Formation professionnelle : un projet de plus, des résultats de moins ?
Un projet de plus…
Adopté en Conseil des ministres le 15 juillet 2025, un nouveau projet de loi autorise la ratification d’un prêt de plus de 411 millions MRU auprès de la BID pour un projet ambitieux d’amélioration de la formation professionnelle. Derrière les promesses de modernisation et d’insertion des jeunes, le scepticisme gagne du terrain. Car sur le terrain, les précédents projets similaires ont laissé des cicatrices plutôt que des résultats.
Nouakchott – Le gouvernement mauritanien a approuvé en Conseil des ministres un projet de loi autorisant la ratification d’un accord de prêt de 411,65 millions MRU (environ 9,56 millions d’euros) signé avec la Banque Islamique de Développement (BID). Ce financement vise à soutenir un projet d’amélioration de la formation professionnelle et de l’emploi des jeunes, dans le cadre de la Stratégie nationale 2023-2030. Officiellement, l’objectif est noble. Officieusement, les critiques fusent.
Une usine à diplômes ou un vrai outil d’insertion ?
Au cœur du projet : la construction d’un pôle technologique polyvalent à Dar Naim, dans la banlieue nord de Nouakchott. Cette infrastructure promet de couvrir des domaines aussi ambitieux que la transformation numérique, l’intelligence artificielle, le génie électrique, la logistique ou encore la climatisation. À cela s’ajoute la reconstruction du centre de formation en BTP et artisanat urbain, ainsi qu’une deuxième composante axée sur la formation des formateurs et l’édition des programmes.
Mais sur le terrain, beaucoup s’interrogent : la Mauritanie a-t-elle réellement besoin de former des techniciens en intelligence artificielle, quand plus de 40 % des jeunes diplômés sont déjà au chômage faute d’opportunités concrètes dans des secteurs plus accessibles comme l’agriculture, la pêche ou le commerce de proximité ? Le choix des spécialités semble répondre davantage à des effets d’annonce qu’à une lecture rigoureuse des besoins économiques locaux.
Des prêts qui s’empilent, des résultats qui se dérobent
Le financement comprend deux prêts remboursables sur 25 ans, avec des taux de service préférentiels (1,5 % et 0,5 %). Mais le poids de la dette publique continue de croître, dans un pays où les précédents projets de formation — notamment ceux appuyés par l’Union européenne ou la coopération allemande — ont eu peu d’impacts mesurables sur l’emploi des jeunes.
À chaque cycle budgétaire, la formation professionnelle revient en tête des priorités déclarées. Et pourtant, les instituts publics de formation (ENFPP, CFP) souffrent encore d’un sous-équipement chronique, de manuels obsolètes et d’un manque criant de formateurs qualifiés. Le risque est donc réel : voir émerger un énième bâtiment flambant neuf, sans que cela ne change rien à la réalité des jeunes exclus du marché du travail.
Une stratégie sans stratégie ?
Le projet se réfère à une *Stratégie nationale de la formation professionnelle 2023-2030*. Mais très peu de documents ont été rendus publics, et les acteurs de terrain — syndicats, associations d’anciens élèves, petites entreprises locales — n’ont pas été consultés sur les axes de formation envisagés. L’absence d’un audit transparent des besoins en compétences fait craindre un décalage structurel entre l’offre de formation et la demande réelle du marché.
Dar Naim, quartier périphérique et marginalisé, n’a certes pas démérité qu’on y investisse. Mais sans un accompagnement social, logistique et pédagogique fort, ce nouveau pôle technologique risque de n’être qu’un mirage de plus, à l’image de projets précédents restés à l’état de maquettes ou de centres déserts.
Conclusion : une ambition à contre-emploi
En apparence, ce projet est bien ficelé : financement structuré, objectifs techniques précis, et alignement avec une stratégie nationale. Mais en réalité, il reflète surtout une approche technocratique déconnectée des réalités sociales et économiques du pays. L’État s’endette pour construire, mais construit-il vraiment pour transformer ? L’enjeu n’est plus de former pour former, mais de former pour insérer, dans un tissu économique morcelé, informel et en manque d’investissements productifs.
Le gouvernement mauritanien gagnerait à faire preuve de plus d’écoute, plus de cohérence et plus de rigueur dans la planification. À défaut, ce projet viendra s’ajouter à la longue liste des ambitions enterrées sous le sable de Dar Naim.
Encadré – En chiffres :
Montant du projet : 411 650 000 MRU
Durée de remboursement : 25 ans (dont 7 ans de différé)
Domaines de formation ciblés : 6, dont IA, logistique, génie mécanique
Taux de chômage des jeunes : environ 40 % selon les dernières estimations
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