Mauritanie : Quand les jeunes fuient par la mer — la fin du mythe du pays-tampon
La Mauritanie, perçue comme un État-tampon pour les jeunes migrants subsahariens, voit désormais ses propres citoyens embarquer vers les Canaries. Une inversion migratoire qui interpelle.
Alors que la Mauritanie jouait un rôle central dans la stratégie euro-africaine de contrôle migratoire, elle se découvre aujourd’hui comme terre d’exode. De plus en plus de jeunes nationaux prennent le large vers les îles Canaries à bord des « pirogues de la mort », révélant un malaise profond et une rupture de confiance générationnelle. Un basculement silencieux, mais lourd de sens.
La Mauritanie, historiquement identifiée comme territoire de transit migratoire, pivot géographique et géopolitique des flux Sud-Nord, est en train de basculer dans une dynamique plus inquiétante : celle de la départition de ses propres nationaux vers les routes périlleuses de l’Atlantique. Le phénomène, jadis circonscrit aux flux subsahariens, s’est élargi au point d’englober des jeunes Mauritaniens qui, désormais, n’hésitent plus à s’embarquer clandestinement pour les îles Canaries à bord des tristement célèbres « pirogues de la mort ».
Pendant plus d’une décennie, la Mauritanie a été perçue — et instrumentalisée — comme un État-tampon, contractualisé à travers divers mécanismes bilatéraux et européens pour contenir, encadrer ou externaliser les flux migratoires d’Afrique subsaharienne. Nouadhibou, Rosso et Nouakchott ont abrité des dispositifs frontaliers, des postes de tri et des centres de rétention plus ou moins officiels, dans le cadre de cette stratégie de verrouillage des routes migratoires.
Or, ce rôle de sas est aujourd’hui remis en cause par un retournement endogène : ce ne sont plus uniquement les migrants étrangers qui transitent, ce sont aussi les enfants du pays qui fuient. Le centre périphérique est devenu, paradoxalement, une périphérie en voie de marginalisation.
La Police nationale a annoncé avoir déjoué une tentative d’émigration clandestine à destination des Canaries, impliquant trois citoyens mauritaniens et quatre étrangers en situation irrégulière, arrêtés dans un domicile de Tevragh Zeina le 6 juin 2025. Deux des jeunes Mauritaniens avaient été signalés disparus par leurs familles à Toujounine, dans une scène qui, en d’autres contextes, aurait relevé du fait divers mais qui, ici, traduit un malaise social à résonance nationale.
Leur placement sous garde familiale avant leur présentation devant le parquet, si elle traduit une certaine clémence procédurale, n’élude pas les interrogations plus vastes que soulève cette volonté de « quitter coûte que coûte ».
L’arrestation des quatre étrangers pour violation de la loi sur l’immigration confirme l’application stricte du cadre répressif, tandis que le traitement réservé aux nationaux montre un équilibre procédural prudent, soucieux d’éviter une stigmatisation de masse.
Il interroge également les limites de la loi 022/2010 sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, qui peine à intégrer les dimensions nouvelles de l’auto-émigration de nationaux vulnérables.
Le traitement judiciaire attendu le 9 juin, dans ce contexte, sera un test de lucidité institutionnelle : saura-t-on dissocier l’acte illégal du besoin de protection sociale et de réintégration ?
Ce renversement migratoire, où la terre d’escale devient aussi terre d’exode, impose une refondation du paradigme sécuritaire hérité des accords de contrôle externalisé. Il ne suffit plus de surveiller les côtes ou d’arrêter des embarcations de fortune. Il s’agit désormais de répondre à une question cruciale : Pourquoi un jeune citoyen, dans son propre pays, choisit-il la mer comme seule perspective ?
Si notre jeunesse choisit la mer, c’est peut-être que la terre n’a plus rien à lui promettre.
Mohamed Ould Echriv Echriv