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Kaédi et la mémoire des anciens : chronique d’une mobilisation exemplaire autour du cimetière central

LOGO cadres convergence des kaediensKaédi et la mémoire des anciens

« Penser aux morts, c’est assurer la survie des gens qu’on a aimés, en attendant que d’autres le fassent pour vous… »
François Mitterrand

Il est des paroles qui ne vieillissent pas. Elles traversent les époques, les continents et les circonstances pour revenir nous rappeler l’essentiel. La phrase de François Mitterrand appartient à cette catégorie. Elle ne parle ni de politique, ni d’un programme, ni d’une ambition personnelle. Elle parle de la mémoire : de ce qui demeure lorsque tout s’efface, de ce fil invisible qui relie les vivants à ceux qui ne le sont plus.

Aujourd’hui, à Kaédi, cette vérité trouve une traduction concrète, palpable, presque émouvante : la mobilisation collective autour du cimetière central, lieu de repos de milliers d’âmes et sanctuaire d’une mémoire qui ne doit ni s’altérer, ni disparaître.

I. Un mouvement né du devoir et de la conscience

Depuis plusieurs semaines, un élan spontané s’est créé parmi les Kaédiens, qu’ils résident dans la ville ou qu’ils vivent dispersés à travers le monde. Cette initiative ne vient ni d’une autorité municipale ni d’un financement extérieur. Elle vient de la population elle-même, portée par ce sentiment profond que prendre soin de nos morts, c’est aussi prendre soin de nous-mêmes.

C’est dans cet esprit que les Kaédiens se sont réunis autour du panel du Cadre de Convergence des Kaédiens, une structure citoyenne qui a décidé de rassembler, coordonner et orienter les efforts. Le panel ne cherche pas à être un pouvoir : il cherche à être un levier, un catalyseur, un outil au service de la communauté. Et ce rôle, il l’a assumé avec humilité et efficacité.

II. Le cimetière central : un espace de mémoire, un miroir de notre dignité

Pour beaucoup, un cimetière n’est qu’un lieu. Mais pour les Kaédiens, le cimetière central est une archive vivante. C’est le lieu où reposent ceux qui ont construit la ville, qui l’ont aimée, qui l’ont servie. C’est le repos de nos pères, de nos mères, de nos maîtres, de nos guides, de nos enfants parfois, de nos aînés souvent.

Ce site avait besoin d’un geste fort. Il fallait :

instaurer un gardiennage permanent pour parer aux errements d’animaux et éviter toute profanation du lieu ;

renforcer et rehausser le mur d’enceinte pour assurer la sécurité du site ;

nettoyer et assainir les espaces envahis par les herbes et les déchets ;

réorganiser les accès pour prévenir la dégradation du sanctuaire ;

établir une discipline collective autour de l’entretien.

Sur ce point, un geste institutionnel a rejoint l’effort citoyen :
suite à la requête officielle du Cadre de Convergence des Kaédiens, la commune a octroyé un gardien permanent dédié au cimetière, preuve que les démarches citoyennes, lorsqu’elles sont structurées et responsables, peuvent entraîner des réponses concrètes et utiles.

La communauté, elle, n’a pas attendu un “grand projet” ou une “initiative officielle”. Elle s’est levée, simplement, avec dignité.

III. La contribution : ciment de l’unité kaédienne

Ce qui rend cette mobilisation exceptionnelle, ce n’est pas seulement son objectif, mais sa méthode : la contribution collective.

Contribution matérielle de ceux qui peuvent donner.

Contribution physique de ceux qui viennent nettoyer, transporter, réparer.

Contribution intellectuelle de ceux qui proposent, orientent et organisent.

Contribution spirituelle de ceux qui prient et invoquent pour les anciens.

Contribution de la diaspora, toujours attentive, toujours solidaire, toujours présente lorsque Kaédi l’appelle.

Jamais depuis longtemps Kaédi n’avait donné un tel exemple d’unité. Les plus jeunes travaillent aux côtés des anciens. Les familles œuvrent main dans la main. Les donateurs, petits ou grands, participent sans rivalité, sans distinction, dans un esprit de fraternité simple et sincère.

Le panel du Cadre de Convergence des Kaédiens joue ici un rôle central : il veille à la transparence, à la coordination, et à l’harmonie des contributions. Il ne dirige pas, il accompagne. Et ce mode de fonctionnement, basé sur le volontariat et la confiance, a renforcé la cohésion plutôt que de la fragiliser.

IV. Quand le soin des morts devient un acte de construction collective

En entretenant le cimetière, les Kaédiens ne posent pas seulement une pierre matérielle. Ils construisent un message.

Ils affirment que :

Kaédi est une ville qui respecte ses morts ;

la mémoire n’est pas une option mais un devoir ;

l’ordre commence là où repose l’histoire ;

la dignité ne se négocie pas.

En vérité, ils construisent une culture : une culture de responsabilité, de solidarité et de respect. Une culture qui, si elle se maintient, transformera Kaédi durablement, au-delà de ce seul chantier.

V. Une dynamique à inscrire dans la durée

Les travaux engagés montrent une voie. Mais ils appellent aussi une réflexion profonde sur la continuité :

Comment instaurer un entretien régulier et non ponctuel ?

Comment organiser une contribution permanente pour assurer les besoins du site ?

Comment faire du cimetière un espace apaisé, propre et sécurisé toute l’année ?

Comment transmettre aux plus jeunes cette culture du soin et de la mémoire ?

La réussite du présent chantier ouvre ces perspectives. Elle invite à imaginer un comité permanent, une logistique pérenne, des campagnes périodiques d’assainissement et une gouvernance claire.

Conclusion : ce que nous faisons pour eux, d’autres le feront pour nous

En fin de compte, la mobilisation de Kaédi autour du cimetière central est bien plus qu’un projet d’assainissement. C’est un acte de foi, d’unité et d’identité.

En prenant soin de nos morts, nous prenons soin de notre mémoire. Et en prenant soin de notre mémoire, nous prenons soin de nous-mêmes.

Un jour, chacun de nous rejoindra ce lieu ou un autre semblable. Et c’est alors que la phrase de Mitterrand prendra toute sa portée : nous espérons que d’autres feront pour nous ce que nous faisons aujourd’hui pour ceux qui nous ont précédés.

Kaédi vient de montrer que cette chaîne de transmission existe toujours.
Qu’elle est vivante.
Qu’elle est forte.

Et cela, en soi, est une victoire.

Yaaya Tuure

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