Billet d’humeur – Un clic, un frisson
Billet d’humeur – Un clic, un frisson
Parfois, il suffit d’un simple clic. Pas un coup de feu, pas une manif, même pas une insulte. Non. Juste un doigt posé sur un écran, et toute une machine s’emballe. C’est exactement ce qui est arrivé à Amar – ou plutôt Zeid de Graret levras pour les intimes du web. Un pseudo un peu singulier, comme seuls les internautes savent en inventer, mais qui, depuis peu, fait trembler plus de bureaux climatisés que de hashtags.
Un clic. Un enregistrement. Une voix, peut-être un peu trop sincère, parlant de dessous-de-table diplomatiques et de secrets d’État aussi bien gardés que la recette du thé à la menthe au rythme de Tidinit du coin. Et Amar a disparu. Paf. Comme un onglet qu’on ferme en urgence.
Mais ici, on ne parle pas de fiction. On parle d’un jeune homme, blogueur, citoyen, un de ces anonymes qu’on ne remarque que lorsqu’ils dérangent le silence bien huilé. Il a dit quelque chose qu’il ne fallait pas. Pire : il a appuyé sur “publier”.
Et dans ce pays qui se rêve moderne – sites web gouvernementaux flambants neufs, sites de propagande des hommes d’affaires, engagements internationaux tapissés de bonnes intentions numériques – il semble que la modernité s’arrête là où commence la vérité.
On nous dit que c’est la loi. Que la sécurité nationale est en jeu. Que la vie privée a été bafouée. Mais on entend surtout le bruit d’un couvercle qu’on referme violemment sur une casserole qui déborde.
Parce qu’Amar n’a pas juste révélé un scandale. Il a révélé une peur. La peur panique d’un pouvoir qui ne maîtrise pas les codes de ce nouveau monde.
Aujourd’hui, les influenceurs sont des suspects, les tweets sont des menaces, et les lois – ces belles promesses sur papier glacé – se transforment en pièges à clics. La démocratie numérique ? Un mot creux, collé sur un pare-feu.
Ce qu’il reste ? Des rédactions tétanisées, des activistes à voix basse, et des jeunes qui s’en vont sur Telegram en regardant leurs VPN comme on regardait jadis les passeurs de frontières.
Alors oui, on peut encore s’exprimer. À condition de ne rien dire. À condition de ne déranger personne. À condition de laisser la poussière sous le tapis.
Mais moi, ce matin, j’ai mal à mon clic.
Parce que tant qu’Amar croupit sans procès, c’est notre voix à tous qui est sous scellés. Et dans un monde qui se veut connecté, la censure, elle, ne devrait plus avoir de réseau.
Ahmed Ould Bettar