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Pastef : La Révolution silencieuse qui redéfinit le Sénégal

Pastef : La Révolution silencieuse qui redéfinit le Sénégal

Dakar, 31/01/2025      Ahmed Ould Bettar

L’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal en mars 2024 a marqué un tournant historique inattendu. En quelques mois, un homme peu connu du grand public a réussi l’exploit de triompher face à des figures de la politique sénégalaise comme Khalifa Sall, Idrissa Seck, ou encore Amadou Ba, des vétérans jouissant d’une longévité politique indéniable. Faye a remporté le scrutin avec 54,28 % des voix, une performance remarquable qui révèle une forte volonté de rupture dans la gouvernance sénégalaise.

La victoire du Pastef (Parti des Patriotes africains du Sénégal pour l’Éthique et la Fraternité) au premier tour de cette présidentielle est un signal fort. En effet, pour la première fois dans l’histoire politique sénégalaise, un opposant a emporté la présidence sans passer par un second tour. Un mois plus tard, lors des élections législatives de novembre 2024, ce vent de changement s’est amplifié. Pastef a obtenu une majorité absolue avec 130 députés sur 165, confirmant ainsi son emprise croissante sur la scène politique du pays.

Un Parcours Insoupçonné : Du Parti naissant à la Majorité absolue

L’ascension fulgurante du Pastef, à la fois une prouesse électorale et un phénomène politique, commence en 2017, seulement trois ans après sa fondation. Lors de cette année-là, Ousmane Sonko, leader du parti, réussit à s’imposer comme député par le biais du système du « plus fort reste », obtenant 1,13 % des suffrages. Bien qu’il ait été une figure marginale au départ, Sonko a su capter l’attention par ses sorties virulentes sur la corruption et la mauvaise gestion des ressources publiques, des thèmes qui résonnent profondément auprès des Sénégalais.

En 2019, Pastef participe pour la première fois à l’élection présidentielle, avec un Sonko qui se positionne comme un challenger sérieux en obtenant 15,67 % des voix. Bien qu’il soit devancé par Macky Sall et Idrissa Seck, son score impressionnant en fait rapidement le principal opposant à l’actuel président, surtout après le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir. Ce résultat, bien qu’en deçà des espérances, permet à Sonko et son parti de se positionner comme les porte-paroles d’une opposition populaire croissante, incarnant les frustrations des couches sociales marginalisées.

Le Populisme stratégique et la résilience du Pastef

Ce n’est pas sans raison que Pastef est devenu la voix des déçus de l’ancienne classe dirigeante. Le parti a su capter les attentes d’un peuple en quête de changement profond, notamment avec ses critiques acerbes de la gouvernance du président Sall. Un aspect frappant de la stratégie du Pastef réside dans son ancrage populaire, et en particulier dans la manière dont il a su mobiliser des fonds et des militants, y compris au sein de la diaspora sénégalaise. En janvier 2024, une collecte de fonds à Paris a permis de récolter plus de 12 millions de francs CFA, un exploit pour un parti souvent présenté comme « outsider ».

Ce phénomène n’est pas isolé. Le parti a su, malgré son caractère relativement jeune, instaurer un mode de financement participatif qui réunit militants et sympathisants autour d’une même cause : le renouvellement de la classe politique. Une stratégie qui a porté ses fruits lors des législatives de 2022, où Pastef a décroché 56 sièges, et surtout en novembre 2024, où sa victoire écrasante aux législatives a confirmé sa percée politique.

Un Projet, pas Un Homme : Le Modèle Pastef

L’un des aspects les plus fascinants de la montée en puissance du Pastef est la primauté donnée au projet politique plutôt qu’à la simple figure d’un leader charismatique. Bien que Sonko demeure l’icône du parti, Pastef a su se structurer autour d’un programme, un projet politique cohérent et durable, transcendant la figure de son leader. C’est ce qui explique la transition fluide vers la candidature de Bassirou Diomaye Faye, dont l’investiture n’a pas provoqué de controverse, malgré son incarcération et sa relative inconnue au sein de l’opinion publique. En effet, la stratégie innovante de présenter trois candidats à l’élection présidentielle (Faye, Sonko, et un autre membre du parti) a permis au Pastef de se prémunir contre toute tentative d’invalidation.

Le slogan « Diomaye mooy Sonko, Sonko mooy Diomaye » a ainsi permis de maintenir l’unité du parti tout en évitant les querelles internes. Une habileté stratégique qui n’a fait que renforcer la position du Pastef dans le paysage politique sénégalais.

Un Vent de Changement : Pastef et le Parallèle avec le Parti el Insaf

Le succès du Pastef rappelle celui d’autres partis émergents dans le monde, tels que le Parti el Insaf en Mauritanie. Ce dernier, dirigé par Sid’Ahmed Ould Mohamed, a également mis en avant une forme de rupture avec les partis traditionnels en plaçant l’éthique et la lutte contre la corruption au cœur de son discours. À l’instar du Pastef, el Insaf s’est rapidement implanté dans l’opinion publique en répondant à un besoin de renouvellement de la classe politique. Le parti a particulièrement mis en lumière sa volonté de redresser la gouvernance en Mauritanie, en dénonçant les pratiques népotistes et les inégalités sociales.

Lors des dernières élections législatives de 2023, le Parti el Insaf a fait une percée significative en remportant 80 sièges à l’Assemblée nationale, selon les résultats officiels provisoires annoncés par Dah Ould Abdel Jelil, président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni). Ces élections, qui visent à élire 176 députés, 13 conseils régionaux et 238 conseils municipaux, se sont déroulées à un an de l’élection présidentielle, renforçant la position de l’Insaf comme un acteur incontournable qui a su rassembler autour de lui un cocktail de la majorité et de l’ancienne opposition mauritanienne.

Le Tournant Politique du Sénégal : Quelles Perspectives ?

Au-delà des victoires électorales de 2024, l’ascension du Pastef incarne un véritable changement de paradigme dans la politique sénégalaise. En s’imposant comme une alternative aux élites traditionnelles, le Pastef redéfinit les rapports entre gouvernants et gouvernés, introduisant un discours de rupture profondément enraciné dans des préoccupations sociales et économiques contemporaines. Toutefois, le véritable défi pour le parti réside dans sa capacité à traduire ses promesses en politiques concrètes dans un contexte économique et géopolitique incertain. L’année 2024 pourrait ainsi marquer un point de bascule pour la démocratie sénégalaise, et, à terme, pour les pratiques politiques à l’échelle de la sous-région.

Le Pastef, avec son modèle hybride, son positionnement en dehors des clivages idéologiques traditionnels et son discours populiste, incarne une forme de politique nouvelle, qui pourrait bien constituer l’avenir du Sénégal et peut-être même de l’Afrique de l’Ouest.

Avec agences

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