Mauritanie : Le blanchissement spirituel de l’argent mal acquis
En Mauritanie, l’argent mal acquis est souvent blanchi via mosquées, zakat et pèlerinages, transformant la foi en outil d’impunité morale et sociale.
Entre mosquées, pèlerinages et impunité sacrée
En Mauritanie, où la parole religieuse est souvent plus redoutée que la loi, l’argent mal acquis ne reste jamais longtemps suspect.
Il est rapidement blanchi, non pas dans des banques offshore, mais dans les mosquées, les pèlerinages, les zakat publiques et les prêches téléguidés. Une purification morale s’opère, non devant la justice ou la société, mais devant l’apparence religieuse — en mobilisant Dieu comme avocat et la religion comme machine à laver les fortunes suspectes.
Les mosquées comme blanchisseries spirituelles
Il n’est pas rare de voir des hommes politiques, des commerçants ou des militaires construire une mosquée dans leur village d’origine ou dans un quartier populaire, souvent avec des financements du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar, Émirats) obtenus au nom de l’islam. Sur les plans envoyés, il s’agit parfois de complexes dignes de Médine ; dans la réalité, on obtient une simple salle de prière avec des murs de briques non crépis. La majeure partie des fonds est détournée, réinvestie dans des voitures de luxe, des maisons à Tevragh-Zeina ou des boutiques à Dakar.
Mais peu importe : une mosquée a été construite, le nom du « bienfaiteur » est sur la façade, les oulémas locaux viennent prier et bénir. Celui qui a volé devient soudainement un « bâtisseur de la religion.
L’argent de la drogue, transformé en zakat
Dans certaines villrs mauritanienes le trafic de drogue et le transit de produits illicites rapportent gros à des réseaux bien implantés, souvent liés aux forces de sécurité ou à des élites tribales. Une partie de cet argent est reversée en aumônes, sacrifices collectifs, distributions de riz ou de moutons pendant les fêtes.
L’opération est simple : prendre de l’argent sale, le redistribuer sous une forme pieuse, et obtenir en retour une réputation d’homme généreux, pieux, voire waliyou ou Waliya .
La communauté oublie la provenance de l’argent, surtout si le donateur sait bien réciter quelques versets et prononcer les noms d’Allah avec émotion.
Les pèlerinages comme effaceurs de péchés publics
Le Hadj ou la Umrah sont devenus des opérations de marketing spirituel. Des personnalités connues pour avoir détourné des millions de l’État, ou pour avoir bénéficié de marchés publics truqués, partent chaque année à La Mecque. Sur leurs pages Facebook, on les voit en habits blancs, la main posée sur la Kaaba, les yeux larmoyants.
De retour, ils deviennent Hadj X ou Hadja Y, honorés dans les cérémonies et invités dans les cérémonies de prière.
Le pèlerinage devient une stratégie de réhabilitation morale, un passeport pour l’impunité sociale. Personne n’ose critiquer un homme “qui a vu la Kaaba”, même s’il a volé les salaires des enseignants ou l’argent des hôpitaux.
Les marabouts et oulémas du système
Un phénomène aggravant est la collusion entre certains chefs religieux et les détenteurs de fortunes douteuses. Des marabouts reçoivent des enveloppes en échange de bénédictions, des oulémas justifient l’enrichissement par la “volonté divine”. Des prêches entiers sont mobilisés pour dénoncer “l’envie” et “la médisance”, non pour condamner le vol.
Cette alliance entre religion et argent sale produit une morale à géométrie variable, où l’enrichissement est sacralisé tant qu’il finance une mosquée, un puits ou une table de ftour pendant Ramadan.
un peuple trompé, une morale inversée
Ce blanchissement spirituel de l’argent mal acquis affaiblit l’éthique collective. Le peuple apprend que l’impunité est possible si elle est habillée de piété. Les jeunes comprennent que l’argent, même sale, devient respectable s’il finance un pèlerinage ou une prière collective. L’idée de justice disparaît, remplacée par une religiosité de façade.
Pendant ce temps, les vrais pauvres crèvent dans les hôpitaux, les diplômés croupissent dans le chômage, et les écoles tombent en ruine. Mais Dieu merci : la mosquée est belle, et le Hadj est revenu.
La Mauritanie n’est pas seulement victime de corruption économique, mais aussi de corruption spirituelle. L’argent sale y est sanctifié, la religion instrumentalisée, et la foi utilisée comme lessive morale. Face à ce phénomène, il est urgent de rappeler que ni Dieu ni la Mecque ne servent à blanchir les crimes sociaux. La véritable foi ne protège pas les voleurs, elle protège les faibles contre les voleurs.
Dia Daouda Moussa
Source: kewoulo.info