Fonctionnaires et chômeurs : les visages de la détresse sociale
Fonctionnaires et chômeurs : les visages de la détresse sociale
Dans les couloirs feutrés des administrations ou sur les avenues bruissantes de la capitale, sur les bancs d’un bureau exigu ou dans le tumulte des débats enflammés des réseaux sociaux, un même sujet s’impose avec une gravité lancinante : la cherté de la vie.
Sidi, la quarantaine, est agent administratif dans un hôpital de Nouakchott. Il porte sur ses épaules le fardeau invisible mais pesant d’une existence rythmée par la contrainte économique à l’approche du Ramadan.
« Mon salaire est celui d’un fonctionnaire moyen. Je préfère taire son montant, mais croyez-moi, il suffit à peine à survivre jusqu’à la moitié du mois. Une fois le loyer payé, les factures d’eau et d’électricité soldées, il ne reste que des miettes. Alors que dire des autres charges, des petits besoins qui s’accumulent et nous réduisent à jongler entre primes de garde et heures supplémentaires arrachées à nos nuits ? Et les aides-soignants, les filles et les garçons de salle, comment s’en sortent-ils ? » soupire-t-il, les traits tirés par une lassitude qui n’a rien de passager.
L’État, dans son discours optimiste, vante les résultats économiques de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. La croissance retrouvée, l’endettement extérieur en recul, la confiance des investisseurs réaffirmée. Mais que valent ces chiffres pour ceux dont le ventre crie famine ? Que répondre à celui qui, en fin de mois, regarde son porte-monnaie comme on contemple un champ dévasté par la sécheresse ?
Les fonctionnaires, à l’image d’un père dont les enfants souffrent du kwashiorkor, voient leurs maigres ressources fondre avant même d’avoir pu subvenir aux besoins essentiels. Chaque billet arraché à leur solde se dissout, happé par l’insatiable spirale des dépenses incompressibles.
Et que dire des chômeurs, ces laissés-pour-compte que la promesse d’un avenir meilleur n’a jamais effleurés ? Pour eux, le marasme n’est pas seulement une métaphore. C’est une réalité tangible, une lente déchéance marquée par l’attente interminable d’un emploi qui ne vient pas. Selon l’Organisation internationale du travail, près d’un jeune Mauritanien sur trois est sans emploi, un chiffre qui résonne comme une condamnation silencieuse.
Mbarka, vendeuse de poissons, regarde impuissante ses produits s’avarier sur son étal. Les clients se font rares, leurs poches trouées par la crise, et chaque soir, elle compte les pièces déchirantes d’une journée à peine rentable. « Avant, je vendais tout en une matinée. Aujourd’hui, je rentre avec la moitié de ma marchandise. Les gens préfèrent sauter un repas que de dépenser ce qu’ils n’ont pas. »
Minetou, quant à elle, arpente les bureaux d’un pas las, un dossier de CV sous le bras, à la recherche d’un emploi qui se refuse à elle. Chaque porte fermée, chaque silence résigné des recruteurs, creuse un peu plus l’angoisse des lendemains sans horizon. « J’ai tout essayé. J’accepterais n’importe quel travail, mais personne ne recrute. Je ne sais plus quoi faire. »
Ousmane, inspecteur de l’enseignement, estime que l’heure est venue de s’attaquer à cette inégalité criante. « Il faut un dialogue sincère. Un dialogue avec tous les acteurs susceptibles d’apporter des solutions réalistes, des propositions concrètes pour une véritable revalorisation salariale. Il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais de dignité humaine. »
L’histoire récente l’a prouvé : aucun miracle économique ne saurait masquer indéfiniment la misère. La croissance, aussi flamboyante soit-elle sur le papier, ne nourrit pas les ventres creux. Entre la maigreur du fonctionnaire et l’ossature efflanquée du chômeur, une même tragédie se joue. Une tragédie dont il est temps d’écrire un nouvel acte.
Ahmed Ould Mohamed Soued’Ahmed