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Témoignage d’Ibrahima Ba : Arrêté, humilié, oublié – une histoire mauritanienne

Témoignage poignant d’Ibrahima Ba, jeune Mauritanien issu d’une lignée de diplomates et de ministres, arrêté arbitrairement lors d’une rafle à Nouakchott. Privé de soin, de liberté et de contact avec ses proches, son récit met en lumière les dérives des détentions arbitraires et l’inhumanité du système.

Témoignage d’Ibrahima Ba
Je m’appelle Ibrahima Ba, né le 9 novembre 1992 à Nouakchott. Je suis Mauritanien de père et de mère. Ma mère, Mariame Kouro Mamadou Alassane Bah, est une opératrice économique reconnue ; mon père ; Ba Mamoudou Lamine, fut cadre de banque. Je viens d’une lignée qui a servi ce pays : mon grand-père paternel Ba Mohamed Lemine (Daye), a été le premier ambassadeur de la Mauritanie au Sénégal puis, Ambassdeur à Washington et Paris ; mon grand-père maternel Ba Mamadou Alassane( ancien ministre), et mes grands-oncles : Ba Ibrahima (Daouda)mon homonyme, ancien ministre , Ba Mahmoud (Gueldio) ancien ministre, Ba Bacar Alpha ; ancien ministre, et Nala Oumar Kane ; ancien ambassadeur de la Mauritanie en Allemagne.
Je suis issu d’une ascendance donc d’anciens ministres et diplomates. Mon grand-père Ba Mamadou Alassane fut maire de Maghama et préside l’un des partis les plus anciens de Mauritanie. Pourtant, le jeudi 18 septembre 2025, à l’heure où je faisais ma marche quotidienne, non loin de l’ambassade de France, j’ai été arrêté dans une rafle au faciès. On m’a demandé mes papiers ; je ne les avais pas. On m’a dit : « une vérification rapide ». J’ai cru leurs paroles. J’ai eu tort. Ils m’ont jeté dans un cachot étouffant, entassé avec d’autres hommes. L’air était irrespirable, la chaleur presque physique. On me prit mes empreintes, on grava mon nom dans des registres ; personne, en revanche, ne se soucia de mon corps, ni de mon histoire. En pleine nuit, on nous transféra dans un centre de rétention : murs crasseux, odeurs de sueur et d’urine, silhouettes épuisées qui erraient sans espoir. Ceux qui avaient un peu d’argent pouvaient s’acheter à boire ; moi, je dus ma survie à la générosité des autres détenus.
Dans le silence glacé de cette salle, la réalité me frappa avec une certitude terrifiante : je suis malade, et je prends un traitement quotidien. Privé de mes médicaments, je sentis mon souffle se couper, mon cœur s’accélérer, mes forces me quitter peu à peu. J’implorai qu’on me laisse demander ma prescription. On me refusa. J’ai demandé à téléphoner pour prévenir ma famille ; on me refusa encore. Chaque refus était un coup porté à ma chance de survivre.
Pendant que mon corps luttait dans l’obscurité, à l’extérieur ma disparition déclencha une autre tempête : mes proches, qui savent que je suis malade, attendirent mon retour à 19h. Le silence devint une alarme. La peur se transforma vite en action. Ma mère, diabétique et fragile, sentit la panique la gagner ; mes sœurs, désemparées, oncles, cousins et parentèles et amis, prirent les rues. Mon vieux grand-père, Ba Mamadou Alassane, tremblait à l’idée du pire ; lui qui a servi la Mauritanie toute sa vie, prêt à tout pour protéger sa famille.
La famille se mobilisa comme un seul corps : ils épluchèrent la ville, frappant aux portes de tous les commissariats, interrogeant des agents, fouillant des ruelles, les mosquées, . Ils se rendirent à la morgue, incapables de se défaire de l’horrible possibilité d’un drame. Ils allèrent jusqu’à la plage de Nouakchott, scrutant l’horizon, craignant que la mer n’ait avalé ce qu’ils cherchaient. Partout, le même silence, partout, la même absence.
La nuit devint longue pour deux mondes : dans la salle crasseuse, je sentais la fièvre monter, la panique m’étreindre à chaque vertige ; dehors, ma mère appelait sans répit, mes sœurs couraient d’un lieu à l’autre, et mon grand-père, digne et brisé, multipliait les démarches, usant de ses contacts, sondant les commissariats, priant à chaque arrêt. Ils finirent par comprendre l’horreur : tout semblait indiquer qu’un malheur m’était arrivé.
Au matin, un maigre soulagement : mes empreintes confirmèrent que j’étais Mauritanien. Mais la machine n’avait pas pour but la justice ; elle réclama un prix. On exigea de l’argent pour me rendre ma liberté. Ce fut mon oncle ; alerté, déterminé, qui parvint à me retrouver devant la porte du centre et à négocier ma libération. Ils durent me racheter comme on rachète une vie.
Je sortis vivant, mais marqué. Ma mère, elle, resta pâle et plus fragile qu’avant ; mes sœurs portaient sur leur visage la fatigue d’une nuit d’angoisse. Mon grand-père, dont les rides portent l’histoire d’un pays, pleura en silence, humilié que l’État qu’il a servi traite son sang comme un suspect.
Ce que j’ai vécu dépasse l’humiliation personnelle : c’est une blessure portée au corps même de notre nation. Si, né à Nouakchott, fils et petit-fils de serviteurs de la République, malade et fragile, j’ai pu être arrêté, privé de soin, rendu invisible aux miens, alors que deviennent ceux qui n’ont ni nom connu ni relais ? La réponse est une honte que nous devons nommer et combattre.

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