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Mauritanie : le procès de l’ancien président plonge au cœur des affaires de corruption.

Mauritanie : le procès de l’ancien président plonge au cœur des affaires de corruption.
Mohamed Ould Abdel Aziz, qui clame son innocence, est accusé de plusieurs délits financiers lorsqu’il était chef de l’Etat entre 2008 et 2019.
Place aux débats. Après plus de deux semaines d’interruption pour cause de saisine du Conseil constitutionnel, le procès de Mohamed Ould Abdel Aziz est entré depuis le 6 avril au cœur de l’affaire de corruption qui oppose le ministère public à l’ancien président. Avec dix autres prévenus ayant tous occupé de hautes fonctions administratives et politiques dans les années 2010 – deux anciens premiers ministres figurent également sur le banc des accusés –, l’ancien chef de l’Etat mauritanien de 2008 à 2019 doit répondre d’importants délits financiers. Il est notamment poursuivi pour « enrichissement illicite », « abus de fonctions », « trafic d’influence », « blanchiment ».
Ouvert le 25 janvier, le procès a été marqué par de nombreuses suspensions et plusieurs incidents d’audience. Les débats avaient jusque-là essentiellement porté sur la compétence de la cour pour juger Mohamed Ould Abdel Aziz ainsi que le maintien ou non en détention du principal l’accusé. Il est maintenant dans une nouvelle phase et offre une plongée au cœur des affaires de corruption de l’ancien régime mauritanien aux allures de règlement de compte.

A la barre du tribunal de Nouakchott, l’homme d’affaires Brahim Ould Ghadda a expliqué lundi 10 avril à Oumar Ould Mohamed Lemine, président de la cour, comment l’ancien président lui avait remis la somme de 7,1 milliards d’anciens ouguiyas (18,7 millions d’euros) en dépôt à partir de 2009. Une partie de ce montant aurait servi à la construction d’une clinique privée dans la capitale mauritanienne. Un peu avant lui, le général à la retraite Ahmed Ould Beckrine affirmait avoir reçu l’ordre de Mohamed Ould Abdel Aziz de céder une partie de l’enceinte de l’école de police de Nouakchott afin de la transformer en centre commercial.

Abus de pouvoir et détournements

« L’ancien président m’a appelé au téléphone et m’a demandé de faciliter la visite d’une personne du ministère de l’habitat accompagnée de quelques particuliers, afin de jeter un coup d’œil sur une partie de l’école de police destinée à la vente », a soutenu M. Ould Békrine, ancien directeur général de la sûreté nationale. Jeudi 6 avril, c’était le ministre de l’éducation nationale au moment des faits qui racontait à la barre la vente par l’Etat de plusieurs bâtiments abritant des écoles primaires.

La comparution de l’ancien président mauritanien, qui plaide non coupable, fait suite à une longue enquête financière menée par une commission parlementaire sur demande de l’Assemblée nationale. Celle-ci a fait l’objet d’un rapport de huit cents pages dans lesquelles Mohamed Ould Abdel Aziz apparaît comme le décideur d’un système mêlant abus de pouvoir et détournements, même s’il n’est jamais nommément cité.

« Outre les multiples irrégularités relevées en matière d’achat public sont également apparues des violations des textes relatifs à la gestion du domaine public de l’Etat, conclut le rapport de la commission. L’analyse a porté sur plusieurs projets de cessions foncières par l’Etat à des tiers, en particulier s’agissant des écoles fondamentales à Nouakchott. Des irrégularités constatées à l’issue d’enquêtes menées par la commission ont ainsi été relevées concernant les procédures non prévues par les textes et utilisées pour procéder à la cession du foncier ainsi que concernant les conditions administratives de sortie des parcelles du domaine public. » Selon la commission d’enquête parlementaire, le montant global des biens et avoirs « frauduleusement dissipés » est évalué à 96 millions d’euros.

« Amis de quarante ans »

Le procès, qui reprendra le 18 avril, après la fête de l’Aïd-el-Fitr marquant la fin du ramadan, va-t-il prendre les allures d’un grand déballage sur la décennie Aziz ? « Les témoignages entendus ne sont pas clairs et ne prouvent donc rien, répond Lucas Vincent, l’un des avocats de M. Aziz. Celui de M. Ould Gadda est même à décharge puisqu’il indique que son groupe n’a pas été favorisé pendant la présidence de mon client. »

Mohamed Ould Abdel Aziz, 66 ans, crie « au complot ». Il invoque aussi l’article 93 de la Constitution qui, selon lui, interdit de juger un président pour des actes commis dans l’exercice de ses fonctions. « Les dépositions d’un témoin n’ont de valeurs que si elles sont soumises à un débat contradictoire, ajoute Ciré Cledor Ly, autre avocat de l’ancien président. Ce procès est n’est qu’une farce judiciaire. »

Lire aussi : Mauritanie : l’étau judiciaire se resserre autour de l’ancien président Ould Abdel Aziz
Selon la défense, Mohamed Ould Abdel Aziz serait victime d’un règlement de compte politique ourdi par Mohamed Ould Ghazouani, son successeur à la présidence mauritanienne à partir d’août 2019. Dans un pays qui a connu de nombreux coups d’Etat, les deux hommes, « amis de quarante ans » selon leurs dires, auraient d’abord noué des liens dans la réussite de deux putschs puis, lorsque l’actuel président fut directeur de cabinet et ministre de la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz.

Leur amitié a commencé à se fissurer lorsque ce dernier a tenté en vain de mettre la main sur le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR), après son départ de la présidence. Elle a volé en éclats lorsque la rumeur d’un coup d’Etat fomenté par M. Aziz a circulé dans les rues sablonneuses de Nouakchott quelques mois plus tard. « Ce procès est évidemment politique, indique Lucas Vincent. Le processus judiciaire, au sein d’une juridiction où les magistrats sont spécialement nommés, a commencé juste après un meeting de M. Aziz au cours duquel il avait rencontré un immense succès populaire. »

Pierre Lepidi

Source: Monde.fr

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