3R-EAU : Un pari stratégique sur l’eau rurale en Mauritanie, mais à quel prix ?
Le projet 3R-EAU, récemment approuvé par le gouvernement mauritanien, vise à renforcer la résilience des communautés rurales face à la pénurie d’eau. Si l’initiative semble porteuse d’espoirs, elle soulève néanmoins des questions sur sa soutenabilité financière, son efficacité à long terme et la gestion de sa mise en œuvre.
3R-EAU
Réuni en Conseil des ministres le 15 juillet 2025, le gouvernement mauritanien a adopté un projet de loi autorisant la ratification d’un accord de prêt signé le 28 mai avec le Fonds Africain de Développement (FAD). D’un montant de 13,25 millions d’Unités de Compte (équivalant à 700,2 millions MRU), ce financement vise à soutenir la mise en œuvre du Projet de Renforcement de la Résilience Rurale par la Gestion et le Développement des Ressources en Eau à des Fins Domestiques, Productives et Écosystémiques, ou 3R-EAU.
Un acronyme technique pour une urgence vitale : l’eau, denrée de plus en plus rare dans les régions du Brakna, de l’Adrar et du Tagant, touchées de plein fouet par la désertification, les aléas climatiques et une gestion souvent défaillante des ressources hydriques.
Une ambition salutaire dans un contexte alarmant
En Mauritanie, près de 45% de la population rurale demeure confrontée à une pénurie chronique d’eau potable, une réalité aggravée par le réchauffement climatique et la surexploitation des nappes phréatiques. Le projet 3R-EAU ambitionne ainsi de changer la donne en adoptant une approche préventive et proactive, avec trois volets bien définis :
Composante A : Sécuriser un accès équitable et inclusif à l’eau.
Composante B : Réduire la pollution domestique et ses impacts sanitaires et environnementaux.
Composante C : Renforcer la gouvernance de la ressource en eau.
L’intention est louable, car elle répond à une urgence structurelle souvent reléguée au second plan par les politiques publiques. L’approche multisectorielle, qui lie usages domestiques, productifs (agriculture, élevage) et écosystémiques, semble quant à elle s’aligner sur les meilleures pratiques de gestion intégrée des ressources.
Mais une dette de plus, à la rentabilité incertaine
L’enthousiasme suscité par ce projet ne doit pas faire oublier que le financement s’inscrit dans une logique d’endettement. Bien que les conditions soient préférentielles (30 ans de remboursement, dont 5 ans de différé, avec une commission annuelle modeste de 0,75 %), il s’agit d’un nouveau prêt contracté par un État déjà sous surveillance quant à la soutenabilité de sa dette publique.
Depuis quelques années, la Mauritanie multiplie les emprunts auprès de ses partenaires techniques et financiers. Or, l’impact réel de certains projets reste difficile à évaluer sur le terrain. Le spectre d’infrastructures inachevées ou mal entretenues plane toujours sur les projets hydrauliques ruraux du passé.
À cela s’ajoute un autre défi : la capacité d’absorption et de gestion des projets de développement par les institutions locales. Les rapports de la Cour des Comptes et de certains partenaires internationaux pointent régulièrement des insuffisances en matière de gouvernance, de transparence dans l’attribution des marchés publics et de suivi-évaluation.
Gouvernance locale et justice hydrique : les clés du succès
Si le projet veut éviter les pièges habituels, il devra impérativement miser sur l’implication effective des communautés locales et des collectivités territoriales, dans un cadre de gouvernance clair et participatif. Sans cela, le risque est grand que l’accès à l’eau reste inégal, concentré entre les mains de groupes déjà favorisés.
Par ailleurs, l’accent mis sur la gouvernance de l’eau dans la composante C est prometteur, à condition que cela dépasse les déclarations d’intention. La cartographie précise des ressources, le renforcement des capacités locales et l’instauration d’un cadre de redevabilité doivent être au cœur du processus.
Un test grandeur nature pour la stratégie climat du gouvernement
Avec 3R-EAU, la Mauritanie affirme une volonté de répondre aux enjeux d’adaptation au changement climatique. Ce projet pourrait devenir un modèle de gestion intégrée de l’eau dans les zones arides, si et seulement si la mise en œuvre suit des critères de durabilité, de redevabilité et d’inclusivité.
Mais le pays joue gros : la réussite ou l’échec de ce projet pèsera lourd sur la crédibilité des engagements climatiques et sociaux du gouvernement, à l’heure où les financements verts deviennent une ressource stratégique.
Conclusion : De l’eau pour la vie, mais pas à n’importe quel prix
Le projet 3R-EAU est sans doute un pas important vers une meilleure résilience hydrique en milieu rural. Toutefois, comme souvent, le diable se cache dans les détails de l’exécution. Il faudra plus qu’un prêt et une bonne intention pour transformer une vision en changement concret. Et le citoyen mauritanien est en droit d’attendre des résultats tangibles, sans factures excessives à transmettre aux générations futures.
Encadré : Les chiffres clés du projet 3R-EAU
–Montant du prêt :13,25 millions UC (700,2 millions MRU)
– Durée de remboursement : 30 ans (dont 5 ans de différé)
– Taux de commission : 0,75 %/an
–Régions ciblées :- Brakna, Adrar, Tagant
–Objectifs : Accès à l’eau, assainissement, gouvernance, résilience climatique
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