Chroniques d’un officier subalterne …1ière Partie
Chroniques d’un officier subalterne …1ière Partie
Le camion 1113 s’est arrêté une après-midi du 1er octobre 1979 devant le réfectoire de l’Ecole militaire interarmes d’Atar. Après un long trajet depuis Nouakchott et avant que les choses sérieuses ne commencent, les élèves officiers de la 4ème de l’Emia doivent faire connaissance avec leur encadrement. C’était une chance que d’avoir pour commandant de brigade mauritanien le sous-lieutenant Félix Négri et comme encadreur un excellent sergent, droit et compétent, originaire de Keur Mecène du nom de Mohameden. Félix Négri, pour ceux qui ne le connaissent pas était un brillant officier, juste, de bonne moralité, issu de la 1ere promotion de L’Emia; il était coiffé, côté français par le capitaine Lefebvre secondé par l’adjudant-chef Vergniol, un vrai baroudeur. Négri faisait partie des pionniers encadreurs mauritaniens, à l’instar des sous-lieutenants Ethmane Kaza, feux Tourad Ould Beibacar et Moktar Ould Mohamed Mahmoud. Etant élèves officiers, quand on voyait ces 4 officiers mauritaniens dans leur jeep de transport, on se voyait soulagés et on se disait qu’un jour la dure et rigoureuse formation finira, et qu’on bénéficiera des mêmes droits mais également serons soumis aux mêmes devoirs. Franchement Ethmane Ould Kaza était pour moi l’exemple à suivre, car je le voyais altier, fier, juste, quand même imbu d’une froideur qui dégage à elle seule de l’autorité. Félix Négri était au contraire un modèle de simplicité, de modestie rivalisant d’avec le parcours du mahatma Ghandi. En plagiant le poète Victor Hugo, qui disait dès l’âge de 16 ans « vouloir être Chateaubriand ou rien », une voix intérieure me sifflait constamment: « sois comme Kaza ou Félix ou les deux à la fois »!!! Dans la vie deux choses qu’Allah Seul Peux Accorder sont importantes: la santé et la longévité. Cette dernière permet de témoigner, surtout pour les générations contemporaines d’abord et futures ensuite. Jusqu’aux derniers confins du grade de l’officier subalterne(capitaine) mes deux modèles étaient toujours le prototype de l’exemplarité. Mais, hélas…. après ils se sont « azizifiés ». Le problème est que beaucoup d’êtres humains, une fois riches, changent totalement de logiciel. Cependant il y a des exceptions à tout et nous en parlerons inch’Allah.
En 1979, il y avait à l’Emia également une brigade Orsa dont feu Mohamed Abdi, un officier qui m’a marqué à jamais, de par sa sociabilité. J’ai été également ébloui par la densité intellectuelle et l’empathie que dégage le sous-lieutenant Mohamed Lemine Ould Taleb Jeddou dit Meine. Cet officier quoi qu’on dise est un monument, sur le plan strictement militaire, une apothéose quant à la connaissance dans les domaines du combat, de l’armement, de la topo, du génie etc…jusqu’à l’ordre serré où sa cadence donne l’envie de marcher des kilomètres. Il paraît qu’il est taximan aux USA; pourquoi pas un « think thank » en Mauritanie? Des compétences, comme tant d’autres à jamais perdues. Durant mon stage 1979-1980 à Atar, un sous-officier a attiré mon attention, l’adjudant-chef Deloul; un tireur d’élite ,formé à la coloniale à l’instar de ses collègues de la 1ère CCP( compagnie de commandos parachutistes). Le seul élève qui pouvait se comparer à lui au tir à la cible, c’était Brahim Diakité (Ould Mamadi).Si vous vouliez parfaire votre savoir-faire dans le domaine militaire, feu Deloul pouvait changer votre vie. Et si vous êtes stressé pour cause de stage, cherchez le caporal Doucouré, le chef de bord de la citerne à eau. Il vous parlera une langue que même l’intelligence artificielle ne pourrait déchiffrer. Doucouré est un Sarakolé qui, pour une phrase vous sortira du hassaniya, du français et du soninké avec un débit et une intonation qui vous laisseront perplexe.
A la sortie de la promotion, j’ai été retenu avec les sous-lieutenants Ahmed Weiss, Smail Cheibette, Namory Camara, Ba Boubacar pour former des caporaux à Todd, au nord d’Atar. Les deux compagnies de soldats à former étaient commandées par les sous-lieutenants Mohamed Lemine Ould Taleb dit Meine et Séga Ndaw. C’est là où j’ai connu l’un des meilleurs soldats de toute l’histoire de Mauritanie, Vanny Ould Hamatt, un spécialiste de la mitrailleuse de 50 (12,7mm). A Todd, n’eût été la présence des familles Ehel Ducros et du sergent-chef Ethmane Ould Eleyatt, adjudant de compagnie de la 3ème région militaire d’Atar, notre stage aurait été très monotone.
A/ Du Secteur de Kaédi (1980-84) à la 2ème région militaire de Zouératt(1984- 86)… 2ième Partie
La 4ème promotion dont je suis issu a donné à l’Armée Nationale plusieurs colonels et surtout 3 généraux. Il s’agit du divisionnaire et ancien Cemga Moktar Bollé Chaabane, des brigadiers Mohamed Ould Mohamed El Moktar et Hamadi Ould Ely Maouloud. Après le défilé du 10 juillet 1980 à Noukchott, où le capitaine Breika Mbarek faisait la pluie et le beau temps, nous fûmes mutés dans les différentes formations militaires de Mauritanie. Je suis le seul à avoir été muté au Secteur Autonome de Kaédi en novembre 1980. Etant l’officier le moins ancien du secteur, on m’a affecté comme adjoint au sein d’un escadron commandé par feu le lieutenant Sarr Amadou, exécuté en décembre 1987, lorsque j’étais en stage d’artillerie en France. C’est à Kaédi que j’ai connu le futur président de la république islamique de Mauritanie, Le général Mohamed Ould Abdel Aziz. C’est un autre chapitre qui s’ouvre.
A/ Du secteur de Kaédi (1980-84 à la 2ème région militaire de Zouératt (1984-86)
Le secteur autonome de Kaédi a été crée en Mars 1980, sans doute en réponse au manque d’une réelle présence militaire dans les cités du Sud-mauritanien. Du temps du président Haidalla( 1980-84), la volonté politique ne souffrait d’aucune objection, d’une part, et du moment que la guerre du Sahara a également pris fin dès le 10 juillet 1978, d’autre part. Le président Mohamed Khouna Ould Haidala a pris le pouvoir suite au décès de Ahmed Ould Bouceif, un brillant colonel et un grand baroudeur durant « la guerre des sables ». Haidalla issu du Nord, ayant peu d’alliés maures, s’est appuyé sur deux béquilles : l’Algérie couvrant son protégé, le Polisario, et les ressortissants de la Vallée, par militaires interposés. Au milieu de ce jeu d’alliances se trouvent les militants du mouvement El Horr, une initiative attestée par la nomination du gouverneur du Gorgol, Messaoud Ould Belkheir, du capitaine Breika MBarek comme commandant de la prestigieuse 6ème région militaire. Il faut ajouter qu’en cette période du début des années « 80 » les officiers Peuls étaient très imposants et dynamiques. Rien ne pouvait se faire sans le consentement d’une kyrielle d’officiers supérieurs, tous issus de la Vallée du fleuve. Faut-il signaler l’écrasante stature de feu le colonel Yall Abdoulaye, ancien ministre de l’intérieur et surtout ancien CEMGA. Yall était suivi d’une constellation d’officiers Peuls et non des moindres tels Athié Hamath, Diop Djibril, Anne Amadou Babaly, feu Dia Elhadj (un officier de forte personnalité, plus rusé qu’un fennec), ainsi que d’autres jeunes officiers issus d’une nouvelle génération qui croyaient que leurs aînés avaient une lecture biaisée des « conditions insupportables » que vivent les Noirs de Mauritanie. Le colonel Yall Abdoulaye était craint de tous et surtout respecté des officiers supérieurs Maures. En bon citoyen, il parlait l’arabe dialectal de Mauritanie, ce qui est un atout majeur. Le stratège chinois Sun Tzu l’a dit dans son traité de l' »Art de la Guerre », datant de 25 siècles et qui reste d’actualité: » apprends à connaître ton ennemi, un ennemi connu est à moitié vaincu ». S’il ne tenait qu’aux officiers pionniers Peuls qui ont fréquenté assidument leurs frères d’arme Maures, on ne doit faire un coup d’Etat qu’en ayant toutes les cartes en main. C’est pourquoi les tentatives d’octobre 1987 et du 8 juin 2003 ont échoué, puisque la maturité et la synchronisation faisaient défaut. Les jeunes officiers Peuls après la mort du patriarche, ont profané son héritage, en voulant passer à l’action avant que le fruit de la patience, récipiendaire de la réussite ne soit au rendez-vous. En voulant jouer les Thomas Sankara, et suite à la mort subite de Yall Abdoulaye en 1985, les jeunes officiers Peuls ont échoué dans leur tentative de prendre le pouvoir. Depuis ce jour la situation socio-politique de la Mauritanie est en ébullition.
Sous la pression des fils de la Vallée, la 4ème région militaire de Tijikjat, jadis commandée par feu le commandant Ahmed Ould Minnih, fût disloquée. C’est ainsi que les unités militaires et de gendarmerie, venant aussi du Nord( voie ferrée) sous le commandement, cette fois de feu le lieutenant Bellahi Ould Maouloud secondé du sous-lieutenant Lebatt Ould Maayouf, ont été déployées dans la capitale du Gorgol. Car une base militaire installée dans une agglomération est synonyme de retombées sécuritaires, mais aussi économiques, voire matrimoniales. Kaédi était une ville cosmopolite, puisque toutes les composantes de notre tissu socio-culturel y vivaient en harmonie; des Peuls et des Soninké conservateurs de Thouldé, ou de Gattaga, en passant par le Maure de Jedida, jusqu’au fonctionnaire du quartier « Moderne », fief de Bah Bouyé Ould Abderrahmane El Welaty, époux de Magatt Ngom , symbole du métissage bio-culturel ..l’ambiance, la joie de vivre étaient au même diapason. Toutes les familles Arabes telles Ehel Teiss, Ehel Ahmed Benane, Ehel Djah etc.. et Négro-mauritaniennes de Ba Abdel Aziz, de Kane Alpha, de Youssouf Koita, de la famille Touré etc.. se connaissaient et s’appréciaient…,avant que les démons du séparatisme ne prennent le dessus. Depuis une méfiance s’est installée entre les populations jadis unies pour le meilleur et pour le pire.
Au secteur autonome de Kaédi (SAK), j’ai été, jeune sous-lieutenant agréablement surpris par le degré de patriotisme de feu le lieutenant Bellahi Ould Maouloud. Sur un parc de 53 land-Rover British, seuls 3 véhicules sont autorisés à se déplacer: celui du commandant de secteur pour le déposer à la maison et le ramener, celui du sous-lieutenant Lebatt Maayouf, commandant le sous-groupement opérationnel no 41 et le véhicule des servitudes. Feu Bellahi faisait ses courses domestiques avec sa jeune épouse Taghlé et son bébé Hamoud( machallah un homme apprécié maintenant) sur les bras. Malheureusement Bellahi est décédé à la fleur de l’âge, au grade de lieutenant, lorsqu’il commandait la 7ème région militaire de Rosso. Il est le seul lieutenant qui ait eu ce privilège, de par son intégrité morale, sa disponibilité au travail et son attachement au patriotisme.
En 1980 les commandants d’unités au secteur autonome de Kaédi étaient feu le sous-lieutenant Mohamed Ould Abdi Ould Vleivoul ( cdt du sous-groupement statique), les sous-lieutenants Mohamed Abdel Aziz, feu Sarr Amadou, feu Abdallahi Ebnou, feu Sidi Ould Mayouf, Sy Aboubocar Djaltabé, le sous-lieutenant Sidi Mbarek Ould Cheiguer. J’étais le seul officier adjoint à Sarr Amadou. Il y avait d’excellents cadres sous-officiers et de soldats de valeur, tout droit venus de la guerre du Sahara. Le 16 Mars 1981, le sous-lieutenant Abdel Aziz et moi, sous les ordres du lieutenant Lebatt Ould Maayouf cdt le sous-groupement 41,avons reçu comme mission de sécuriser l’aéroport de Kaédi: empêcher l’atterrissage de quelque aéronef que ce soit. Pour le pouvoir, le Sénégal est l’allié du Maroc, d’où est venu le commando composé de valeureux officiers tels les feux colonels Ahmed Salem Ould Sidi, Abdelkader Ould Bah et le sous-lieutenant Niang.
1/ Ouff…le futur président de Mauritanie logeait avec moi depuis novembre 1980, mais je ne l’ai jamais su avant le mois d’août 2008.
ELY SIDAHMED KROMBELE, FRANCE (A suivre incha’Allah, 3ème partie)