils tirent. On ne peut pas aller plus loin qu’à un ou deux kilomètres du village, au nord, parce qu’il y a les militaires qui sont à côté du village. On ne peut aller que dans les champs de haricots qui sont là-bas, mais à part ça, on ne peut aller nulle part. Ils ont pris les troupeaux du village, ils ont tout pris, il ne nous reste qu’une dizaine ou une quinzaine de vaches. La journée, on n’est pas tranquilles, la nuit, on n’est pas tranquilles. Il y a beaucoup de gens des alentours qui ont laissé leur village pour partir vers Niono.
Quelle est la situation alimentaire et sanitaire ?
Au niveau alimentation, ça va un peu mieux. Lundi, la Minusma a largué par avion 64 sacs de maïs, de riz et de mil. Donc, ça va un peu mieux, mais ce que nous avons reçu ne nous permettra de manger que pendant une semaine. Il n’y a pas de médicaments et beaucoup de gens sont malades du palud et d’autres maladies, mais on n’a rien pour les soigner. Le riz dans les champs de rizières a déjà mûri, mais les gens ne peuvent pas y aller et les mange-mil, les oiseaux, sont en train de manger le riz.
Comment Farabougou s’est-il retrouvé dans cette situation, que s’est-il passé exactement ?
Ce sont des assassinats de Peuls qui ont déclenché les problèmes. Il y a eu un Peul qui a été tué et les djihadistes nous ont dit d’aller le chercher. On y est allés, mais on ne l’a pas trouvé. On ne sait pas qui l’a tué. Puis, un deuxième Peul a été tué pas loin de nos bêtes qui sont en brousse. C’est un Peul qui depuis janvier dernier était avec nos frères à Farabougou Koura, avec son petit troupeau, il venait de l’est, tous ses parents sont morts ainsi que ses enfants et il est venu se cacher ici. Tous les deux jours, il venait à Farabougou. Avant qu’il soit tué, on m’a dit que les djihadistes l’ont menacé, car apparemment il ne payait pas la taxe que lui demandaient les djihadistes par bête. Ils sont venus lui réclamer l’argent plusieurs fois mais il n’a pas payé. Trois jours après, on est venu me dire qu’il avait été tué. Ils ont tiré sur lui avec un fusil de chasse pour dire que ce sont les chasseurs qui ont fait ça. Les djihadistes sont venus et nous ont dit que nous devions demander pardon pour la mort du premier Peul. Mais comment demander pardon pour quelque chose que nous n’avons pas fait ? Nous n’étions pas d’accord. Pour le premier Peul qui a été tué au bord du Fala [nom de la rivière, NDLR], les Peuls ont dit qu’il fallait aller chez ses parents demander le pardon et il a été accordé par la famille du défunt. Mais, entre-temps, ils ont trouvé le corps, tué par un fusil de chasse, du deuxième Peul et le mardi 6 octobre, ils sont venus enlever 18 personnes de la commune qui allaient au marché de Dogofry et la guerre a commencé comme ça. Ils cherchaient une occasion, une raison pour nous attaquer. Je mets ma main au feu que les gens de Farabougou et de Kourouma Koubé n’ont tiré sur personne.
Qui sont ces djihadistes qui encerclent la ville ? Que veulent-ils et d’où viennent-ils ?
On ne sait pas vraiment. Ils veulent que nous suivions leur charia, c’est obligatoire. Nous avons refusé, nous ne sommes pas habitués à ça. Tous les habitants de Farabougou sont des musulmans. Ils viennent de la forêt de Wagadou, entre Dogofry et la Mauritanie, ils viennent tous du côté de la route qui mène à la Mauritanie.