Mauritanie : dette extérieure et myopie stratégique – une gouvernance sous perfusion
La Mauritanie s’enfonce dans une spirale d’endettement aux conséquences graves pour son économie réelle. Analyse d’une politique budgétaire critiquée pour son manque de vision, son inefficacité sociale et sa soumission aux bailleurs internationaux.
Il est des choix qui, en dépit de leur apparente rationalité technocratique, trahissent une inquiétante myopie stratégique. L’acharnement avec lequel les autorités mauritaniennes poursuivent leur politique d’endettement, dans un contexte où le pays frôle déjà les seuils critiques d’insoutenabilité, relève moins d’une nécessité économique que d’un aveuglement politique.
Alors que le tissu économique national ploie sous le poids d’une dette extérieure en constante progression — laquelle dépasse désormais les capacités réelles de remboursement de l’État , on s’interroge, à juste titre, sur la finalité d’un tel entêtement. Est-ce pour refinancer une dette antérieure devenue toxique ? Est-ce pour payer les seuls intérêts d’échéances antérieures, comme l’affirment certains observateurs avertis ? Ou bien s’agit-il d’un choix cynique, dicté par des intérêts conjoncturels, au mépris du long terme et de la souveraineté économique du pays ?
La Mauritanie, dotée d’un potentiel naturel indéniable , ses vastes ressources halieutiques, ses richesses minières (fer, or, cuivre) et son ensoleillement qui en fait un carrefour énergétique potentiel , devrait, en principe, asseoir son développement sur une valorisation rigoureuse de ses actifs internes, plutôt que sur un recours systématique à l’endettement extérieur. Hélas, il semble que la rente, dans sa version postcoloniale, ait simplement changé de visage : on substitue aux dividendes d’une exploitation raisonnée les flux erratiques de crédits multilatéraux.
Plus grave encore, l’endettement contracté n’apparaît que très rarement comme un levier structurant pour l’économie réelle. Où sont les infrastructures productives financées par ces emprunts ? Où sont les investissements dans les secteurs à fort rendement social : l’éducation, la santé, l’agriculture durable ou encore l’industrialisation légère ?
Éducation : la réforme attendue tarde à voir le jour
La santé publique toujours sous-financée
Les rares projets visibles , souvent mal exécutés et surfacturés ,ne contribuent guère à stimuler la croissance endogène ni à créer un tissu industriel capable d’absorber la jeunesse désemparée.
Ce type de dette, improductive par essence, ne fait qu’engloutir les maigres recettes publiques dans un cycle vicieux de paiements de services d’intérêt, au détriment des investissements vitaux. La dette devient alors un instrument de stérilisation de la croissance, un mécanisme pervers qui siphonne les ressources budgétaires au lieu de les catalyser.
L’impact sur les secteurs stratégiques est d’autant plus préoccupant que le poids de la dette limite considérablement la marge de manœuvre de l’État. L’agriculture, censée garantir notre souveraineté alimentaire, demeure dans un état de précarité chronique. L’enseignement, colonne vertébrale de toute transformation sociale, souffre de l’absence de réformes et d’une politique fiables et un sous-financement endémique. Quant au secteur de la santé, il continue de dépendre d’ONG et de financements extérieurs pour les opérations les plus élémentaires.
Ce resserrement budgétaire, imposé par les conditionnalités des bailleurs de fonds, entérine une forme de gouvernance sous tutelle. Les choix politiques majeurs échappent au débat démocratique pour être validés, in fine, par des technocrates siégeant à Washington ou à Paris. L’économie locale, ainsi bridée, se déploie à contre-courant des besoins sociaux, alimentant frustration populaire, chômage de masse et migrations de détresse.
Eléya Mohamed