Élection de Sidi Ould Tah à la BAD : une victoire stratégique pour la diplomatie mauritanienne
Mohamed Salem Ould Merzough analyse la victoire de Sidi Ould Tah à la BAD : une démonstration magistrale de la diplomatie mauritanienne. Par Mohamed Ould Echriv.
Victoire stratégique! Dans un entretien accordé à RFI, le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzough, décrypte l’élection de Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Ce succès dépasse l’anecdote électorale : il révèle une nouvelle doctrine d’influence mauritanienne, subtile et efficace, à l’échelle continentale.
L’entretien accordé à Radio France Internationale par Mohamed Salem Ould Merzough, ministre des Affaires étrangères, à propos de l’élection du Dr Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), ne saurait être réduit à une simple mise en récit d’un succès électoral. Il s’agit en vérité d’un exercice d’équilibrisme diplomatique, une fresque à la fois élégiaque et stratégique, peignant la métamorphose de la Mauritanie en puissance d’influence continentale. Pour ceux qui savent lire entre les lignes, c’est l’esquisse d’une doctrine géoéconomique à l’africaine, pensée à Nouakchott, testée à Abidjan, et paraphée en arabe discret, en français diplomatique et en silence sahélien.
Ould Merzough ouvre le bal sur une note de paradoxe : « le dernier candidat à s’être déclaré, et pourtant le vainqueur ». Mais l’antinomie n’est qu’apparente. Ce que l’on présente comme improvisation n’est autre qu’anticipation masquée. Sous couvert de modestie, le ministre révèle une chronologie inversée : celle d’une campagne qui a commencé bien avant la déclaration, dans les coulisses des sommets africains, dans l’ombre des huis clos présidentiels. À travers cette construction narrative, Merzough installe une éthique de la prévoyance, un legs de la présidence tournante de Ghazouani à l’Union africaine, transformée en tremplin d’influence.
Le vocabulaire du ministre est agraire : « terrain fertile », « labouré », « enraciné ». La métaphore filée trahit une stratégie : celle de la germination lente, des alliances patiemment cultivées, loin des podiums et des tweets. Loin de se contenter de la rhétorique victimaire du petit État africain en quête de reconnaissance, la Mauritanie s’impose ici comme un pays-planteur, semant des appuis à Abuja, Abidjan, Alger et Paris. La référence récurrente au consensus et à l’humilité n’est pas pure coquetterie : c’est la signature d’une diplomatie de l’effacement stratégique, plus persuasive que démonstrative.
Le ministre n’élit pas seulement un homme. Il érige une fonction. Sidi Ould Tah n’est pas décrit comme un technocrate brillant, mais comme un corps-passerelle : arabophone et panafricain, régional et global, développeur et diplomate. Dans un monde fragmenté, le choix de Tah relève moins de la performance CV que de la réconciliation des géographies financières. Sa gestion de la BADEA l’a doté d’un capital réputationnel auprès des bailleurs arabes ; sa posture fédérative le rend fréquentable chez les anglo-saxons.
La question n’est plus : « Qui a voté pour nous ? », mais plutôt : « Qui a su écouter notre murmure ? ». Le Nigeria, longtemps discret, est révélé comme allié de la première heure. Le Sahel, traumatisé mais lucide, a suivi. La Côte d’Ivoire, locomotive régionale, a assumé son soutien. Même la France — pourtant sur des lignes de fracture mémorielle avec une partie de l’Afrique — a fait le choix stratégique de Tah. La diplomatie mauritanienne n’a pas opposé ces axes : elle les a simultanés. Le génie est là : ne jamais être le centre, mais toujours être le point de passage.
Face au retrait des États-Unis — perte de 500 millions de dollars — la Mauritanie n’a pas crié au scandale. Elle a suggéré, calmement, des portes arabes qui s’ouvrent à qui sait parler leur langue. Mais là encore, Merzough refuse le raccourci identitaire : Tah ne serait pas un simple pont linguistique, mais un pivot de confiance entre les matrices financières. On devine derrière ses propos un repositionnement de la BAD à l’interface de la finance du groupe de coordination des fonds arabes, du capital patient asiatique, et des urgences climatiques africaines.
Quand on lui demande si la victoire est celle d’un homme ou d’un État, Merzough répond : « Les deux. » C’est plus profond qu’un réflexe diplomatique. La BAD n’a pas élu un CV. Elle a accrédité un style mauritanien, fait de lenteur active, de respect des formes, de vision continentale enracinée dans les archipels identitaires sahélo-méditerranéens. La Mauritanie, longtemps perçue comme périphérique, devient dans cette narration le miroir de l’Afrique qui change sans bruit.
L’entretien se conclut sur un impératif : « Faites confiance ». Non pas à un homme providentiel, mais à l’intelligence structurelle que la Mauritanie prétend incarner. La confiance ici n’est pas aveugle ; elle est le fruit d’un travail patient, d’une équation d’influence recomposée, d’un savoir-faire d’État longtemps sous-estimé. Il ne s’agit plus de représenter un pays, mais de représenter une méthode : le sérieux au service de l’intérêt collectif africain.
Le propos de Mohamed Salem Ould Merzough n’est pas qu’un exercice de communication. C’est un traité implicite de gouvernance douce, un art d’exister sans éclat tapageur, une leçon mauritanienne à l’Afrique du XXIe siècle : ceux qui parlent peu mais travaillent beaucoup peuvent aussi écrire l’Histoire — à condition de la conjuguer à la voix basse de la diplomatie de fond.
Auteur : Mohamed Ould Echriv Echriv