Droit de réponse : quand celui qui fut le paravent du silence ose aujourd’hui faire la leçon
Droit de réponse
Par Cheikh Sidati Hamadi
Expert senior en droits des CDWD, analyste, essayiste, chercheur associé
Cher Maître Bouhoubeyni,
Pendant que des milliers d’esclaves vivaient dans l’ombre, enchaînés par des pratiques que vous refusiez même de nommer, vous, président de la Commission nationale des droits de l’homme, n’étiez qu’un paravent du silence. Officiellement chargé de défendre les droits, vous fûtes en réalité l’homme du statu quo, du déni poli et de l’inaction complice.
Vous filmiez les victimes, distribuiez quelques miettes, puis restiez silencieux, figé, incapable ou pire, refusant de briser le mur de l’indifférence et de la peur.
Alors aujourd’hui, quand vous osez venir nous faire la leçon sur la manière « dont on doit parler de Yarg », ce jeune homme arraché à l’esclavage contre vents et marées, votre audace est révoltante. Comment osez-vous parler de dignité et de liberté, alors que vous avez été le gardien des compromis honteux et des silences meurtriers ?
Où étiez-vous, Maître,
quand Yarg n’avait même pas le droit d’apprendre la Fatiha ?
Où étiez-vous quand des militants, au prix de leur liberté, brisaient les chaînes invisibles qui le liaient à la servitude ?
Nous, nous y étions.
Nous avons porté ce combat dans la rue, dans les prisons, dans les tribunaux, face à un système que vous aviez choisi de protéger.
Vous, vous étiez tapi derrière vos rapports convenus, vos communiqués aseptisés et votre langue de bois, préférant ménager le régime plutôt que défendre les victimes.
Et aujourd’hui, vous osez nous accuser d’enfermer Yarg dans son passé ?
Mais c’est vous et ceux qui vous ressemblent qui avez voulu le laisser à jamais dans l’ombre.
Vous cherchez à faire taire cette vérité qui vous juge, vous et votre complicité silencieuse.
Vous parlez d’honneur et de libération… mais où étiez-vous quand il a fallu affronter le mépris, les menaces, les procès iniques ?
Où étiez-vous quand il fallait tendre la main d’un esclave pour le guider hors de la case, et non hors d’une statistique ?
Vous n’étiez pas là, Maître.
Vous attendiez, feignant la prudence, que « l’État dise son mot » avant d’oser un mot.
Votre inaction a laissé des milliers d’esclaves sans voix, livrés à eux-mêmes, pendant que vous cultiviez le silence complice.
La liberté ne se résume pas à un acte administratif ou à un diplôme.
La vraie liberté, c’est aussi et surtout celle de dire, haut et fort :
Oui, j’ai été esclave ; oui, on m’a libéré ; et voici ceux qui ont mené ce combat
Vous voudriez que Yarg taise cette vérité, parce qu’elle vous condamne.
Ce qui vous dérange, Maître, ce n’est pas qu’on rappelle qu’il fut esclave, mais qu’on rappelle surtout qu’il n’a pas été libéré par vos discours aseptisés ni vos rapports lissés, mais par un combat radical, frontal, mené dans les tribunaux ici et hors du pays, au prix de la prison, du mépris, de la calomnie et du danger.
Un combat que vous avez choisi d’ignorer, voire de calomnier.
Vous ne comprenez pas que ce combat n’est ni une opération de communication, ni une stratégie de carrière.
C’est une pensée, une flamme, une éthique du risque.
Une lutte où certains ont payé le prix fort, tandis que vous mesuriez chaque mot pour ne pas heurter le système esclavagiste.
On ne rappelle pas le passé des victimes pour les enfermer,
mais pour rappeler à la société son crime historique.
Car sans vérité, il n’y a ni réparation, ni justice, ni avenir.
Yarg n’est pas un trophée, ni un miraculé tombé du ciel.
Il est l’enfant d’un combat réel, concret, d’un engagement nommé IRA, porté par Biram Dah Abeid et ses camarades.
Et aucune indignation sélective ni aucun blanc-seing ne l’effaceront.
Alors, Maître, ne parlez pas de libération si vous n’avez jamais senti la morsure du fouet du silence.
Ne donnez pas de leçons de dignité quand vous n’avez jamais partagé l’humiliation, la peur et le danger de ceux qui ont osé prononcer le mot « esclavage » quand tout voulait l’étouffer.
Et surtout, ne prétendez pas protéger Yarg de notre mémoire collective : c’est cette mémoire seule qui le protège de l’oubli et d’une servitude renouvelée.
On ne libère pas un homme pour le transformer en trophée.
Mais on ne le libère pas non plus pour qu’il serve d’alibi à l’absolution facile de ceux qui, hier encore, fermaient les yeux.
Celui qui veut tourner la page doit d’abord avoir le courage de la lire.
Et vous, Maître, vous n’avez jamais eu ce courage, malheureusement.
La Mauritanie ne pourra avancer qu’en brisant les chaînes du silence et du déni.
Ceux qui ont choisi l’inaction doivent céder la place à ceux qui portent le combat, le risque et la vérité.
Sans courage ni reconnaissance, il n’y aura ni justice, ni mémoire, ni liberté véritable.
Maître Bouhoubeyni, le temps des excuses est passé :
Levez-vous, faites place, ou tout simplement taisez-vous !