Sécurité aux frontières Mauritanie–Mali : défis persistants et absurdité bureaucratique
Enquête sur un système administratif kafkaïen qui, entre procédures infinies et menaces invisibles, façonne une sécurité frontalière aux allures d’illusion.
Sécurité aux frontières Mauritanie–Mali
Nouakchott, 8 août 2025 — Depuis des semaines, au ministère de l’Intérieur de Nouakchott, une poignée de fonctionnaires en cravate poudrée pianote sur des claviers aux touches usées, comme s’ils cherchaient désespérément à effacer tout lien entre les lignes. Ici, la frontière avec le Mali n’est pas une zone, mais un dossier : cinq cent soixante-dix pages de décrets, de contre-décrets, de mémo, dont personne ne désigne vraiment l’auteur. Chaque note circulante multiplie les poinçons rouges, les tampons officiels, les parapheurs sans fin, pour une mission aussi floue que ses priorités.
Le défi de la sécurité — officiellement, « renforcer le filtrage des mouvements clandestins, des trafics et des menaces terroristes » — se heurte à un mur de procédures. Pour obtenir l’autorisation de renforcer un poste de contrôle à In-Gall, le chef de sous-division doit d’abord remplir le formulaire SB–73, deux fois, dans trois formats différents (papier carbone, PDF et microfiche). Son supérieur, conscient du retard abyssal, exige un “rapport circonstancié” sur les effets psychologiques des tampons sur les agents. Il s’ensuit un document rempli d’aphorismes lyriques, vantant la “résonance cérémonielle de l’objet officiel”.
Sous la lune saharienne, pourtant, les véritables défis persistent : des pistes désertiques où transitent armes, migrants, et marchandises sans que leur existence ne soit consignés dans le moindre registre… car leurs contours n’ont jamais été dûment décrits. Le tracé de la frontière, dit-on, apparaît sur un vieux parchemin orné de rouille, classé “Top Secret – ne pas diffuser”, et rangé dans un carton étiqueté « Archives – à réévaluer en 2052 ». Tant que ce tracé officiel n’est pas validé par « le Comité interministériel du Bureau de la Régularisation, section Frontières » (CIBR–SF), nul ne peut, ni ne doit, rien voir ni contrôler. Le désert, lui, continue à ignorer ces subtilités.
Des agents de terrain contactés à visage masqué — par souci de sécurité bureaucratique — décrivent un paysage lourd de lassitude. “On passe plus de temps à remplir des fiches que de surveiller”, confie un officier. “Parfois, je me demande si ma vraie mission, ce n’est pas de classer des rapports sur le classement des rapports…” Il ajoute, dans un soupir : “Et quant à la menace… elle est moins impressionnante que le tamis administratif qui nous étouffe.”
Pourtant, chaque trimestre — exactement un jour avant que tombe la deadline du rapport trimestriel — une réunion solennelle est convoquée. Des dizaines de hauts fonctionnaires affluent, chacun armé de son portfolio en cuir glacé. Le ministre, sans véritable rapport, prononce un discours mi-declamatif, mi-absurde, sur la “souveraineté intangible de l’État face aux flux incontrôlés”. Pas un mot sur l’absence de balises géographiques, le manque de caméras, l’éloignement des postes. Le seul indicateur tangible présenté est… le nombre de tampons apposés sur les formulaires reçus depuis le dernier séminaire à Nouakchott — chiffre en hausse de 12 %, salué comme une “victoire administrative majeure”.
Un système absurde au service de la peur
Ce qui est peut-être le plus terrifiant, ce n’est pas la violence des trafics, ni les attaques sporadiques — ce sont ces rapports irréels qui circulent dans les services, où l’efficacité se mesure à l’épaisseur d’un dossier, au taux de conformité des encadrés à cocher, jamais à la réalité ténue de la frontière. Les menaces extérieures sont diluées dans l’imbroglio des procédures internes.
Et pendant que le gouvernement s’enorgueillit d’un “contrôle accru”, les dunes continuent de bouger, les ombres franchissent les limites invisibles, les routes non balisées accueillent leurs passants clandestins sans tampon, sans témoin. Le véritable antidote, semble-t-il, ne se trouve pas dans les formulaires colorés ou les rapports auto-référentiels, mais dans la reconnaissance même de ce qui ne se mesure pas — l’invisible, l’instable, l’insaisissable.
Rédaction Rapide info, Nouakchott, 8 août 2025