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Procès de la décennie : la plaidoirie accablante contre l’ex-président Aziz, principal accusé de corruption

Plaidoirie
Lors de l’audience du 3 mars 2025 devant la Cour d’appel, Maître Gourmo Abdoul Lô, avocat de la partie civile, a livré une plaidoirie percutante sur le caractère historique du procès de Mohamed Ould Abdel Aziz. Il a dénoncé l’enrichissement exponentiel de l’ancien chef de l’État, principal accusé dans une affaire de corruption d’une ampleur inédite en Mauritanie. À travers une argumentation structurée, l’avocat a exposé les manœuvres de défense de l’ex-président et la gravité des infractions reprochées, réclamant avec force la restitution des biens publics détournés au peuple mauritanien.

Maître Gourmo Abdoul Lô Membre du collège des avocats de la Partie Civile
Procès relatif à la corruption de la décennie
PLAIDOIERIE

(audience du 3 mars 2025) Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, Mesdames et Messieurs, L’affaire que cette auguste Cour d’appel examine est d’une très haute importance aussi bien juridique que morale tant par son objet ( crimes économiques graves de corruption ) que par les personnes accusées ( un ancien Président de la République qui a gouverné pendant plus d’une décennie, et plusieurs anciens membres éminents de ses gouvernements successifs et autres anciens dignitaires de haut rang placés à la tête de très importantes institutions économiques du pays…). S’il y’a eu des précédents dans le monde, ils sont rares. Ici en Mauritanie et dans notre continent il n’y a pas d’antécédent. Cette situation est donc littéralement historique et notre justice, placée de ce fait, au-devant de la scène judiciaire mondiale. Ce qui est directement en cause c’est non seulement l’une des plus vieilles plaies qui rongent la société et compromet sa cohésion et son progrès, la corruption, mais et surtout, le fait que c’est la plus haute autorité en charge de la combattre dans notre système constitutionnel, un ancien Président de la République – dont le règne très autoritaire a duré plus d’une décennie -qui est en est le principal accusé. La corruption est devenue au fil des décennies l’un des crimes les plus abjects dans tous les systèmes juridiques, à l’échelle interne autant qu’international. Justifiant l’adoption de la convention des Nations unies contre la corruption à laquelle notre pays est partie, l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Koffi Annan rappelle que « c’est un mal qui court dans de nombreux pays, grands et petits, riches et pauvres, mais c’est dans les pays en développement qu’il est le plus destructeur. Ce sont les pauvres qui en pâtissent le plus car, là où il sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées, les gouvernements ont moins de moyens pour assurer les services de base, l’inégalité et l’injustice gagnent et les investisseurs et donateurs étrangers se découragent ». Notre pays, comme tous les autres Etats a été formellement sensible à la question et a adopté une législation au diapason des normes internationales. La loi n°2016-014 relative à la lutte contre la corruption intègre dans son domaine quasiment toutes les infractions économiques qui y figurent expressément. C’est dans ce cadre que les accusés ici présents sont poursuivis et ont été condamnés par les premiers juges, chacun en ce qui le concerne, pour certaines de ces infractions. Votre auguste Cour a été saisie en appel aussi bien par l’accusation que par la défense pour des raisons, évidemment, diamétralement opposées, contre la décision de condamnation du Tribunal de première instance des principaux accusés. Les charges sont nombreuses et couvrent l’essentiel des crimes économiques dont les plus saillants sont: Trafic d’influence Abus de fonctions Enrichissement illicite Blanchiment d’argent Détournement, soustraction, destruction, dissipation…de biens par un agent public… Les charges retenues par le Tribunal de 1ère Instance étaient : enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Les autres n’ont pas été retenues par les juges. La partie civile ne peut que se ranger derrière le réquisitoire et les demandes du parquet concernant la qualification à retenir des faits reprochés plus particulièrement à l’ancien Président de la République et sur lesquels je dirai quelques mots avec votre autorisation. C’est en effet lui qui est le principal accusé autour duquel tourne l’essentiel de ce procès de la décennie en raison de la nature particulière de notre système constitutionnel et des liens spécifiques qui y prennent appui ou qui en découlent pour chacun des autres même si, pour lui comme pour tous les accusés, les principes et les règles pénaux en cause sont évidemment les mêmes : présomption d’innocence, droit à un procès équitable, droit de la défense, liens de causalité et règle de proportionnalité.

Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, Mmes et Mers,

Etant dans le domaine pénal, on ne saurait oublier la fonction primordiale des preuves, leur charge, leur établissement et leur qualification ainsi que la part décisive de l’ intention criminelle avérée dans chacun des actes qui leur sont reprochés et, aussi, les effets libératoires du doute pour chacun d’entre eux du point de vue de l’intime conviction du juge. En tant que partie civile, notre principale préoccupation est, au-delà des incriminations et des condamnations, l’exigence du retour dans les caisses de l’Etat de la totalité des biens et ressources dont notre peuple a été spolié pendant une décennie au moins mais aussi le respect scrupuleux des règles, dans un Etat de droit digne de ce nom.

I – CONCERNANT PRINCIPALEMENT L’ANCIEN PRESIDENT M. MOHAMED OULD ABDEL AZIZ

Dès le démarrage du processus qui a abouti à la mise en accusation, à l’inculpation et à la condamnation en 1ère instance de l’ancien Chef de l’Etat, sa ligne de conduite a été identique : refuser systématiquement de débattre des questions de fond, introduire des sujets sans rapport aucun avec un dossier d’une lourdeur supérieure à celle de la Kedja d’Idjil et botter constamment en touche en s’en prenant à tous, sans se rendre compte que très souvent, la plupart des récits qu’il se plaisait à égrener d’une audience à une autre, administrent des preuves accablantes de sa culpabilité. Essayons de suivre la ligne de défense de M. Ould Abdel Aziz sur le plan de la forme d’abord, puis sur le fond du dossier qui est, à tous points de vue, sans appel concernant sa culpabilité.

1°) Sur le plan de la forme

Dès le départ, l’accusé a cherché à distraire l’opinion sur la nature et la qualification des actes et faits qui lui étaient reprochés, par mille et une ruses en vue de se soustraire à son juge, le juge ordinaire. Il a tenté avec fougue de disqualifier la compétence de la juridiction criminelle de droit commun devant laquelle il était attrait en s’arcboutant sur une lecture très particulière de l’article 93 de la constitution consistant à laisser croire que l’on ne pouvait engager de poursuite contre un ancien chef de l’Etat, pour les actes accomplis durant son mandat, que pour Haute trahison et devant la seule juridiction compétente dans ce cas- là : la Haute Cour de Justice. Manifestement, cette thèse aurait été plus aisée pour sa défense afin de « politiser » cette affaire et donc de crier au règlement de compte politique, étant donné la composition particulière et la singularité de l’accusation mal définie de « Haute trahison » figurant dans la constitution et qu’il faut soigneusement distinguer de la « trahison » prévue dans le code pénal. Après bien des péripéties procédurales, la défense s’est décidée tardivement d’aller poser cette question de compétence devant la plus haute autorité de jugement en matière constitutionnelle, le conseil constitutionnel. Il s’agissait de faire annuler la partie de la loi 2016014 du 15 avril 2016 sur la corruption – et qui est relative à la qualification des agents publics qui incluait les chefs d’Etat parmi ces derniers , dans l’objectif précis de consacrer leur thèse juridiquement indéfendable et moralement inacceptable, de soustraction d’un Chef d’Etat à l’emprise de la loi anti-corruption. De ce fait la défense a offert l’occasion d’une clarification définitive en droit mauritanien de la question de la dualité du régime de l’immunité de juridiction du Chef d’Etat suivant la nature de ses actes et les conditions d’exercice de ses fonctions. Seuls les actes rattachables à la fonction présidentielle relèvent de la Haute Cour. Tous les autres, c’est-à-dire les actes ordinaires détachables de cette fonction, accomplis en cours de mandat, mais non justifiables par cette fonction, relèvent du droit commun et donc des juridictions ordinaires comme nous n’avons cessé de le défendre. Le débat est désormais définitivement clos et notre pays rejoint ainsi la conception prédominante dans le monde, en la matière…

2°) Sur le fond

Dès le début, l’ancien Président non seulement n’a pas voulu reconnaître ses crimes économiques mais a tenté de jouer la victime. « Le dossier est vide » ne cesse-t-il de répéter et s’il se trouve entre les mains de la justice, ce serait en raison d’un « complot » ourdi par ses adversaires politiques ou ses rivaux au nombre desquels deux chefs de partis de renom de l’opposition démocratique, un homme d’affaires réputé pour ses œuvres caritatives, des avocats membres du collectif de la partie civile et que sais-je encore… Profitant de sa posture d’ancien Chef de l’Etat, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz a cherché à enfoncer tout le monde, n’hésitant pas à attenter à l’honneur des gens, fustigeant et insinuant, accusant sans jamais avancer la moindre preuve, traitant même la moitié des fonctionnaires mauritaniens de corrompus, sûrement pour minimiser et banaliser la gravité des accusations portées contre lui etc. etc. Le dossier est vide ? Loin s’en faut !

Monsieur le Président, Messieurs de la cour, Mmes et Mrs,

Pour illustrer le fait que ce dossier est au contraire plein à craquer de faits et d’actes constituant autant de crimes économiques, il suffit de mettre M. Ould Abdel Aziz face à luimême, face à ses propres déclarations, avant d’examiner la question centrale des « preuves » qui sont au cœur du débat de tout procès spécialement pour le procès pénal pour lequel ces preuves ou leur absence, seront déterminantes pour assoir votre intime conviction. Les accusations contre l’ancien Chef de l’Etat M.O/Abdelaziz sont graves, très graves et portent sur des dizaines et des dizaines de milliards de nos ouguiyas. Ces accusations ne sont pas gratuites. Les biens matériels et les sommes colossales qui ont été saisis dans plusieurs endroits du pays et dans divers comptes en banque sont clairement, explicitement des biens qui figurent dans le patrimoine non déclaré de l’ancien Chef de l’Etat. Ils ont été saisis et, pour la quasi-totalité d’entre eux ne font l’objet d’aucun litige concernant leur appartenance sauf pour des cas spécifiques comme une montre de très grande valeur pour laquelle il a été accusé de vol par une personne privée, et dont la révélation sidérante s’est faite ici même, en pleine audience, devant votre Auguste Cour. Ces biens saisis sont-ils bien ou mal acquis ? Autrement-dit, répondent –ils aux conditions normales d’une acquisition et d’un enrichissement licites ou sont-ils le produit d’un enrichissement illicite au sens de notre législation en matière de crime économique ? Il y a une chose essentielle dans ce procès qui en simplifie les tenants et aboutissants, au plan du droit : c’est l’accord entre l’accusation et l’accusé principal sur le fait que durant ses deux mandats, M. Mohamed Ould Abdel Aziz s’est considérablement, et je dirai même exponentiellement enrichi, lui qui s’était auto-proclamé « Président des Pauvres » à son arrivée au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 2008 mais dont la fortune saisie se compte désormais en milliards d’ouguiyas anciens. Un rapide rappel des faits nous édifiera plus que mille et une supputations et commentaires. Au cours d’une interview fameuse à son arrivée au pouvoir, pour illustrer sa « pauvreté », il affirme tout fièrement ne détenir comme seul patrimoine qu’ “ une foreuse” même si sa déclaration de patrimoine de 2009 en disait un peu plus, en termes de terrains et de palmeraies, de vaches et de chèvres en quantités non négligeables – patrimoine explicable sans doute par sa longue proximité avec le chef de l’Etat de l’époque, en tant que chef du fameux BASEP d’avant le putsch de 2005- 2006. Donc l’accusé n’était certes pas pauvre mais pas vraiment riche non plus jusqu’en 2008-2009, au vu de sa déclaration officielle de patrimoine en tant que Chef d’Etat de fait puis de droit. Dix ans plus tard, son patrimoine réel explose et devient cosmique au regard de son patrimoine officiel et au vu de ses revenus réguliers en tant que Chef d’Etat. C’est ce qu’indiquera un rapport établi par une commission d’enquête parlementaire à son départ de la présidence de la république et qui entraînera sa poursuite en justice pour crimes économiques, en même temps que certains de ses collaborateurs au long de ses deux mandats. Les procédures engagées aboutissent à la saisie d’une masse confortable de biens mobiliers et immobiliers dont la valeur donne le vertige. Des quantités de véhicules flambant neuves, des terrains à n’en pas finir, des comptes en banque remplis à craquer, des sociétés sous couvert de prête-noms, des cartes de crédits sur des comptes étrangers, une Fondation servant de plate-forme de réception et de redistribution de fonds illicites avec des versements de liquidités sans limites, de l’or et autres produits de grand luxe…Une vraie caverne d’Ali Baba et les quarante voleurs… Pour les valeurs et montants, on peut, à titre d’illustration, citer : Immobilier: 13 milliards 101 400 Ouguiyas Fonds en banque: 6 milliards 086126 (en 2019 sa déclaration précédente révélait une richesse de l’ordre de 30 millions MRO) Véhicules: 2 milliards 500 millions…etc Devant la presse il avait lui-même confié, sans gêne et sûr de son impunité (ou par naïveté ?) au tout début de la procédure d’enquête parlementaire : “ « Je suis riche” ! Dans sa déclaration de fin de mandat de 2019, tout à fait officiellement donc, il avait, il est vrai, déclaré un montant de plusieurs milliards dont nous verrons comment il va tenter de les justifier par rapport à sa déclaration de patrimoine antérieure…

Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, Mmes et Mers ;

Il faut rappeler que le Chef de l’Etat étant un agent public comme l’a très explicitement confirmé le conseil constitutionnel suite à sa saisine par nos éminents collègues de la défense, il en découle comme le précise l’art 16 de la loi sur la corruption que le Chef d’Etat doit nécessairement, obligatoirement justifier « toute augmentation de son patrimoine par rapport à ses revenus légitimes ». Comment donc M. Ould Abdel Aziz justifie-il un tel enrichissement ? Pour répondre à cette question fondamentale pour tout procès pour corruption d’un agent public, la défense a d’abord tenté de renverser la charge de la preuve en réclamant de l’accusation qu’elle apporte la preuve de ses accusations d’enrichissement illicite. Elle savait très bien que, s’agissant aussi bien de notre loi nationale (article 16 précité de la loi sur la corruption) que de la convention des Nations unies sur la même matière, l’exigence probatoire est la même et elle pèse sur l’agent public dès lors qu’il y’ a « une augmentation substantielle du patrimoine que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes » (art 20). Autrement dit, dès qu’il y’a constat d’une augmentation certaine de patrimoine de l’agent public, il pèse sur lui une suspicion d’enrichissement illicite qui ne peut être dissipée que par la preuve de la licéité des actes et des faits ayant entraîné de cette augmentation de patrimoine de l’agent public. Que l’on se comprenne bien : il n’est nullement interdit à l’agent public, fût-il Chef de l’Etat de s’enrichir durant l’exercice de ses fonctions comme tout citoyen. Mais, à condition que cet enrichissement résulte effectivement de ses revenus (salaires et autres émoluments éventuellement investis dans des activités qui rapportent une plus-value) ou de sources autres que ces derniers mais qui soient prouvés et licites. Qu’en est-il du cas de l’ancien Président M. Ould Abdel Aziz ?

1°) Il nous apprend lui-même, avec une étonnante franchise qu’il n’a jamais utilisé durant ses deux mandats, la moindre ouguiya provenant de ses salaires et autres émoluments rattachables à sa fonction comme il en a fait cas publiquement.

2°) Il affirme avec insistance que son enrichissement résulte de deux sources : des dons de chefs d’Etat et d’un reliquat de frais de campagne électorale (celle de 2019). Il se trouve que du point de vue juridique, ces deux sources d’enrichissement ne sont ni ne peuvent être considérées comme licites pour n’importe quel agent public, a fortiori pour un Chef d’Etat. La référence à des donations personnelles de la part de chefs d’Etat étrangers en faveur de M. Ould Abdel Aziz est explicite dans sa déclaration de patrimoine de 2019 avec la précision que ces donations lui auraient été faites notamment lors de visites officielles (Voir PXI “ autres observations » …). Il déclare même que le montant de ces donations est d’environ 2,5 millions de dollars américains. Il affirme également qu’un chef d’Etat étranger lui aurait donné 6,5 millions de dollars “ en signe de solidarité fraternelle à la suite d’un évènement familial inattendu” précise-t-il. Cette affirmation est doublement inacceptable est doit être purement et simplement rejetée. Tout d’abord et avant tout, parce qu’il s’agit d’une simple allégation sans aucune preuve à l’appui. Quels sont ces mystérieux chefs d’Etat étrangers ? De quels pays sont-ils et à quelle date ont –il fait ces soi-disant donations ? Il n’a donc aucune preuve juridiquement pertinente, ni directe ni indirecte, sauf à prendre pour argent comptant ses seules déclarations. Mais même à supposer établies la provenance de ces montants, qu’est-ce qui indique que les montants qu’aurait reçus M. Ould Abdel Aziz n’auraient pas une cause illicite soit par détournement de leur finalité soit pour d’autres raisons moins avouables. De tels montants ont-ils été déjà donnés personnellement en cadeaux à un Chef d’Etat en exercice ? Assurément jamais en Mauritanie. A moins que l’accusé ne prouve le contraire. Par contre, une tradition vertueuse et solidement établie depuis le Premier Président de la République jusqu’à l’arrivée de l’accusé à la tête de l’Etat veut que les Chefs d’Etat en exercice ne s’enrichissent point et remettent l’intégralité des cadeaux reçus sur le sol national ou ramenés de l’étranger au Trésor public ou remis à un service adéquat de l’Etat. De la part d’un ancien Chef de l’Etat qui se plaît à démontrer urbi et orbi sa supériorité morale vis de ses prédécesseurs et la grandeur de ses « réalisations » républicaines, on ne peut qu’être frappé par le fossé entre les proclamations et les tristes réalités factuelles. Ainsi donc, même dans l’hypothèse fallacieuse où de telles donations auraient eu lieu, il ne ferait pas de doute qu’il aurait purement et simplement détourné du Trésor public de tels montants. Dans tous les cas de figure, le fait d’admettre avoir reçu de l’étranger des sommes d’argent d’un montant considérable sans apporter la preuve ni de leur réalité ni de la licéité de leur origine constitue un aveu retentissant d’un enrichissement illicite. L’autre tentative presque désespérée de justifier la licéité de son enrichissement est la prétendue remise de sommes d’argent en liquide par l’actuel Président de la République et qui seraient un reliquat des comptes de campagne électorale présidentielle de 2019. Les montants qu’il déclare avoir reçu sont considérables (l’équivalent de plusieurs dizaines de milliards d’ouguiyas en euros et en dollars) et lui auraient été gracieusement donnés de main à la main, ainsi que plusieurs dizaines de véhicules Pick-up de marque Toyota, également en reliquat de cette campagne durant laquelle il était encore en fonction, il faut le rappeler. Cette prétendue justification d’une partie de l’enrichissement faramineux de l’ancien Président est encore plus inacceptable. Si cette hypothèse invraisemblable était par extraordinaire vraie, elle aurait en effet été une indication supplémentaire de l’absence totale de scrupule de la part de l’ancien Président en matière de respect du droit lorsqu’il s’agit d’accumuler une fortune. En effet, ayant participé à deux élections présidentielles successives en tant que Président de la République, M. Mohamed Ould Abdel Aziz sait pertinemment qu’au regard de la législation en vigueur, à savoir l’ordonnance n° 2006-035 du 2 novembre 2006 et le décret n° 2006-113 du 10 novembre 2006, son affirmation est au moins doublement fausse :

D’abord parce que le principe même de remise du reliquat des sommes destinées aux campagnes électorales à des personnes individuelles est illicite puisque l’art 7 de ladite ordonnance indique que « Lorsqu’un solde positif apparaît, il est dévolu, sur décision du candidat, à un parti politique ou à une ou plusieurs associations reconnues d’utilité publique ». A supposer vraie son assertion invraisemblable, il n’aurait donc jamais dû recevoir un tel reliquat dont il se serait enrichi illicitement, de son propre aveu. Ensuite les montants annoncés par l’ancien Président comme lui ayant été soi-disant remis violent le décret précité qui fixe comme le plafond des dons possibles pour les élections présidentielles à un maximum de 10 millions d’ouguiyas par Moughataa, à comparer avec les dix millions d’euros et de dollars en liquide qu’il prétend avoir reçus. Il apparaît ainsi que l’ancien Président a clairement été dans l’incapacité totale de justifier les montants colossaux, le patrimoine gigantesque saisis par la justice autrement que par des faux fuyants camouflant très mal des pratiques occultes, des détournements de deniers publics, des trafics d’influence …ou par d’autres voies encore plus inavouables. Ajoutons que la plupart des montants en jeu sont libellés en devises étrangère, en violation de la règlementation bancaire et financière, de l’aveu même de l’accusé, accentuant encore plus l’illicéité de son faramineux enrichissement

Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, Mmes et Mrs,

Au vu de tout cela et en ne nous référant qu’aux affirmations de M. Ould Abdel Aziz, étayées par des faits établis par les enquêtes dûment menées par les autorités compétentes, il apparaît clairement, nettement que ce dernier est coupable de la totalité des chefs d’accusation portées contre lui devant votre auguste cour. Je m’en tiendrai donc aux réquisitions faites par devers vous et aux demandes de restitution des montants et des biens spoliés par l’ancien Président M. Mohamed Ould Adel Aziz…

II. CONCERNANT CERTAINS ASPECTS JURIDIQUES PARTICULIERS LIES AUX ACCUSATIONS PORTEES CONTRE TOUS LES ACCUSES

Je dois dire que n’ayant pas obtenu le détail des éléments de la totalité des dossiers qui ne m’ont pas été traduits dans ma langue de communication et de travail, je ne suis pas très à l’aise pour donner un point de vue circonstancié pour chacun d’entre eux. Je livrerai donc à grands traits, certaines réflexions juridiques générales. C’est le lieu de dire ici que les avocats de la partie civile officient en toute liberté de conscience, suivant leur propre appréciation des aspects proprement juridiques des dossiers en examen. Nous n’avons reçu aucune instruction particulière de la part de l’Etat et de certains de ses démembrements que nous représentons ici à titre de partie civile. Nous sommes donc libres dans nos plaidoiries individuelles et dans l’énoncé de nos demandes suivant les seuls intérêts de notre client. Il n’y a là rien que de légitime et de conforme aux missions de l’avocat qui est d’aider à la manifestation de la vérité auprès des juges dont l’intime conviction seule compte ici, en définitive. Je voudrais donc dire ici que les infractions relevées à l’encontre des accusés, toutes causes confondues sont nombreuses et diverses. Il est important de les différencier suivant leur nature pour que ressorte avec clarté les raisons profondes de leur incrimination et celles que nous préconisons concernant la décision judiciaire finale. Même si pour Monsieur Tout le monde, la logique juridique est souvent très éloignée de leur propre compréhension et de leur propre logique ordinaire, c’est sur elle que devra s’appuyer en définitive, cette décision. Deux sortes d’infractions ont été constamment invoquées à l’encontre de la plupart des accusés ayant occupé de hautes fonctions : des infractions de nature administrative et des infractions criminelles de droit commun (économique). Les infractions de type administratif sont celles commises par un agent public dans l’exercice ou à l’occasion d’une activité entrant dans ses fonctions. C’est le cas aussi bien de l’ancien Président de la République, des anciens premiers Ministres, des anciens ministres et des anciens directeurs généraux des établissements publics. Ils peuvent commettre dans ce cadre, des fautes qui sont répréhensibles du point de vue de leurs missions et du point de vue de l’exercice de leurs compétences administratives et assumeront de ce fait une responsabilité plus ou moins grande suivant la gravité de la faute. Celle-ci sera appréciée en fonction de la nature de la compétence en cause, selon qu’elle relève de l’ordre des compétences discrétionnaires ou des compétences liées. Ainsi, lorsqu’une décision a été prise d’agir de telle ou telle façon, de conclure tel ou tel marchés publics, la faute sera administrative lorsque des éléments de procédure ou des règles de fond n’auraient pas été respectés. L’engagement de la responsabilité de l’auteur sera effectif. Mais, dans cette hypothèse, cette responsabilité ne serait pas pénale mais administrative, à moins qu’un texte n’ait clairement indiqué qu’une telle responsabilité serait d’ordre pénal. Ainsi le fait de vendre un bien du domaine public sans déclassement n’est pas en soi pénalement condamnable même si une telle vente est nulle et non avenue et engage la responsabilité administrative de l’autorité concernée. Mais lorsque la faute administrative a été commise avec comme but d’obtenir une faveur, pour soi-même ou pour autrui, elle se mue en faute pénale et engage la responsabilité pénale de l’auteur. L’acte ou l’activité administrative serait alors le corps du délit ou du crime animé par une intention criminelle. Ainsi, lorsque le marché public est conclu de gré à gré au lieu de la procédure d’appel d’offres prévue dans un texte, et qu’une telle opération est destinée abusivement in fine à faire profiter personnellement l’auteur de la décision ou toute une autre personne, alors l’intention criminelle en est déduite. Ici, c’est l’intention criminelle, lorsqu’elle est clairement établie qui seule permet de différencier la faute administrative de la faute pénale dans ces cas-là. Cette distinction mérite la plus grande attention car elle éclaire le sens des différentes incriminations et sanctions prévues dans le chapitre deuxième de la loi de 2016relative à la lutte contre la corruption (articles 5, 6, 13, 14, 15, 16) pour que justice soit rendue et que chacun puisse assumer la responsabilité de ses actes face à un phénomène aussi complexe et diffus que la corruption.

Monsieur le Président, Messieurs le membres de la Cour, Mme et Mrs,

Ces remarques étant faites et étant destinées à lever toute équivoque quant à la nature et à la gravité des accusations portées contre les uns et les autres suivant les actes et les faits qui leur sont imputables et l’intention qui les sous-tend, je m’en tiendrai aux conclusions de mes autres confrères de la partie civile et aux réquisitoires du parquet pour le surplus. Je vous remercie

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