Dialogue national : le Président ouvre la voie à un nouveau consensus politique – ou à une bataille pour l’héritage du pouvoir

Dialogue national
Néma (Hodh Chargui) – Dans un discours dense et solennel, prononcé ce jeudi devant une foule compacte réunie à Néma, le Président de la République a lancé un appel à « un dialogue national inclusif », présenté comme une étape majeure pour « renforcer la cohésion nationale et consolider le front intérieur ». Derrière les mots d’apaisement et les promesses de développement, l’initiative suscite déjà des lectures multiples : dialogue sincère pour refonder le contrat social ou manœuvre politique en prélude à une possible recomposition du pouvoir en 2029.
Un ton présidentiel entre bilan et projet
Le Chef de l’État a livré un discours maîtrisé, à la fois empreint de gravité institutionnelle et de lyrisme républicain. Devant les habitants du Hodh Chargui, il a déroulé un bilan détaillé de son action, évoquant des « progrès tangibles » dans les domaines de la sécurité, de l’énergie, de l’eau, de l’éducation et de la santé.
« La situation du pays est bonne, sa sécurité est sous contrôle total, et nos institutions fonctionnent régulièrement », a-t-il assuré, tout en reconnaissant « des défis persistants » et « des attentes encore insatisfaites ».
Le Président a notamment rappelé que la croissance économique « dépasse 6 % depuis trois ans », et mis en avant une longue liste de réalisations : milliers de salles de classe construites, puits forés, routes asphaltées et hôpitaux en chantier. Autant d’indicateurs destinés à affirmer une trajectoire de progrès et une stabilité exemplaire.
Moussa Fall, coordinateur d’un dialogue à haut risque politique
Mais c’est l’annonce du dialogue national qui a retenu l’attention. Le Chef de l’État a confirmé pour rappel la désignation de Moussa Fall, vétéran de la scène politique nationale, comme coordinateur chargé de consulter partis, opposition et anciens candidats à la présidentielle.
Un choix qui n’a rien d’anodin. Moussa Fall, figure de consensus et fin connaisseur des arcanes politiques depuis plus d’un demi-siècle, apparaît comme le garant d’un processus équilibré… ou comme un habile fusible dans un moment charnière.
Selon plusieurs observateurs, la mission confiée à Fall traduit la volonté du Président de repositionner le dialogue au cœur du jeu politique, après des mois de tensions et de spéculations sur un éventuel “troisième mandat ou la désignation d’un successeur. Le discours présidentiel, tout en prônant la concertation, n’a pas dissipé ces interrogations.
Un dialogue pour la cohésion ou pour la continuité ?
Le Chef de l’État s’est voulu rassembleur :
« Rien ne justifie l’affrontement entre les élites politiques… La divergence d’opinions ne doit pas conduire à la rupture. »
Ces mots, empreints d’unité nationale, visent à replacer la Mauritanie dans une dynamique de stabilité régionale, alors que les crises aux frontières imposent prudence et solidarité. Mais dans les coulisses, certains cadres du pouvoir y voient une séquence préparatoire à une grande reconfiguration politique.
Entre un troisième mandat officieux – que le Président ne confirme ni ne dément – et la recherche d’un successeur loyal, le dialogue pourrait servir de laboratoire politique pour tester les équilibres internes de la majorité et jauger la loyauté des alliés.
Le Hodh Chargui, symbole et laboratoire du pouvoir
Le choix du Hodh Chargui pour ce discours n’est pas fortuit. Région stratégique, grénier électoral à la fois carrefour sécuritaire et zone de forte symbolique historique, elle devient le miroir du récit présidentiel : celui d’un pays en mutation, tourné vers la modernisation, mais attaché à ses racines.
Avec un programme d’urgence de 40 milliards d’ouguiyas dédié à l’accès à l’eau, à l’électricité, à la santé et à l’éducation, le Président a fait de la région un territoire vitrine de son action sociale et économique.
« Le développement de votre wilaya est un objectif stratégique », a-t-il martelé, promettant de transformer le Hodh Chargui en « pôle prospère » et en « centre national de production laitière ».
Une rhétorique d’unité nationale dans un moment d’incertitude
Au-delà des chiffres, le Chef de l’État a appelé à une mobilisation morale et civique :
« Il est de notre devoir de placer la citoyenneté au-dessus de tous les liens tribaux, ethniques ou sectaires », a-t-il insisté, en condamnant les divisions sociales et en prônant une “Mauritanie unie et juste”.
Cette rhétorique de l’unité, déjà présente dans ses précédentes allocutions, résonne ici comme un message politique à double portée : consolider sa base populaire et neutraliser toute contestation avant les échéances futures.
L’heure des clarifications approche
Avec ce discours, le Président ouvre un nouveau cycle politique. Le dialogue national qu’il annonce, et que pilotera Moussa Fall, pourrait devenir un moment de vérité :
soit il redéfinit un pacte de confiance durable entre l’État et les forces politiques,
soit il révèle, au contraire, les fractures d’un système en quête de succession.
Entre l’espoir d’un consensus républicain et les calculs d’un pouvoir en fin de mandat, la Mauritanie entre dans une zone d’incertitude maîtrisée, où chaque mot, chaque nomination, chaque initiative pèsera lourd dans l’histoire politique des prochaines années.
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