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Yacoub Sidiya, maître du transport sécurisé de l’or au Sahel, entre influence et turbulences

Yacoub Sidiya, maître du transport sécurisé de l’or au Sahel, entre influence et turbulences.
par Fleury Agou

Yacoub Sidiya dirige MSS Security et Global Aviation, entreprises clefs pour le transport sécurisé de minerais en Afrique. Aussi discret qu’efficace, il suscite de nombreuses jalousies de la part de ses concurrents. Portrait d’un homme qui intervient peu dans les médias.
Le 25 janvier, à l’aube, Yacoub Sidiya embarquait pour Dubaï, tournant la page sur plusieurs semaines de tourmente en Guinée. Son arrestation dans l’affaire de la disparition de quatre tonnes d’or de la Banque Centrale de Guinée (BCRG) avait suscité interrogations et spéculations, propulsant sous les projecteurs un entrepreneur dont l’influence dépasse largement les frontières de sa Mauritanie natale. Figure clé du secteur minier ouest-africain, il a été libéré sans charge, son dossier finalement classé par les autorités guinéennes. Pourtant, dans un environnement où économie et politique s’entrelacent dangereusement, il demeure une cible.

À Conakry, Bamako et Ouagadougou, son nom ne laisse personne indifférent. À la tête de MSS Security et Global Aviation, il orchestre l’un des réseaux de transport sécurisé de minerais les plus structurés de la région. Indispensable aux compagnies minières, il incarne pour certains un partenaire incontournable, pour d’autres un obstacle redoutable

Une ascension fulgurante

Depuis plus de quinze ans, Yacoub Sidiya a construit un empire en sécurisant le transport de l’or, de la bauxite et d’autres minerais stratégiques, assurant leur acheminement des sites d’extraction jusqu’aux plateformes d’exportation. Dans une région où le commerce des ressources naturelles est devenu un enjeu de souveraineté, sa maîtrise de la chaîne logistique lui a permis de s’imposer comme un acteur incontournable du secteur.

« Sans une logistique sécurisée, les compagnies ne peuvent tout simplement pas fonctionner. Les risques sont trop élevés. C’est ce qui fait la valeur ajoutée de MSS Security », confie un cadre d’un groupe minier opérant en Afrique de l’Ouest.

Mais transporter de l’or à travers des zones sous tension, c’est aussi évoluer dans un univers où les alliances sont mouvantes et les intérêts divergents. Derrière le cadre officiel des concessions, les réseaux d’influence du secteur extractif obéissent à des dynamiques plus opaques. Yacoub Sidiya, en s’imposant dans ce paysage, s’est inévitablement attiré des adversaires.

Cibles et rivalités d’un marché en tension

Dès l’arrestation de Yacoub Sidiya en Guinée, les rumeurs ont fusé. Sur les réseaux sociaux et dans certains médias, une avalanche d’accusations est apparue : détournement de fonds, blanchiment, collusions avec des cercles financiers opaques. Autant d’allégations souvent invérifiables, relayées par des acteurs ayant tout intérêt à précipiter sa chute. L’un des médias les plus actifs dans cette offensive est le site Dialogue, qui avait multiplié les articles à charge contre l’entrepreneur. Selon plusieurs sources, cette campagne médiatique ne doit rien au hasard.

« Sidiya dérange. Il s’est imposé dans un marché où les acteurs établis ne veulent pas de nouveaux venus. Certains rêveraient de récupérer ses contrats, et même des figures politiques convoitent son réseau », analyse un consultant en sécurité, spécialiste de la région.

Le secteur minier est un terrain où les intérêts économiques se heurtent frontalement aux ambitions politiques. Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée cherchent à renforcer leur emprise sur les ressources naturelles, ce qui passe par une remise en cause des concessions accordées aux entreprises privées.

« L’exploitation minière et le transport des minerais sont des secteurs où l’on ne fait pas d’ombre impunément », confie un proche du dossier. « Dans ces contextes politiques instables, les alliances peuvent se retourner du jour au lendemain ».

En Guinée, plusieurs figures influentes verraient d’un bon œil une redistribution des cartes dans la logistique minière à leur profit, et l’épisode judiciaire de janvier pourrait bien avoir été un avertissement.

« Certains acteurs de l’appareil d’État veulent faire émerger des alternatives sous leur contrôle », explique une source proche des cercles économiques de Conakry. « Mais remplacer une structure qui a fait ses preuves en matière de sécurisation comporte des risques ».

Quand l’influence dérange

Les campagnes de désinformation et les attaques ciblées ne sont pas rares dans le secteur minier, et Yacoub Sidiya en a déjà été la cible à plusieurs reprises. En 2014, l’interception d’un de ses avions à Dakar, transportant plusieurs millions d’euros, avait aussitôt alimenté des soupçons de blanchiment, avant que l’affaire ne soit classée sans suite. En 2018, des accusations similaires avaient circulé sur des canaux anonymes en ligne, avant d’être discréditées par des audits indépendants.

« C’est un scénario bien rodé », observe un spécialiste du secteur. « La moindre zone d’ombre, même infime, est exploitée et amplifiée par ceux qui ont intérêt à semer le doute ».

L’affaire guinéenne s’inscrit dans cette mécanique d’influence. Yacoub Sidiya a quitté Conakry sans la moindre condamnation, mais l’offensive médiatique menée contre lui a laissé des traces.

« Dans ces secteurs stratégiques, la perception compte autant que la réalité », explique un financier basé à Dubaï. « Une entreprise peut être parfaitement en règle, mais si une rumeur prend de l’ampleur, elle peut fragiliser ses opérations ».

Anticiper pour durer

Dans un Sahel bouleversé par les changements de régime, les règles du jeu évoluent à grande vitesse. Les juntes militaires cherchent à resserrer leur emprise sur le secteur minier, tandis que les banques internationales renforcent leurs exigences en matière de conformité sur les flux de métaux précieux.

Ce double mouvement crée des opportunités pour certains et des risques accrus pour d’autres. Pour Yacoub Sidiya, l’enjeu est désormais de consolider son réseau d’alliances et de renforcer la traçabilité de ses opérations afin d’éviter de nouvelles attaques contre son intégrité.

« Il a surmonté cette épreuve, mais il sait que d’autres défis l’attendent », confie un proche de l’entrepreneur. « Dans ce secteur, baisser la garde n’est pas une option ».

Alors que les pressions internationales sur le commerce de l’or s’intensifient et que les nouveaux pouvoirs africains cherchent à mieux contrôler leurs ressources, Yacoub Sidiya doit jongler sur plusieurs fronts : protéger son image, entretenir des relations stratégiques avec les gouvernements et s’adapter aux nouvelles normes de régulation financière.

Désormais installé en partie à Dubaï, il pilote ses affaires avec la même prudence. Son projet de raffinerie d’or à Conakry, estimé à 30 millions de dollars, pourrait repositionner la Guinée comme un acteur clé du raffinage local. Mais dans un environnement où les rapports de force sont en perpétuelle recomposition, son avenir dépendra autant de sa capacité d’adaptation que de sa résilience face aux attaques dont il est la cible.

« Son atout, c’est son sens de l’anticipation », souligne un proche. « Il sait que le cadre évolue, et il ajuste sa stratégie en conséquence ».

Source: revueconflits.com

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