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Troie en sable – Un poème de Cymper Nayra

Dans ce poème puissant et allégorique, la journaliste mauritanienne Cymper Nayra compare la Mauritanie à une Troie de sable, vulnérable aux prédations extérieures et aux failles intérieures. Un texte engagé, lucide et d’une poésie acérée.

Quand la poésie rencontre la lucidité politique, les vers deviennent des miroirs tranchants. Dans « Troie en sable », la journaliste et poétesse mauritanienne Cymper Nayra déploie une allégorie puissante, tissant un parallèle entre la Mauritanie contemporaine et la légendaire cité de Troie. Mais ici, les murailles sont de sable, les dieux sont des illusions, et le cheval de bois a les traits familiers d’un voisin, voire d’un frère.

Ce poème n’est pas seulement un texte littéraire : c’est une interpellation nationale, une méditation sur la fragilité des États, la prédation rampante, et les failles que creusent les complicités internes. Cymper Nayra, en femme de mots et d’engagement, interroge l’histoire, la mémoire collective, et surtout l’avenir : que fera la Mauritanie de sa propre légende ? Se laissera-t-elle consumer par le feu qu’elle n’a pas su prévoir, ou dansera-t-elle, lucide, dans les cendres encore tièdes de son orgueil ?

Dans un style direct, imagé, traversé de mythes détournés, l’autrice invite à penser autrement la vulnérabilité, non plus comme une honte, mais comme un lieu de choix stratégique. Ce texte, à la fois poétique et politique, vient enrichir une littérature mauritanienne en pleine mutation — une voix féminine qui refuse le silence et qui choisit l’allégorie pour mieux dévoiler.

Sens et portée du poème

« Troie en sable » est un poème allégorique dans lequel la Mauritanie est assimilée à la ville antique de Troie, mais une Troie faite de sable, donc éphémère, vulnérable, fragile.

  • Allusion à la mythologie : Les références à Troie, au cheval, à Ulysse et aux dieux inscrivent le poème dans une trame mythologique universelle, mais détournée vers une lecture contemporaine et politique.
  • Thématique de la prédation : La poétesse décrit des « prédateurs » qui n’attaquent pas les forts mais les plus faibles. Cette image évoque les appétits géopolitiques, les ingérences étrangères, mais aussi les trahisons internes.
  • Auto-critique et introspection nationale : Cymper Nayra invite à regarder vers l’intérieur, en identifiant la main mauritanienne comme celle qui ouvre la porte au cheval, le voisin comme Ulysse. Elle démythifie les héros et renvoie aux responsabilités internes.
  • Appel à la vigilance et à la lucidité : Le poème finit sur une question cruciale : seras-tu victime, bête ou piège ? — posant ainsi le dilemme de l’identité nationale face aux épreuves.

Troie en sable
Ici, la Mauritanie était Troie,
une ville dressée sur le sable,
une ville-monde, empire de poussière,
qui portait dans ses veines la rumeur des dieux.
Ils sont venus, les prédateurs,
pas pour défier les plus forts —
non, le fauve n’a pas d’honneur,
il choisit la proie la plus simple à saigner.
Souviens-toi, petit, rikiki, minuscule,
on te dit trop petit pour déranger,
mais le vent porte ton odeur plus loin
qu’un rugissement de lion.
Ils viendront,
ils viendront pour ta faiblesse,
pour ta fissure, ta querelle,
pour la porte qu’un frère ouvre à l’ennemi.
Et qui donc est le cheval,
sinon ta propre main ?
Qui donc est Ulysse,
sinon ton voisin ?
Qui donc sont les dieux,
sinon ton orgueil, tes songes,
tes illusions de grandeur ?
Nous portons tous une goutte de fauve,
un écho de croc sous la langue.
Le prédateur n’est pas noble —
il est logique, patient, inévitable.
Alors, Mauritanie-Troie,
veille tes murailles de sable,
compte tes lions endormis,
et demande-toi :
Seras-tu la proie, la bête, ou le piège ?
Seras-tu la cité, le cheval, ou la flamme ?
Et quand viendra la nuit sans torches,
danseras-tu encore dans les cendres
de ta propre légende ?
Nayra Cymper

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