Migrants en Mauritanie : entre hospitalité proclamée, pressions sécuritaires et enjeux géopolitiques
Chaque jour, des migrants arrivent épuisés en Mauritanie. Entre accueil proclamé, chiffres alarmants et pressions européennes, le pays est sous tension.
Migrants en Mauritanie
Nouakchott – Nouadhibou – M’bera
Sur le terrain
Chaque matin sur les routes poussiéreuses menant à Nouadhibou, des groupes s’éveillent, la fatigue visible sur leurs visages. Abdoulaye, 23 ans, originaire de Guinée, se souvient d’un trajet en mer de quatre jours sans eau ni nourriture. À ses côtés, une mère serre tendrement son bébé — encore vivant, malgré tout.
Contexte chiffré : l’ampleur des flux et de la détresse
- Départs vers l’Espagne
En 2024, plus de 25 000 migrants ont quitté la Mauritanie à destination de l’Espagne, contre moins en provenance du Maroc et de l’Algérie réunis (Dialogue Migration, Morocco World News).
Ce flux contribue à un record de 61 372 arrivées irrégulières par mer en Espagne en 2024, soit une hausse de 10,3 % par rapport à 2023 (Dialogue Migration). - Un chemin mortel
Plus de 500 corps ont été retrouvés au large de la Mauritanie en 2024, plus de 100 autres décès recensés depuis début 2025 (Dialogue Migration).
Un naufrage le 22 juillet 2024, près de Nouakchott, a fait au moins 15 morts et plus de 195 disparus, parmi près de 300 personnes à bord (Wikipédia). - Réfugiés et demandeurs d’asile
Fin mai 2025, la Mauritanie hébergeait environ 169 730 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés, dont environ 84 000 Maliens principalement dans le camp de M’bera (Portail de Données Opérationnelles, Parlement Européen).
L’instabilité croissante au Mali a provoqué une arrivée massive : 108 000 nouveaux réfugiés ont fui vers la Mauritanie en 2024, et début 2025, la population du camp de M’bera atteignait 160 000 personnes (Wikipédia). - Contrôles et expulsions
Entre janvier et avril 2025, plus de 30 000 migrants interceptés ont été recensés par les autorités mauritaniennes, et 88 réseaux de passeurs démantelés (Dialogue Migration).
Pour le premier semestre 2025, Human Rights Watch dénonce 28 000 expulsions, souvent collectives, réalisées dans des conditions inhumaines (El País, Human Rights Watch).
Témoignages et réalités du terrain
Au camp de M’bera, Aïcha, 29 ans, originaire de Sierra Leone, confie : « Je voulais aller en Espagne. Mais après ce que j’ai vécu en mer… ici, au moins, je suis en vie. » Dans la poussière, des enfants, certains âgés de moins de dix ans, jouent, porteurs d’une mémoire d’exil prématuré.
Une responsable d’ONG, sous couvert d’anonymat, observe : « Nous faisons ce que nous pouvons, mais il y a trop d’arrivées et les ressources sont limitées. »
Analyse géopolitique : la Mauritanie, un partenaire stratégique convoité
- Pilier de la gestion européenne des migrations
En mars 2024, la Mauritanie a signé un partenariat avec l’Union européenne d’un montant de 210 millions d’euros, incluant la construction de centres de détention et le renforcement des forces de sécurité pour contenir les départs irréguliers (Dialogue Migration, Financial Times).
Bruxelles a également alloué des fonds européens pour le développement (Global Gateway), investissant dans la transition verte, la numérisation, l’énergie, la santé et la gestion des migrations (International Partnerships).Ces financements sont surveillés à la loupe : des enquêtes soulignent que dettes et centres financés par l’UE ont été utilisés pour “la chasse à l’homme” dans le désert, soulevant de graves critiques quant à la violation des droits humains (Le Monde.fr, El País). - Un rôle central dans la stabilité sahélienne
La Mauritanie est aujourd’hui le seul partenaire démocratique au Sahel encore aligné avec l’Union européenne, dans une région marquée par les régimes autoritaires (Migration Control).
Le pays est également intégré aux initiatives internationales de sécurité : les Tchèque ont déployé une unité militaire pour former l’armée mauritanienne dans le cadre d’une stratégie NATO+ (Analyse de la Sécurité Africaine).
Par ailleurs, la Mauritanie fait partie de la Trans-Saharan Counterterrorism Initiative, soutenue par les États-Unis, et participe à l’Opération Juniper Shield, visant à lutter contre les groupes terroristes dans le Sahara et le Sahel (Wikipédia). - Rivalités d’influence en toile de fond
Pendant que l’Union européenne renforce ses liens avec Nouakchott, la Russie et la Chine intensifient leur présence : accords d’infrastructure (route de la soie), présence militaire indirecte, approche diplomatique renforcée (Humanotions).
Cette compétition rend d’autant plus stratégique la position de la Mauritanie : alliée européenne sans ambiguïté, mais soumise à des pressions multiples.
En conclusion
Dans ce contexte, la Mauritanie oscille entre terre d’accueil précaire, point de contrôle migratoire externalisé, et zone charnière géopolitique. Tandis que les mots officiels évoquent hospitalité, dignité et droits, les chiffres et témoignages racontent une autre histoire : celle d’exodes meurtriers, d’institutions dépassées, d’enjeux internationaux puissants.
Rédaction Rapide info